Si j'avais eu quelque talent, j'aurais aimé faire du théâtre... J'avais peut-être la voix, mais il me manquait de toute façon la mémoire, sans laquelle il me semble que le stress ne peut être surmonté.
Mon père et mes deux fils sont montés sur les planches. Ils ont eu ce bonheur que je ne connaîtrai jamais que par procuration, en regardant les autres jouer et donner vie aux mots d'auteurs.
Il y a trois semaines, de passage à Paris, où mon plaisir insatiable est d'aller au théâtre, mon fils aîné m'a fait écouter l'émission de Ruquier où Fabrice Luchini était invité.
Fabrice Luchini est un contemporain. Nous sommes du même millésime: je suis du 19 mars, il est du 1er novembre.Cela crée des liens, qui permettent de nous retrouver, même si nous ne sommes pas sortis du même milieu...
Un jour, nos routes se sont croisées. Je sortais du Théâtre de la Gaîté à Paris où Luchini jouait du Céline - l'arrivée de Bardamu à New York, qui aurait dû faire rire l'assistance -, quand j'ai été abordé par un personnage encapuchonné, au nez chaussé de lunettes. C'était Fabrice.
Pendant un quart d'heure nous avons échangés sur le trottoir, qui miroitait sous la pluie, au milieu de badauds qui faisaient cercle autour de nous deux. Fabrice se plaignait de l'apathie de la salle et je renchérissais, lui disant que, lâchement, je m'étais retenu de rire devant tant d'inertie. Notre dialogue était étincelant, grâce à lui, et je ne me suis pas reconnu à lui donner la réplique, ce qui ne correspond pas à mon manque ordinaire d'à-propos.
Depuis, je voue un culte à ce contemporain hors du commun qui a su, l'espace d'un quart d'heure, me faire sortir de mes gonds pour libérer mon esprit.
C'est dire combien j'ai apprécié son passage chez Ruquier et que je ne résiste pas - je l'ai fait tout de même pendant trois semaines -, à le partager ici aujourd'hui, comme je n'ai pas résisté à le réécouter plusieurs fois ces derniers temps.
Francis Richard