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4 juin 2014 3 04 /06 /juin /2014 21:30
"Album Duras" de Christiane Blot-Labarrère

Le 4 avril dernier, Marguerite Duras aurait eu 100 ans.

 

Ses oeuvres complètes représentent quatre volumes de la bibliothèque de La Pléiade. C'est dire l'importance qu'elle a dans les lettres françaises du siècle précédent.

 

Chaque année, depuis plus de cinquante ans, La Pléiade publie au printemps un album sur un auteur. Cette année, c'est Marguerite Duras qui est à l'honneur.

 

La rédaction de cet album, qui comporte plus de deux cents illustrations et un index, a été confiée à une spécialiste de cet auteur hors du commun, Christiane Blot-Labarrère, qui s'est également intéressée à Pierre Jean Jouve, ce qui est une référence à mes yeux.

 

A la fin de son avant-propos, cette agrégée de lettres modernes, qui s'est spécialisée dans la littérature française du XXe siècle, résume en ces termes sa démarche:

 

L'on ira vers elle, moins vers l'histoire de sa vie qui, dit-elle, n'existe pas, plutôt vers ses récits, ses pièces de théâtre, ses films, là où l'on est quelqu'un. Comme on se rend à une exposition de peinture, en s'arrêtant devant chaque tableau, des premiers à l'ultime dont le tracé mélancolique illumine l'ensemble. Peut-être son oeuvre, de diverses façons éclairée, s'augmentera-t-elle encore du nombre des suffisants lecteurs. Ainsi disait Montaigne de ceux qu'il espérait.

 

Montaigne définit ainsi pareil lecteur:

 

Un suffisant lecteur descouvre souvant ès escrits d'autruy des perfections autres que celles que l'autheur y a mises et aperceües, et y preste des sens et des visages plus riches.

 

L'insuffisant lecteur que je suis a tout de même tenté de glaner ici et là dans cet album quelques extraits de ce que Duras pensait, qui éclairent son oeuvre, avec pour seule ambition de mettre en appétit un suffisant lecteur cette fois, qui saura imaginer quelles fleurs il pourra y butiner avant d'en faire son miel.

 

Le mot dont Duras a le plus horreur, c'est le mot rêve, dit-elle en 1983. Cinquante ans plus tôt, elle écrivait déjà:

 

Aussi loin que je me souvienne, mon enfance s'est déroulée dans une lumière désertique et crue, aussi loin du rêve que possible.

 

A propos de l'amour maternel, elle ne se gêne pas pour dire:

 

Les femmes doivent pouvoir mener de pair cet amour jaillissant, et leur création, et leur personne.

 

A propos de l'amour tout court, elle est lucide:

 

Il n'y a rien qui enferme plus que l'amour. Et d'être enfermé à la longue, ça rend méchant, même les meilleurs.

 

Elle parle d'expérience quand elle dit:

 

Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer. Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter.

 

A propos du désir fou qui fait hurler le corps, elle s'est fait une religion:

 

Si l'on n'a pas connu la passion qui prend cette forme, la passion physique, on ne connaît rien.

 

A propos des vertus de l'oubli en amour, elle nuance:

 

Le pire est qu'on n'arrive jamais à oublier complètement. Il reste juste assez de mémoire pour souffrir.

 

Dans une lettre à son dernier amant, elle écrit d'ailleurs:

 

Yann, c'est donc fini. Je t'aime encore. Je vais tout faire pour t'oublier. J'espère y parvenir. Je t'ai aimé follement. J'ai cru que tu m'aimais. Je l'ai cru. [...] Je t'aime Yann. C'est terrible. Mais je préfère encore être à t'aimer qu'à ne pas aimer.

 

Elle parle également d'expérience de la solitude:

 

Dès que l'être humain est seul, il bascule dans la déraison. Je le crois: je crois que la personne livrée à elle seule est déjà atteinte de folie parce que rien ne l'arrête dans le surgissement d'un délire personnel.

 

Dans la toute fin d'Emily L., elle défend son art d'écrire:

 

Je vous ai dit [...] qu'il fallait écrire sans correction, pas forcément vite, à toute allure, non, mais selon soi et selon le moment qu'on traverse, soi, à ce moment-là, jeter l'écriture au-dehors, la maltraiter, ne rien enlever de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir, ni vitesse ni lenteur, laisser tout dans l'état d'apparition.

 

La personne réelle que, dans cet album, révèle au lecteur Christiane Blot-Labarrère par son écriture personnelle, augure bien de ce que peut être cet autre soi qui, à partir d'elle-même, écrit de la fiction:

 

L'Amant n'est pas un récit autibiographique, c'est une traduction.

 

Peut-être, alors, satisfaisant mon propre appétit, en lisant davantage de Duras, en deviendrai-je un suffisant lecteur, au sens que donne Montaigne à cette expression...

 

Puissé-je, par ces extraits, choisis en toute subjectivité, inciter le lecteur à faire de même...

 

Francis Richard

 

Album Duras, Christiane Blot-Labarrère, 256 pages, Gallimard

 

Album précédent:

 

Album Cendrars, Laurence Campa, 248 pages, Gallimard

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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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