C'est le genre de Lucie: entrer par effraction dans la vie des gens. Elle le fait simplement, sans recours au mensonge, en toute ingénuité. Avec un naturel confondant. Bien malin, alors, celui qui sait lui résister.
Simon, le narrateur, est devenu écrivain. Il a connu Lucie sur les chaises en bois foncé du collège Rousseau à Genève, en 1989, cette année de grands bouleversements. Comme les autres garçons et comme les guêpes, Simon tournait autour d'elle:
Elle était farouche, mais pas pour tout le monde [...] C'était elle qui décidait.
Ainsi, lorsque Lucie jetait son dévolu sur un garçon, tel Simon, c'était elle qui fixait les limites de ce qu'il pouvait entreprendre avec elle, comme c'était elle qui choisissait d'aller au cours ou pas, ou de disparaître comme un beau jour de 1992.
Ce fut la première de ses disparitions dans la vie de Simon, mais ce ne fut pas la dernière. Car elle réapparut plusieurs fois, au moment où il ne s'y attendait pas. À chaque fois il ne résistait pas quand elle surgissait ou lui demandait d'accourir.
Chacun des deux vivra de son côté. Lucie aura plusieurs hommes dans sa vie et Simon plusieurs femmes. Mais elle finira toujours par le retrouver par on ne sait quel maléfice, si bien qu'il se posera cette question ô combien existentielle :
Est-on capable d'aimer plusieurs fois dans sa vie ? Ou ne sait-on aimer qu'une seule fois, la première, qui est un désastre inouï ? Nous serions condamnés à emboîter les amours mortes, comme les poupées russes, sans pouvoir jamais retrouver la fraîcheur de l'original.
Simon ne sait pas pourquoi il entre à chaque fois dans le jeu de Lucie, pourquoi il joue avec elle le rôle du bon petit soldat, de l'éternel amoureux, du chevalier servant, de l'esclave attaché [à son] tyran comme le chien à sa maîtresse.
Est-ce fortuit que Simon fasse sa vie avec des féministes, d'abord avec Adrienne qui est révoltée contre les hommes, puis avec Sylvie qui déteste les femmes, bien que la femme soit l'unique espoir de rédemption d'une humanité à la dérive ?
Lucie, prénom qui évoque Lucifer, le porteur de lumières, lequel est paradoxalement le prince des ténèbres, est-elle une créature d'enfer, pour faire tomber toujours Simon sous son charme? Cette question, il se la posera jusqu'au bout...
Francis Richard
Lucie d'enfer - Conte noir, Jean-Michel Olivier, 160 pages, Éditions de Fallois (en librairie le 4 novembre 2020)
Livres précédents:
Éditions Bernard de Fallois/ L'Âge d'homme:
L'amour nègre (2010)
Après l'orgie (2012)
L'ami barbare (2014)
Éditions L'Âge d'homme:
Passion noire (2017)
Éloge des fantômes (2019)
Poche Suisse - L'Âge d'homme:
L'amour fantôme (2010)
Notre Dame du Fort Barreau (2014)
L'enfant secret (2018)