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23 mars 2015 1 23 /03 /mars /2015 23:55
"Le plaisir du texte" de Roland Barthes

Le plaisir du texte fait partie des oeuvres lisibles de Roland Barthes. Certes, dans ce livre, il parle du plaisir du texte en érudit, en spécialiste, mais il le fait en véritable écrivain, qu'il est possible de lire avec plaisir, même s'il subsiste quelques scories caractéristiques de sa première façon. 

 

Il donne lui-même l'explication du plaisir que l'on peut ressentir à la lecture d'un texte: "Si je lis avec plaisir cette phrase, cette histoire ou ce mot, c'est qu'ils ont été écrits dans le plaisir." Mais le contraire n'est pas sûr: "Ecrire dans le plaisir m'assure-t-il - moi, écrivain - du plaisir de mon lecteur? Nullement."

 

Sous l'apparente forme de digressions sans ordre, Barthes a en fait construit une manière d'abécédaire, qui ne dit pas son nom sur le thème du plaisir du texte. A la fin de cet essai, apparaît une table de mots-clés qui renvoie aux pages où ils sont développés sans figurer dans des têtes de chapitres ou de paragraphes.

 

Ce faisant, Barthes fait part de nombre de considérations qu'il serait bien difficile de retenir toutes. Mais certaines parlent plus que d'autres au lecteur. Et notamment celle sur le moyen d'évaluer les oeuvres de la modernité, dont la valeur viendrait de leur duplicité: "Il faut entendre par là qu'elles ont toujours deux bords." Une autre considération à retenir est celle de la distinction entre texte de plaisir et texte de jouissance.

 

Les bords des oeuvres de la modernité? L'un des bords est sage, l'autre subversif, et le plaisir du texte provient de la faille qui les séparent. Car ce que veut le plaisir, c'est "le lieu d'une perte", "la coupure, la déflation, le fading qui saisit le sujet au coeur de la jouissance". Barthes utilise cette métaphore pour le bien faire comprendre: "L'endroit le plus érotique d'un corps n'est-il pas là où le vêtement baille?".

 

Le texte de plaisir? "Celui qui contente, emplit, donne de l'euphorie; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est lié à une pratique confortable de la lecture." Le texte de jouissance? "Celui qui met en état de perte, celui qui déconforte [...], fait vaciller les assises [...], met en crise son rapport au langage." Les deux s'opposent donc, peut-être aussi parce que "le plaisir est dicible" et que "la jouissance ne l'est pas".

 

Barthes souligne l'ambiguïté des expressions plaisir du texte et texte de plaisir: "Ces expressions sont ambiguës parce qu'il n'y a pas de mot français pour couvrir à la fois le plaisir (le contentement) et la jouissance (l'évanouissement). Le "plaisir" est donc ici (et sans pouvoir prévenir) tantôt extensif à la jouissance, tantôt il lui est opposé."

 

A longueur de soirées Barthes lit du Zola, du Proust, du Verne, Monte-Christo, Les Mémoires d'un touriste, et même parfois du Julien Green: "Ceci est mon plaisir, mais non ma jouissance: celle-ci n'a de chance de venir qu'avec le nouveau absolu, car seul le nouveau ébranle (infirme) la conscience (facile? nullement: neuf fois sur dix, le nouveau n'est que le stéréotype de la nouveauté)."

 

La répétition peut, comme le nouveau absolu, engendrer la jouissance: "Le mot peut être érotique à deux conditions opposées, toutes deux excessives: s'il est répété à outrance, ou au contraire s'il est inattendu, succulent par sa nouveauté (dans certains textes, des mots brillent, ce sont des apparitions distractives, incongrues - il importe peu qu'elles soient pédantes [...])."

 

Si le plaisir du texte est précaire: "rien ne dit que ce même texte nous plaira une seconde fois", la jouissance du texte ne l'est pas: "elle est pire: précoce; elle ne vient pas en son temps, elle ne dépend d'aucun mûrissement. Tout s'emporte en une fois." N'est-ce pas le propre du nouveau absolu que de ne surprendre qu'une fois?

 

Barthes le reconnaît: "Chaque fois que j'essaye d'"analyser" un texte qui m'a donné du plaisir, ce n'est pas ma "subjectivité" que je retrouve, c'est mon "individu", la donnée qui fait mon corps séparé des autres corps et lui approprie sa souffrance et son plaisir: c'est mon corps de jouissance que je retrouve. Et ce corps de jouissance est aussi mon sujet historique."

 

Barthes explique comment il faut lire l'analyse des autres, la critique: "Un seul moyen: puisque je suis ici un lecteur au second degré, il me faut déplacer ma position: ce plaisir critique, au lieu d'accepter d'en être le confident - moyen sûr pour le manquer -, je puis m'en faire le voyeur: j'observe clandestinement le plaisir de l'autre, j'entre dans la perversion; le commentaire devient alors à mes yeux un texte, une fiction, une enveloppe fissurée."...

 

Enfin, ce que Barthes dit de l'écriture à haute voix ne peut que parler au lecteur-auditeur: "Son objectif n'est pas la clarté des messages, le théâtre des émotions; ce qu'elle cherche (dans une perspective de jouissance), ce sont les incidents pulsionnels, c'est le langage tapissé de peau, un texte où l'on puisse entendre le grain du gosier, la patine des consonnes, la volupté des voyelles, toute une stéréophonie de la chair profonde: l'articulation du corps, de la langue, non celle du sens, du langage."

 

Francis Richard

 

Le plaisir du texte, Roland Barthes, 98 pages Points

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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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