On connaissait Jacques Attali [dont la photo provient d'ici] en écrivain qui recopie les écrits des autres sans ouvrir les guillemets.
Dans Histoires du temps il a ainsi recopié des passages tirés de l'Essai sur le temps d'Ernst Jünger, du Mythe et pensée chez les Grecs de Jean-Pierre Vernant et de Pour un autre Moyen-Age de Jacques Le Goff.
Maintenant on connaît Jacques Attali en économiste de pacotille.
Hier, dans le téléjournal de 19 heures 30, de Darius Rochebin sur TSR1 [la première chaîne de la Télévision suisse romande], l'ancien conseiller très spécial de François Mitterrand a tenu des paroles d'expert économique qui valent leur pesant de cacahouètes.
La faiblesse de l'Euro ?
"C'est inexact. Votre commentateur a parlé de dégringolade. Il ne faut quand même pas exagéré. Il y aurait dégringolade si l'Euro valait moins qu'un dollar ou quelque chose comme ça. Il a un peu baissé. Bon !"
Après être monté à 1,60 dollar en 2008, l'Euro est passé de 1,50 dollar début 2010 à 1,34 dollar début 2011, soit une baisse de 11%... Mais surtout l'Euro a baissé par rapport au Franc suisse de 16% au cours de la dernière année, après avoir frôlé 1,70 franc en 2008... Comme dit Attali l'Euro a "un peu baissé". Pas de quoi s'émouvoir...
La dette de l'Union européenne ? Elle n'existe pas. Démonstration :
"En réalité il ne faut pas comparer l'incomparable. La Suisse est une merveilleuse confédération avec des cantons. Il faudrait comparer la dette de chaque canton avec la dette de chaque Etat européen. Il faudrait comparer la dette de la Suisse avec la dette de l'Union européenne. Là on se rendrait compte que la situation est radicalement inverse. Comme il a été très justement dit, la dette de la Suisse est 38% du PIB. La dette de l'Union européenne, c'est 0% du PIB. L'Europe n'a aucune dette. Ce sont les cantons européens, la France, l'Allemagne etc. qui ont des dettes. Nous ne sommes pas dans une situation si mauvaise."
Après la tendance plagiaire, voici la tendance prestidigitation, voire faussaire, de l'expert. En effet, ou Jacques Attali ignore, ou il dissimule que la dette publique de la Suisse, correspondant à 38% du PIB [38,8% pour être exact à fin 2009 ici], comprend la dette de toutes les collectivités publiques du pays, c'est-à-dire aussi bien celle de la Confédération que celles des cantons et des communes.
Comme il le dit si bien, il ne faut pas comparer l'incomparable. Aux 38,8% de la dette totale des collectivités publiques helvétiques, il faut donc comparer la dette totale de l'Europe, comprenant celle du club, égale à 0%, soit, mais aussi celles de ce que Jacques Attali appelle métaphoriquement ses cantons, c'est-à-dire une dette qui représente plus de 75% du PIB des "cantons" européens de la zone euro et environ 70% du PIB des 27 "cantons" européens de l'UE ici.
Ce qui fait la force de la Suisse comparée à l'Europe ?
"La Suisse a un budget fédéral. Elle a donc une capacité à s'endetter au niveau fédéral et donc à relancer son économie. Ce qui explique la croissance et le faible taux de chômage. Tout se jouera en Europe sur la capacité de passer d'une structure molle, où il n'y a qu'une banque centrale à une structure beaucoup plus confédérale avec un budget européen et une capacité à l'augmenter comme la Suisse."
Les faits démontrent exactement le contraire. L'endettement helvétique des collectivités publiques est passé de 55,1% du PIB en 2003 à 41,1% en 2008 et à 38,8% en 2009. La Suisse s'est donc bien gardée de relancer son économie en augmentant son endettement, au contraire. Son taux de chômage est certes passé de 2,6% en 2008 à 3,7% en 2009. Mais en novembre 2010 il était en décrue et se situait à 3,6%...ici, de quoi faire pâlir d'envie bien des pays de l'UE...
Comme le dit l'excellent Carton Rouge ici : "Attali prend-il les téléspectateurs suisses pour des crétins des Alpes ?"...
Autre question : est-il étonnant que, sans réagir, Darius Rochebin ait gobé tout cru les propos de son expert d'invité ?
Francis Richard
PS du 7.01.2010 :
En Suisse le taux de chômage de décembre 2010 s'établit à 3,8% ici. Jacques Attali a donc tout faux : la dette a baissé et le chômage a augmenté... ce qui ne veut pas dire qu'il aurait baissé si la dette avait augmenté...
L'internaute peut écouter ici sur le site de Radio Silence mon émission sur le même thème.