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22 juin 2019 6 22 /06 /juin /2019 12:15
Album Gary, de Maxime Decout

Gary est l'écrivain qui, plus que tout autre, nous amène à méditer non sur une existence qui éclaire l'oeuvre, et inversement, mais sur l'hypothèse d'une vie-oeuvre, avec tous les paradoxes vertigineux qu'elle attise.

 

(Sainte-Beuve aurait perdu son latin...)

 

Romain Gary est né le 8 mai 1914 à Wilno en Lituanie. Sous le signe des identités instables: Wilno s'appela aussi bien Wilna, Vilna que Vilnius et ce haut lieu du judaïsme fut tour à tour allemand, polonais et russe.

 

Ses histoires et romans familiaux sont tout aussi instables: il [les] aménage au gré des moments, des envies, des inspirations. Avant même d'écrire, il se met en quête d'un pseudonyme, c'est-à-dire d'une autre identité.

 

Juif, il s'appelle en réalité Roman Kacew. Quand il arrive en France à 14 ans, il devient, par commodité, Romain Kacew. En 1940, membre de l'escadrille Topic des FFL, il se fait désormais appeler Romain Gary de Kacew.

 

Après guerre, Gary change de nom en même temps qu'il naît à l'écritureil sera, pour ses lecteurs, Romain Gary. Son premier roman en français paraît d'abord chez un éditeur anglais sous le titre Forest of anger.

 

Sous le titre Éducation européenne ce roman à succès paraît en France. Mais, son deuxième roman, Tulipe, lui, déplaît par l'impertinence, le laisser-aller, les sarcasmes constants et assumés qui le caractérisent.

 

Le troisième, Les racines du ciel, déplaît cette fois parce qu'il ne ménage ni certaines constructions syntaxiques, ni la concordance des temps. Gary rivera plus tard leur clou à ses détracteurs en inventant la langue ajar.

 

Ce roman déplaît aussi parce qu'il est une parodie de l'engagement. Gary aura une défiance permanente face aux drapeaux et aux bannières et mettra en garde contre les séductions militantes, le fanatisme, le manichéisme.

 

Lady L. est écrit en anglais: c'est une nouvelle expérience radicale de l'altérité. Gary écrira certains autres textes en anglais: il les traduira dans un sens ou dans l'autre ou les réécrira à partir de traductions qu'on lui fournit...

 

Romain Gary est l'homme aux plusieurs naissances et aux multiples identités, changeant de nom comme de langue. Il a le désir de conférer à ses textes des existences plurielles selon les langues dans lesquelles ils sont diffusés.

 

Le principe moteur de son oeuvre est le désir d'ouvrir l'être à l'infini: le Je [ne lui] ai jamais suffi et [ne lui] a jamais procuré le sentiment rassurant d'exister pleinement. Il a toujours vécu son Moi comme une limite ou une geôle.

 

En fait il cherche à donner un corps, qui ne soit pas fait que de mots, à un autre Moi. Avec Shatan Bogat, il engendre ainsi un auteur à part entière et l'ensemble de son oeuvre et est enivré par le carrousel des impostures.

 

Enfin Gary se dédouble radicalement en donnant naissance à Émile Ajar. Dont le premier roman Gros-Câlin est celui des mues, mues entre homme et bête et mue de l'écriture: une langue qui égrène les maladresses délibérées...

 

Avec La vie devant soi, Émile Ajar se voit décerné le Prix Goncourt en 1975, qui avait été décerné à Romain Gary en 1956 pour Les racines du ciel:

Deux oeuvres s'écrivent en parallèle, avec deux auteurs, deux styles, et surtout deux réceptions différentes.

 

L'écrivain se sera enfin exprimé entièrement: le 2 décembre 1980, rentré chez lui après avoir déjeuné avec Claude Gallimard, l'écrivain met fin à la carrière d'Émile Ajar et de Romain Gary d'une même balle de revolver.

 

Dans Vie et mort d'Émile Ajar, son texte ultime (L'Express du 10 juillet 1981), après avoir justifié Ajar en disant qu'il était las de n'être que lui-même, il écrit cette phrase ô combien révélatrice: Je me suis toujours été autre.

 

Maxime Decout commente: à bien lire cette phrase de Vie et mort d'Émile Ajar, on devine qu'il y a l'affirmation enthousiaste d'une altérité et le constat résigné d'une permanence.

 

Francis Richard

 

Album Gary, Maxime Decout, 248 pages, Gallimard

 

Albums précédents:

Album Beauvoir, Sylvie Le Bon de Beauvoir, 248 pages, Gallimard (2018)

Album Perec, Claude Burgelin, 256 pages, Gallimard (2017)

Album Shakespeare,Denis Podalydès, 256 pages, Gallimard (2016)

Album Casanova, Michel Delon, 224 pages, Gallimard (2015)

Album Duras, Christiane Blot-Labarrère, 256 pages, Gallimard (2014)

Album Cendrars, Laurence Campa, 248 pages, Gallimard (2013)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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