La semaine passée j'ai poursuivi la présentation du contenu du Coffret Au fil de l'Encre que les éditions Encre Fraîche ont publié pour célébrer le dixième anniversaire de leur existence et qui est sorti à l'occasion du dernier Salon du Livre de Genève. Cette semaine, je récidive.
Je me suis donné pour règle épicurienne de savourer ce coffret pendant six semaines et de rendre compte des nouvelles qu'il contient pendant le même laps de temps, pour ne pas en perdre toute l'essence chemin faisant.
Voici donc le compte-rendu des quatre nouvelles suivantes, dans l'ordre où elles se présentent dans le coffret.
Dans la nouvelle d'Olivier May, intitulée Dégel, l'auteur raconte une histoire qui commence plus de 7'000 ans en arrière et qui se termine en 2042.
En juin 2042, au col du Heidnischjoch, 3212 mètres d'altitude, Alpes valaisannes, Suisse, le glacier n'est plus qu'un minuscule vestige, noirci par le réchauffement, qui tente de ralentir son agonie sous une paroi qui l'abrite en hiver du mortel rayonnement.
Trois archéologues se trouvent là, Maya, chef de projet, et ses deux assistants, Ion et sa compagne Lô. Celle-ci fait la découverte d'un petit récipient d'écorce. Elle parvient à l'ouvrir. Il s'y trouve une pointe de cristal de roche de magnifique facture:
On dirait le chapeau d'un champignon séché que le gel a parfaitement conservé...
En serrant cet objet très fort contre elle, Lô entre en transe et se met à faire un long récit, inouï, que Maya enregistre avec son implant auriculaire.
Ce récit halluciné se passe 5'000 ans avant JC, au même endroit. Un homme y a soigné son fils du Mal qui l'atteignait. Il l'avait guéri, mais c'est le froid glacial qui, aussitôt après cette guérison, avait fini par avoir raison de sa jeune vie.
Ce récit va guider les pas des préhistoriens et leur faire faire une découverte dont les conséquences seront bénéfiques pour l'humanité toute entière. Comme quoi le réchauffement tant redouté de nos jours pourrait finalement avoir du bon dans le futur...
Le narrateur, sous la plume d'Eric Driot ne garde de son adolescence que des souvenirs pénibles. Il n'a pas fait de grandes études. Il a tout de même obtenu son baccalauréat, à sa grande surprise, et a alors entrepris des études d'infirmier:
C'était un diplôme aisé à obtenir, garant d'un accès rapide à la vie active et surtout un moyen de fuir le domicile parental et son ambiance qui allait s'alourdissant.
Pour tout loisir, il pratique le tennis. C'est ainsi qu'il rencontre Patrick. Comme celui-ci a des lacunes techniques dans ce sport, il demande au narrateur s'il veut bien taper quelques balles avec lui.
Echange de bons procédés, Patrick fait de l'escalade depuis dix ans et propose donc à son nouvel ami d'en faire avec lui.
Le narrateur est intrigué par le fait que Patrick ne travaille pas:
Il passait la majeure partie des jours de beau temps soit au tennis, soit sur les rochers, soit à la terrasse du bistrot.
Patrick s'avère être un homme du livre - il en possède beaucoup -, qui prend toutefois toute sa dimension au bistrot, son univers privilégié:
Il possédait un sens inné de l'ambiance, du scandale, de l'hubris maîtrisée, qui lui permettait d'attirer un public aussi hétérogène que possible.
Bref, un ami qui s'est peut-être beaucoup trompé dans la vie, mais qui savait se marrer et faire marrer les autres...
Zacharie n'est pas comme les autres. Il est atteint d'une maladie, le lupus érythémateux, qui l'oblige à fuir la lumière du soleil et à éviter tout contact avec les habitants du village:
Au fil des rumeurs, des débordements de leur imagination, des histoires amplifiées lors des soirées de veille, je suis devenu une créature de légende. Il se raconte que mes traits se sont transformés, que je me mue chaque nuit en loup garou, un être malfaisant, mi-homme mi-animal.
Zacharie est donc craint par eux et aime la crainte qu'il leur inspire. Pour conjurer le sort ils déposent même des offrandes à son intention devant leurs portes...
Zacharie vit donc à l'écart, dans une cabane, en lisière de forêt. Sous ses fenêtres, il a planté des Belles de nuit. Dont les tons vifs - rouge, mauve, orange, jaune - sont pour lui un enchantement. Il n'en sort que la nuit, accompagné de son chien-loup Anubis, quand les rues du village sont désertes et quand les habitants se terrent chez eux.
Son seul lien avec le village est sa grande soeur, Garance, qui l'accueille chaque dimanche, la nuit tombée, dans sa petite maison, et qui lui raconte les dernières nouvelles, comme l'arrivée d'un nouveau curé, jeune et intransigeant, une sorte de fanatique, et, bien sûr, ce qu'on dit de lui, Zacharie, dans le village.
L'atmosphère lourde déjà le devient encore plus quand le corps d'un jeune chiot, vraisemblablement fruit des oeuvres d'Anubis avec une chienne du village, est déposé sur le chemin qui part de chez lui; quand ses quatre poules gisent sur son palier, le cou tranché; quand, enfin, il ne reste plus de ses belles de nuit que quelques tiges dépouillées de toute feuille ou fleur...
Hélène Dormond a réuni là toutes les conditions de drames à venir...
Manon, nous dit Olivier Chapuis, a assisté depuis sa fenêtre à un terrible accident, enfin, si on peut appeler cela un accident.
Une petite fille a été renversée par un véhicule qui a pris la fuite, à 21 heures, chemin du Cap, Entre chien et loup:
Cette heure où le soleil a disparu sans être vraiment couché et où la lumière garde encore cette force de vivre que...
Cette vision la hante. A la maison, elle n'a personne à qui en parler. Elle ne peut en parler ni à ses enfants, Jérôme et Lucie, ni davantage à Philippe, son compagnon.
La police a bien lancé un appel à témoins mais, arrivée au poste, au lieu de prendre sa déposition, on lui demande d'écrire ce qu'elle a vu. Elle n'en a pas la force. Alors elle décide de le raconter aux parents de la fillette, les Vireux:
Ils doivent savoir. A leur place, tu aimerais connaître la vérité. Si douloureuse. Mais la vérité.
Seulement la vérité est tellement douloureuse - le minibus brun qui a renversé Tina n'a rien fait pour l'éviter, au contraire il a roulé sur elle une seconde fois en reculant et une troisième en avançant à nouveau, avant de prendre la fuite - que le père de la fillette, pétant les plombs, met Manon violemment dehors.
Elle n'en dort pas de la nuit:
La rencontre avec les Vireux lui laisse en bouche un goût amer. Elle espérait autre chose. De la gratitude, peut-être, elle ne sait pas trop.
Le lendemain, elle se rend de nouveau au poste de police et, cette fois, fait sa déclaration par écrit, du mieux qu'elle peut. Elle se sent plus légère, mais son soulagement sera de courte durée...
Francis Richard
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