Dans son numéro d'aujourd'hui l'éditorialiste de L'Hebdo tire à boulets rouges sur le ticket Blocher-Maurer ( ici ). Ce qui n'a rien de surprenant, mais mérite analyse.
Alain Jeannet, rédacteur en chef de l'hebdo romand, commence fort : "L'UDC a choisi l'opposition, qu'elle y reste !" Le ton est donné. Le rédacteur en chef, qui, l'an passé, à la télévision
suisse romande, avait troqué l'habit de journaliste pour celui de procureur face à Christoph Blocher, ne peut pas ignorer que l'UDC justement n'a pas choisi l'opposition mais qu'elle y a été
contrainte et forcée par la non-réélection de Christoph Blocher, remplacé par Eveline Widmer-Schlumpf, c'est-à-dire par la représentante d'un courant ultra-minoritaire à l'UDC (4 sièges au
Parlement).
Il pose ensuite cette question aux accents diffamatoires : "Pourquoi faudrait-il donner un siège gouvernemental à ce parti qui, depuis douze mois, se comporte comme une bande de brigands ? Un
parti qui a traité en pestiférée Eveline Widmer-Schlumpf, pourtant élue démocratiquement par le Parlement, et qui prétendait se venger en mettant le pays à feu et à sang." Mais où va-t-il
chercher tout ça ?
Certes le Parlement a élu démocratiquement Eveline Widmer-Schlumpf, si l'on entend l'adverbe "démocratiquement" dans son sens purement littéral, c'est-à-dire en
respectant littéralement le mode de scrutin. Mais était-ce "démocratiquement" au regard de l'esprit des institutions dont Alain Jeannet se veut le gardien jaloux ? La réponse est
non. Ce n'est en tout cas pas "démocratiquement" dans le sens du respect de la démocratie de concordance, dont j'ai rappelé la définition dans mon article sur Le "Groupe 13", fossoyeur de la démocratie de concordance ? .
Eveline Widmer-Schlumpf n'a pas été traitée de pestiférée. Elle a tout simplement, et délibérément, trahi son parti. Elle a choisi son intérêt propre. Elle savait bien qu'un tel
comportement ne pouvait que lui valoir d'être exclue de son parti, dont elle savait pertinemment aussi qu'elle ne représentait pas le courant majoritaire. Les statuts de l'UDC
prévoyaient que cette exclusion devait être faite par la section cantonale des Grisons à laquelle elle appartenait. Par solidarité cette section a refusé de le faire. L'UDC Suisse
n'a eu alors d'autre choix que d'exclure la dite section et avec elle Eveline Widmer-Schlumpf, provoquant les divisions qu'on imagine. Divisions qui, quand elles se produisent à
l'UDC, ne peuvent que réjouir Alain Jeannet ...qui sait si mal feindre la surprise.
Pour remédier à cette carence, avant que ne soit connue la démission de Samuel Schmid, de nouveaux statuts
ont été adoptés par l'UDC en octobre dernier, qui permettent à l'UDC Suisse d'exclure du parti un conseiller fédéral UDC élu par le Parlement, mais dont la candidature n'aurait pas
été présentée par elle ou qui ne la représenterait pas. Ce qui fait bondir la conseillère nationale PDC Lucrezia Meier-Schatz, citée par Michel Guillaume dans
L'Hebdo de ce jour : "Le Parlement s'est ainsi vu confisquer le droit d'élire un conseiller fédéral en toute liberté et sérénité", c'est-à-dire le droit de se livrer à des
manoeuvres intestines que la morale devrait réprouver, comme cela a été le cas le 12 décembre 2007. Mais Madame Meier-Schatz (2) est membre du "Groupe 13": ceci explique cela.
