Ce livre d'entretiens entre Alexandre Adler et Jean-Christophe Aeschlimann a paru il y a plus d'un an, le 26 juillet 2023, soit huit jours après le décès d'Alexandre Adler1, et deux mois et demi avant le 7 octobre. C'est donc en quelque sorte le testament géopolitique de ce dernier.
Les deux interlocuteurs s'y entretiennent du Monde qui se lève, c'est-à-dire du futur qui leur est déjà perceptible. Ils parlent à ce sujet de moment messianique, c'est-à-dire ce moment où des hommes tout à fait normaux jouent un rôle décisif dans les progrès de l'humanité.
Adler est un sage, qui a parcouru le monde dans l'espace et le temps, en qualité de journaliste et d'historien, ce qui lui permet de dire ce que peut apporter à l'humanité Internet, qui en est la bibliothèque et auquel une partie significative des hommes, trois milliards, est connectée:
Si le web donne lieu aujourd'hui à beaucoup de folies et de falsifications, il représente surtout un progrès formidable de la connaissance. Ce progrès, grâce aussi à la sélection naturelle identifiée par Darwin dans ses études naturalistes, se transformera peu à peu en cercle vertueux.
Il ajoute:
Les avancées de la connaissance sont inexorables et vaincront les forces de superstition également liées à ces grands mouvements. Mais un peu de patience sera nécessaire.
Ce qui lui fait penser que le progrès se transformera en cercle vertueux, c'est que de grandes catastrophes ont été évitées, que les religions, y compris l'islam, changent et que les femmes auront un rôle dans l'émancipation du monde à venir, y compris même dans l'islam.
Comment, pourtant, ne pas être dubitatif quand il dit que le monde arabe est en train d'accepter Israël, que la fin d'Erdogan est pour demain, que la fin de l'hégémonie chiite est programmée au Liban, qui va retrouver la démocratie, comme ce sera le cas en Iran et en Palestine?
Que l'unité arabo-juive est en passe de se réaliser, parce que les Arabes israéliens ont été intégrés et qu'ils savent qu'Israël est là pour rester: Le jour viendra où il sera permis aux Palestiniens citoyens de Jérusalem et de l'entité palestinienne de se déplacer sur le territoire israélien?
Pour le dire, il se fonde sur le fait qu'Israël devient une grande puissance technologique et sur l'espoir que la voie sera bientôt ouverte à une seule société, où juifs, arabes israéliens et chrétiens vont apprendre à vivre ensemble. Ce qui marquerait l'aurore d'un temps messianique.
Si ce qui se passe au Proche et au Moyen-Orient intéresse le lecteur, l'intéresse tout autant ce qu'il dit de la Chine, qui, si elle renonce au protectionnisme et accepte des éléments du libéralisme, est bien sur le chemin de devenir la première puissance mondiale, devant l'Amérique 2.
À propos de l'Amérique, s'il n'exclut pas le retour de Donald Trump dont la politique socialisante a permis le maintien d'une production nationale, en acceptant parfois de produire plus cher - il a aidé la société et pas seulement l'économie -, il ne tarit pas d'éloges sur Joe Biden:
Biden sait ce que la mort veut dire, il l'a vue en face plusieurs fois, il est maintenant dans un mariage heureux qui lui permet de traverser cette période difficile mais il est aussi évident qu'il a envie de former Kamala Harris, et qu'il est également sensible au fait qu'à tout moment elle pourrait passer de vice-présidente à présidente. Mais si rien ne dit qu'elle sera la prochaine présidente, Biden fera tout pour qu'elle le devienne 3.
Et la Russie?
La Russie d'aujourd'hui est une puissance moyenne du point de vue du PIB, inférieure à un Brésil qui est tout à fait comparable en importance et dont la croissance est réelle alors que celle de la Russie est très faible. Rien donc d'absurde à dire que la Russie est en-dessous du Brésil en termes de classification des grandes puissances.
Sur l'homme Poutine, Alexandre Adler révèle ce que lui a dit son père, qui avait connu Iouri Andropov à Paris dans les années 1920. Le père biologique de Poutine, Yakov Broverman, un des chefs juifs les plus en vue de l'URSS, est arrêté après la création d'Iraël, et torturé.
Vladimir Poutine, après avoir été placé dans un orphelinat soviétique à l'âge de deux ans, en est sorti à douze treize ans après intervention du père d'Alexandre Adler et de ses amis auprès de Iouri Andropov et finalement adopté par un certain Vladimir Spiridonovitch Poutine:
Mis très vite au courant qu'il était juif, on peut dire que Poutine a vécu dans un milieu à peu près entièrement juif. Et lui-même savait bien sûr que son père avait été persécuté par Staline pour cette raison même.
[...]
Il y a chez Poutine un phénomène ou un syndrome, celui de Stockholm. C'est-à-dire qu'en réalité, du fond des choses, il admire le stalinisme.
Les auteurs passent en revue l'Inde, ou plutôt les Indes, l'Australie, l'Amérique du Sud, l'Afrique, la Turquie et l'Iran, et même l'Engadine, en Suisse, ce pays de l'utopie, où Alexandre Adler a vécu heureux, comme Anne Franck qui y a passé les deux étés les plus heureux de sa vie.
Le maître mot de ce livre est messianisme, qu'il faut entendre comme l'émancipation en devenir de l'humanité tout entière. Le lecteur veut bien le croire, mais, à vue humaine, elle ne semble pas vraiment en prendre le chemin. Peut-être cela se réalisera-t-il plutôt dans le temps long.
Un passage à la fin du livre laisse d'ailleurs le lecteur dans l'expectative et la perplexité, comme devant toute utopie, où les désirs sont pris pour des réalités, à moins - mais cela ne semble pas demain la veille - qu'il ne s'agisse de l'eschatologie promise par les religions du Livre:
Quel monde se prépare? On ne le sait pas. Mais il sera différent de celui que nous avons quitté. Un monde dans lequel l'attention aux autres, les gestes de simple humanité retrouveront de l'importance, où les superstitions, les bêtises et les cultes païens seront profondément ébranlés et discrédités.
Francis Richard
1 - Né le 23 septembre 1950, il est mort le 18 juillet 2023.
2 - Si la politique étrangère américaine est aujourd'hui protectionniste et isolationniste, elle l'est dans le bon sens du terme. En suivant cette thérapie pendant quelques années, les États-Unis redeviendront la grande puissance qu'ils aspirent à être et qu'ils seront demain.
3 - Ce passage prend tout son sens maintenant qu'elle est candidate à la présidence des États-Unis et qu'elle est opposée au candidat Trump.
Le Monde qui se lève, Alexandre Adler et Jean-Christophe Aeschlimann, 288 pages, Editions de l'Aire
Livre précédent de Jean-Christophe Aeschlimann:
Lettre à Yaël et Léah, Bernard Campiche Editeur (2022)