Qu'est-ce qui fait mal agir? Même si on est responsable de ses actes, on peut avoir des circonstances atténuantes. Sans exonérer de toute responsabilité, comme leur nom l'indique, ces circonstances l'atténuent. Elles permettent également de comprendre. Mais, parfois, cela ne suffit pas. Le mystère demeure.
Un vieux peintre, huitante ans, Maurice Saltier, veuf depuis dix ans, habite la maison que sa femme Camille et lui ont pu acquérir grâce à l'héritage de ses parents à elle. Pour en assurer l'entretien ils ont créé deux appartements aux étages.
L'un de ces appartements est occupé par Madame Chauvet, "une vieille gamine anachronique de bientôt soixante ans", et son homme, Jean (ils ont été présentés l'un à l'autre par les Saltier). L'autre, au second étage, par deux tourtereaux, Jim et Sylvain, sur le départ, qui seront - c'est prévu - remplacés par de nouveaux tourtereaux.
La fille de Maurice, Françoise, quarante ans, n'habite plus là, mais elle rend souvent visite à son "p'tit père". Elle le surveille "comme le lait sur le feu", avec cette bonne Madame Chauvet qui emploie cette expression. Elle a rencontré Michel au bal de l'Association des amis de Maurice Saltier. C'est Myriam, la fidèle galeriste de son père, qui le lui a présenté.
Au supermarché, Maurice a croisé le regard d'un gamin. Celui-ci avait d'abord dans l'oeil une lueur au regard marron doux, puis ce regard s'était durci et la lueur avait disparu, quand il avait montré son impatience devant la lenteur de la caissière, au point d'abandonner sur place ses emplettes, en faisant "un doigt d'honneur en guise d'au revoir à la compagnie".
C'est le même gamin, Bryan, dix-sept ans, qui, avec son complice Kevin, du même âge, mettra le feu, pour s'amuser, à l'atelier de Maurice, causant la perte inestimable des oeuvres qui y étaient entreposées. Comme Kevin avait répandu l'essence et que Bryan avait frotté l'allumette, le premier avait écopé de six mois en maison d'éducation pour jeunes délinquants, tandis que le second écopait d'un an ferme.
Contre toute attente, Maurice n'en veut pas à Bryan. Il se fait même du souci pour lui. Pour se rapprocher de lui et pour y comprendre quelque chose, il s'installe même bientôt tous les jours, sauf quand il pleut, sur le même banc, avec carnet de croquis et trousse à crayons, dans la cité des Radieux, où Bryan a grandi.
Très vite Maurice devient populaire dans cette cité, où "il y a tant de lignes droites". En fait, il cherche à entrer en contact avec la famille de Bryan, "à défaut d'être autorisé à lui rendre visite". Et c'est en dessinant les femmes qui suivent les cours de "Lire et écrire", dispensés par Jacqueline, qu'il fait la connaissance d'une des élèves, Salima, la mère de Bryan, qui a le même âge que sa fille Françoise.
Salima sera touchée que Maurice s'intéresse à son fils qui "fait des problèmes". Elle le trouvera gentil et le remerciera de vouloir l'aider. Mais Maurice lui répondra:
"Je ne suis pas gentil, Salima. Je suis un vieil égoïste. Bryan n'est pas un problème, c'est une question. Je cherche la réponse."
La trouvera-t-il?
Dans Les Radieux, en faisant donner par la narratrice, Françoise, la parole aux différents protagonistes, y compris son père, raconte tout ce que Maurice Saltier "a peint, dessiné, écrit" dans sa vie, notamment à l'aide du journal qu'il a tenu de 1951 à 2011. Mais à quoi bon tout ce qu'il a fait, s'il ne peut rien faire pour Bryan?
"Je ne parviens pas à envisager Bryan comme un fautif", dit-il "Il n'a pas eu de chance, c'est tout. Lui donner une chance. Mais sous quelle forme?"
C'est toute la question de ce roman, celle de la possible réinsertion, quand on a pris un mauvais départ et quand on est encore bien jeune.
En dépit de l'incompréhension manifestée par l'intéressé, l'auteur convainc le lecteur du bien-fondé de cette volonté obstinée de Maurice, vieux peintre au soir de sa vie, de le sortir de son impasse, en restituant sans fard tout le contexte.
La vie dans cette cité des Radieux, "qui porte son nom comme elle peut", et l'absence de père ne sont-elles pas des circonstances atténuantes?
Francis Richard
Les Radieux, Marie Perny, 124 pages, L'Aire