Naguère encore le mariage avait une importance, plus grande qu'il n'en a aujourd'hui, - par dérision on dit même que c'est, de nos jours, la première cause de divorce...
Les rivalités entre familles, les différences d'origines, les différences d'âges, les différences religieuses ou les différences sociales constituaient alors des obstacles souvent rédhibitoires.
La mésalliance, voilà quelle était l'ennemie. C'est évidemment moins le cas à notre époque, encore que ce l'est toujours dans des milieux où le mariage a justement gardé une grande importance.
Suivant les époques, donc, le risque de mésalliance se réglait de manière plus ou moins brutale, plus ou moins tragique.
Rachel Zufferey, dans La Pupille de Sutherland, a choisi de nous raconter comme cela se passait dans la seconde moitié du XVIe siècle, en Ecosse, pendant les deux dernières années du règne de Marie Stuart et durant les quelques années qui ont suivi son abdication en 1567.
En rentrant à cheval d'un mariage, à l'été 1565, Kirsty Dunbar, fille de Sir Patrick Dunbar, Pupille de son oncle, John Gordon, Comte de Sutherland, et son amie Tara Munro font la rencontre de trois highlanders, Hamish et Iagan Ross, accompagnés de Irving, un ami de longue date du premier.
Kirsty et Hamish se livrent à une joute verbale qui ne les laissera pas indifférents l'un à l'autre. Pour une dame de qualité, Kirsty a une liberté de ton inhabituel et Hamish, pour sa part, tient des propos bien hardis pour un highlander, notamment en la qualifiant de Bean Sith, c'est-à-dire de mauvaise fée...
Le résultat magique de cette rencontre est que les deux jeunes gens, elle a dix-sept ans et lui vingt-et-un, pensent dès lors immanquablement l'un à l'autre et qu'ils tombent, sans se l'avouer, amoureux l'un de l'autre.
Seulement une lady ne rencontre pas impunément un highlander en cachette. Pour manquement aux convenances les plus élémentaires, dans ce cas-là, le highlander est passible de peine de mort et la lady de punition exemplaire. C'est ce qui finit par leur arriver.
Tara ne veut que du bien à son amie Kirsty et craint pour sa réputation. Elle parle donc d'un rendez-vous galant et secret entre Kirsty et Hamish à Alexander Gordon, le fils du Comte de Sutherland, pour lequel elle a un faible. Alexander s'empresse de rapporter la chose à son père.
A partir de là, Hamish est en danger de mort et la punition tombe pour Kirsty: elle est envoyée à la Cour de Marie Stuart, laquelle a une forte propension à vouloir marier ses dames de compagnie à des lords. Ce dont Kirsty ne veut pas entendre parler, son coeur ne battant que pour Hamish.
De plus, les lords en question ne se comportent pas de manière irréprochable avec les dames. C'est le moins qu'on puisse dire. Kirsty est même victime d'un viol commis par l'un d'entre eux, qu'elle n'arrive pas à identifier, dans un couloir sombre d'un château alors qu'elle regagne seule sa chambre à l'issue d'une réception.
L'amie, lady Morag, que Kirsty se fait à la Cour est l'exception qui confirme la règle. Elle a la chance, elle, d'être finalement mariée à un lord attentionné et bien sous tous rapports, lord John Fergusson, qui n'est que le puîné de sa famille, ne représente donc pas un gros enjeu et saura la protéger.
Après l'abdication de Marie Stuart au profit de son fils Jacques, Kirsty est renvoyée à Dunrobin, la demeure des Sutherland. Mais son oncle et sa tante sont morts empoisonnés et c'est son cousin, Alexander, qui devient son tuteur. Ce dernier cherche à tout prix à la marier à un lord, ce qu'elle ne veut toujours pas.
Pour échapper à la tutelle d'Alexander, Kirsty accepte de partir chez le demi-frère de la reine, le comte Moray, avec lequel elle a sympathisé à la Cour, en tout bien, tout honneur, suscitant cependant nombre de ragots. Or elle tombe avec lui de Charybde en Sylla. Il s'avère que son mytérieux violeur était justement le Comte Moray...et qu'une fois à sa merci il va la violer à répétition et lui faire même un bâtard.
Kirsty, Morag, Tara, Hamish, Irving auxquels il faut ajouter en cours de récit la soeur de Hamish, Lesley, connaissent alors bien des péripéties. Les destins de ces protagonistes vont se dérouler parallèlement et se croiser tout le long de l'intrigue.
Seule Kirsty, qui est le personnage principal du roman, parle à la première personne. Ce qui nous permet de connaître de manière plus intime ses états d'âme, ceux d'une femme libre à une époque où il était paradoxalement possible de l'être dans les villages, mais certainement pas dans la haute société.
Kirsty est un personnage complexe. Son indépendance, qui n'est guère propre à son milieu, ne l'empêche pas de rester attachée aux raffinements auxquels l'ont prédisposée son éducation. C'est ce qui a dû séduire son soupirant, Hamish. Kirsty n'était décidément pas comme les autres et, par conséquent, obsédante.
Il est difficile de quitter ce roman aux multiples rebondissements, que Rachel Zufferey enchaîne avec maîtrise. Sans doute parce que l'auteur sait fort bien éveiller la curiosité du lecteur pour ses personnages, dont, pris à un piège agréable, il a envie de connaître le sort.
Les comparaisons avec notre époque sont bien sûr tentantes, mais l'auteur se garde heureusement de les faire et empêche, par sa restitution précise de ce siècle troublé, de faire oublier dans quel contexte bien différent du nôtre les aventures de ses personnages se déroulent.
Francis Richard
La Pupille de Sutherland, Rachel Zufferey, 648 pages, Plaisir de lire