Continuons la lecture de l'édito du sieur Jeannet : "Une majorité de parlementaires se dit attachée à la concordance arithmétique (c'est moi qui souligne), élevée au rang de
monument national". Le terme d'arithmétique accolé à celui de concordance se veut indéniablement péjoratif, et cache volontairement sa signification profonde, qui est de tenir compte de l'opinion
de tous les citoyens, sans exclure personne, hormis peut-être des partis ultra-minoritaires et extrémistes. Mais Alain Jeannet se fait là le chantre de la
discrimination...puisqu'il veut exclure de représentation 30% des électeurs. Rien que ça !
Alain Jeannet ne dit pas que Ueli Maurer est un clone de Christoph Blocher. Il laisse cette insinuation aux soins de son rédacteur Michel Guillaume qui écrit de son côté ( ici ): "Tous les partis reconnaissent la légitimité de l'UDC à occuper ce siège. Mais pas ainsi, avec
ce ticket que beaucoup de députés assimilent à un "nouveau chantage", tant ils craignent que Ueli Maurer ne soit que le clone de son maître à penser".
Du sien, de côté, Alain Jeannet se contente de paraphraser dans son style inimitable - et à ne pas imiter : "Quoi qu'on dise, cet homme travaillera en symbiose avec celui qu'il a servi
pendant des années. Voter Maurer, c'est redonner du poids à l'aile dure de l'UDC. C'est aussi insuffler des forces nouvelles à un Blocher revanchard".
Il est fréquent de prêter à ses adversaires les bas instincts qui vous animent : Alain Jeannet a une revanche à
prendre sur celui qui l'a si bien mouché devant les téléspectateurs romands ...Quant aux partis bourgeois, comme je le disais dans mon article Après le départ de Schmid, le retour de Blocher ? Chiche ! , ils aimeraient bien pouvoir élire un UDC certes dur, puisqu'il
n'en existe pas d'autres dans le courant majoritaire, mais malléable, et qui se fait tout petit. La quadrature du cercle...
Alain Jeannet continue sur le même ton. Parlant de l'UDC il écrit plus loin : "En présentant le tandem Maurer-Blocher (1), un non-choix, elle se moque une fois encore du Parlement." Qualifier de
"non-choix" le ticket Blocher-Maurer, c'est oublier volontairement que ce ticket résulte justement d'un choix entre 11 candidats UDC (voir mon article Le ticket Blocher plus Maurer est un ticket gagnant, dans tous les cas ), effectué démocratiquement par le groupe parlementaire UDC.
Alain Jeannet, qui n'apprécie ni Blocher, ni Maurer, devrait pourtant se réjouir de ce tandem puisqu'il peut espérer que les comploteurs du "Groupe 13", qui a ses toutes
faveurs, parviendront à faire en sous-main de ce ticket un repoussoir.
Le plus beau reste à venir. A la fin de son édito Alain Jeannet conclut : "Parce qu'ils semblent mus moins par le bien général de la Suisse que par leurs intérêts particuliers et les petits
calculs politiciens. Parce que, pusillanimes, ils mettent leur tranquillité d'âme avant leurs convictions. Parce qu'ils nourrissent l'illusion que l'aile dure de l'UDC est moins dangereuse dedans
que dehors, les parlementaires dans leur majorité s'apprêtent à élire Ueli Maurer au Conseil fédéral. A moins d'un coup de théâtre, le piège se refermera le 10 décembre. Comme en 2003."
Avec cette conclusion Alain Jeannet apparaît pour ce qu'il est : un fauteur de division et d'affrontement, bien dans la ligne des petits comploteurs du "Groupe 13", que la haine de Christoph
Blocher et de l'UDC aveugle au point de leur faire préférer l'assouvissement de cette haine à la défense de l'intérêt national, qui voudrait que le pays se serre les coudes en ces temps
difficiles et incertains.
Francis Richard
(1) L'inversion des patronymes est un lapsus freudien, ou un dénigrement intentionnel. C'est à choix...
(2) La même députée, en tant que présidente de la Commission de gestion, avait tenté d'avoir la peau de Christoph Blocher à l'automne 2007.