Hier soir, GRAM, à Renens, qui est à la fois un marché fermier, un restaurant et bien d'autres choses. Le GRAM est un lieu qui convenait bien au dernier livre de l'auteure, puisqu'il est intitulé La fin des haricots... C'est elle, d'ailleurs, qui, pour changer, l'a proposé à l'association littéraire.
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Pierre Fankhauser, qui anime la rencontre, demande à l'invitée si elle est végétarienne, végétalienne ou autre, et s'attire cette réponse qui le laisse coi: flexitarienne. Qu'est-ce qu'être flexitarienne? C'est être flexible en matière alimentaire, et donc ne pas se contenter de manger des haricots, fussent-ils sur leur fin...
Les nouvelles de Cornélia de Preux, qui composent La fin des haricots, sont courtes, voire très courtes. Elle est à l'aise avec ce format qui l'oblige à canaliser la foultitude d'idées qui lui passent par la tête. Quand d'autres en lisent une à haute voix devant elle, elle se demande si elle ne pourrait pas la raccourcir...
Il n'est donc pas étonnant, compte tenu de son remarquable esprit de synthèse, que Cornélia de Preux fasse partie des Dissidents de la pleine lune, groupe littéraire non conformiste et détonnant, fondé il y a neuf ans par Sabine Dormond, Hélène Dormond et Olivier Chapuis.
Ces dissidents de la littérature se réunissent tous les lundis de pleine lune, se donnent un thème d'écriture déconcertant, tel que, par exemple, La nostalgie de l'avenir, et s'obligent à employer des oxymores ou des contrepèteries, ou encore à ne pas employer de mots avec des accents.
Ces écrits, qu'ils se lisent après avec gourmandise, ne doivent pas dépasser 3'000 signes, soit une feuille A4. Autant dire qu'à la contrainte du thème s'ajoute celle de la brièveté. Comme le dit, à juste titre, Cornélia de Preux, la liberté ne vient-elle des contraintes que l'on s'impose volontiers à soi-même?
Les participants à la soirée, avant même que Pierre Fankhauser ne s'entretienne avec Cornélia de Preux, ont des aperçus de son écriture, qu'elle considère comme un terrain de jeux, avec la lecture joviale de quelques-unes de ses nouvelles par Jeanne Perrin, accompagnée de la musicienne Adeline Mélo.
En tout cas, ses nouvelles sont diverses et variées, même dans leur brièveté. L'auteure les a bien regroupées par genre, Les amoureuses, Les crépusculaires ou Les existentielles, mais elle reconnaît que certaines d'entre elles ainsi classées pourraient tout aussi bien se trouver également dans un autre genre...
Comment écrit-elle? Sans se donner de règles, ou, peut-être, celle de maintenir l'envie du lecteur d'aller jusqu'au bout de sa lecture. Plutôt que de chercher à faire des effets ampoulés de style, elle essaie de dire le monde comme il est. Ses personnages étant certes inspirés du réel, mais restant des créations.
Comme elle est paradoxale, elle aime concilier les contraires et fait des mariages improbables entre ses personnages. De quoi donner matière à réflexion à ses lecteurs qui n'auraient peut-être pas fait autrement de tels rapprochements. Quoi qu'il en soit, toute oeuvre échappe à son créateur et vit sa vie.
La preuve lui en a été administrée par ce qui est arrivé à L'aquarium, son roman publié en 2012. Diffusé jusqu'à Stans dans le canton de Nidwald, ce roman, dont une page a d'abord été traduite par un élève du gymnase Saint Fidelis, a ensuite fait l'objet d'ateliers dans trois classes de ce gymnase.
La vie de ce roman ne s'est pas pour autant arrêtée là. Un des professeurs du gymnase, Reto Melchior, aujourd'hui à la retraite, s'est mis en tête de le traduire en portugais et de l'adapter pour le théâtre: cette adaptation scénique a été jouée au Brésil, un cadeau dont Cornélia de Preux s'est réjouie.
Pierre Fankhauser, qui sait se montrer taquin, demande à l'auteure experte en concision de résumer son écriture en trois mots, reconnaissant qu'il serait bien incapable de se livrer à l'exercice. Un moment de stupeur vite passé, celle-ci ne se démonte pas et dit: colorée, simple, (un peu) folle (quand même)...
Francis Richard