Tout bien réfléchi, prétendre que Sigismond Lebel ne lui rappelait rien aurait été inexact. Il s'en souvenait vaguement, mais pas plus que bien d'autres camarades de classe qui s'étaient évanouis dans la nature, et dont il avait perdu la trace, ignorant, pour la plupart, ce qu'il était advenu d'eux, et même s'ils étaient encore en vie.
Sigismond Lebel, Le valet de coeur, qui donne son titre au nouvel épisode des aventures du commissaire Fernand Dubois, la créature de Jean-Marie Reber, se prétend camarade de classe dudit commissaire et débarque un beau jour chez lui sans crier gare. Ce n'est évidemment pas en souvenir du bon vieux temps, mais parce qu'il a un problème.
Par des tours de magie, Sigismond a fait la conquête de Grégoire et Francine, les jumeaux de Giselle et Fernand Dubois. C'était une manière de s'introduire et de rester dans la place en attendant Dubois. Hormis son talent de prestidigitateur, Sigismond a celui de conteur de sa vie, mais il est bien difficile de démêler le vrai du faux dans tout ce qu'il raconte.
Bien qu'il ait la cinquantaine passée et qu'il ne soit pas un adonis, Sigismond est toujours un bourreau des coeurs et, même s'il en rajoute sur ses frasques, son existence est assurément tumultueuse. Marié six fois, père d'un nombre indéfini d'enfants, il a traîné ses guêtres à Panama, à San Francisco, à Prague et en Pologne, avant d'échouer en Suisse.
Le problème de Sigismond, ce grand buveur devant l'éternel, est qu'il s'est fait mettre à la porte de Mathilde, une libraire en livres anciens, qui l'entretient. Elle n'a pas du tout apprécié d'avoir été ridiculisée chez des amis. Sigismond y a passé un coup de fil plus qu'érotique à sa petite, Sonia, depuis la chambre du bébé, sans repérer l'interphone espion...
Le problème de Fernand est que Sigismond lui demande d'intervenir auprès de Mathilde pour qu'elle le reprenne, et qu'il s'incruste chez lui. Sigismond toutefois se fait mettre à la porte des Dubois, après avoir été surpris dans leur salon, en pleins ébats avec Sonia, par Giselle et les enfants. Ne sachant plus où aller, il trouve refuge dans la mansarde de la petite.
Le lendemain Sigismond appelle Fernand pour lui annoncer qu'il est chez Sonia et qu'elle est morte. Avec l'inspecteur Minder, Dubois se rend chez ladite Sonia. Ils ont bien fait de venir, car ils découvrent une jeune fille inanimée, qui [peut] avoir entre seize et dix-huit ans vêtue d'un seul court peignoir dont la ceinture [est] défaite: elle est bien morte...
Commence alors une enquête compliquée que le commissaire Dubois se doit de confier à l'inspecteur Minder, tout en éprouvant le besoin de mettre son grain de sel. Ce n'est que petit à petit que les morceaux du puzzle finissent par s'emboîter et que la vérité qui n'est pas toute simple sort de son puits, comme si Sigismond ne pouvait être mêlé qu'à une histoire complexe.
Indépendamment de l'intrigue rondement menée, ce qui fait l'intérêt de ce nouvel opus - c'était déjà le cas des précédents -, c'est l'art avec lequel l'auteur peint les moeurs de personnages très divers en les rendant familiers au lecteur. En fait c'est l'atmosphère de tout un petit monde, qu'il lui restitue, avec moult détails, qui sonnent juste, comme s'il y était.
Francis Richard
Le valet de coeur, Jean-Marie Reber, 304 pages Nouvelles Éditions
Enquêtes précédentes de l'inspecteur Dubois chez le même éditeur:
Le parfum de Clara (2015)