Le livre sur les quais est une manifestation littéraire originale qui en est à sa deuxième édition ici. L'an passé je devais être sur mes terres, comme le dit un de mes amis, c'est-à-dire au Pays Basque, où j'ai besoin de me ressourcer de temps en temps.
Le livre, auquel je voue un véritable culte - ce qui ne se dément pas avec l'âge, bien au contraire - a donc, comme l'an passé, pris possession d'une portion des quais de
Morges, au bord du lac Léman.
Pendant trois jours, du 2 au 4 septembre 2011, le livre était à l'honneur sous une vaste tente, qui abritait plus de
250 auteurs de livres et leur nombreuse cohorte de lecteurs. Hier il faisait chaud une bonne partie de la journée. Par les nombreuses ouvertures pratiquées sur les côtés, aucune brise ne
soufflait. Heureux étaient les auteurs dont les tables se trouvaient côté lac... Aujourd'hui le temps pluvieux pouvait les réconcilier tous... en les gardant au sec.
Le livre est bien vivant et je ne crois
pas que les tablettes le remplaceront. Ils cohabiteront. Les tablettes permettent de transporter une véritable bibliothèque dans un minimum d'espace, ce qui est d'une grande commodité
mais ne remplace pas la grande volupté que procurent les contacts tactile et visuel entre le lecteur et cet objet qu'est le livre. Le format, le poids, la couverture, le
papier, la police des caractères, les tranches, que sais-je, tout participe à le singulariser, y compris de savoir qui l'a tenu entre ses mains...
Mes bibliothèques sont pleines de livres de toutes sortes, poche, brochés, reliés, illustrés, pléiade. Je tiens à tous comme à la prunelle de mes yeux. Je reconnais que je suis maniaque
et que je ne suis guère prêteur, comme la fourmi du fabuliste. Quand, par extraordinaire, je prête un livre et qu'il me revient dans un état que je ne considère pas comme
impeccable, je l'offre à celui qui voulait me le rendre... et rachète un nouvel exemplaire pour mon propre usage. Dans cet esprit, je me refuse à surligner ou à annoter. Je prends des
notes dans un cahier d'écolier à spirale ou intercale des signets dans les pages. Je sais bien que je suis insupportable...
En tout cas, à voir la foule qui se pressait sous la tente à Morges, il ne pouvait pas y avoir le moindre doute. La lecture n'est pas près de disparaître. Ne nous faisons pas pour autant d'illusions. Même si, grâce notamment aux collections de poche, la lecture est fort heureusement devenue accessible à tous, tout le monde loin s'en faut ne lit pas. Je connais même des acheteurs de livres...qui ne les lisent pas. Il ne semblait cependant pas que ce fût le cas chez les amoureux des livres qui se pressaient sous la tente ces derniers jours.
Dans le cadre du livre sur les quais de Morges, l'échange avec les auteurs est plus facile qu'aux salons
de Paris ou de Genève, si l'on excepte les auteurs que leur célébrité empêche de dire davantage à leurs dédicataires que des mots convenus et brefs, tel Jean
d'Ormesson qui présidait cette manifestation de Morges. A ce propos, je jouis d'un privilège avec certains auteurs. D'avoir parlé de leurs livres sur mon blog me permet d'engager
aisément la conversation avec eux, en dépit de ma timidité qui ne s'est pas démentie non plus avec l'âge. Je pense à Louise Anne Bouchard, à Mélanie
Chapuis, à Aude Seigne, à Anne-Sylvie Sprenger, à Jacques-Etienne Bovard ou à Jean-Michel Olivier,
qui se sont montrés bien indulgents pour mon bavardage.
Comme dans d'autres salons du livre il était possible d'assister à des tables rondes, à des lectures ou à des films inspirés de livres.
Hier j'ai assisté à la table ronde sur L'Afrique au coeur, qui se tenait dans le château de Morges (construit au XIIIe siècle par Louis de Savoie) et qui était animé par Jean-Louis Kuffer, dont j'ai pu enfin faire la connaissance, après avoir échangé avec lui courriels et messages sur Facebook. J'ai pu apprécier son humour pince-sans-rire et son art de mener le débat en présentant les auteurs avec subtilité, lisant des extraits de leurs livres qui mettent en appétit, leur permettant de donner le meilleur d'eux-mêmes.
Des interventions fort instructives de Khadi Hane, Nétonon Ndjékéry et Max Lobe, j'ai retenu qu'il est décidément difficile de vivre assis entre deux cultures aussi différentes que l'africaine et l'européenne. Quant aux interventions de Corinne Desarzens elles m'ont inspiré les mêmes réserves que celles que j'avais exprimées quand j'avais parlé ici de son dernier livre, Un roi.
Au cinéma de l'Odéon, au milieu d'enfants - je suis resté un grand enfant - j'ai vu le film Nicostratos, le pélican, d'Olivier Horlait, avec Emir Kusturica, tiré du livre éponyme d'Eric Boisset. Je me suis surpris à être ému par les tribulations du jeune Yannis et de son fabuleux oiseau.
Aujourd'hui, au premier étage du Centre culturel du grenier bernois, bâtisse construite au XVIIe siècle, où se trouvent les rayons de la bibliothèque municipale pour adultes, j'ai écouté Mélanie Chapuis lire de longs extraits de son livre Des baisers froids comme la lune, dont j'ai parlé ici. Elle n'a pas la voix qui porte, mais elle a le ton juste et cela se voit qu'elle aime lire ses propres textes. Elle dit d'ailleurs avec naturel des choses que ses aînées de la génération précédente auraient dites en rougissant.
Puis j'ai embarqué sur le Henry Dunant pour faire une croisière de plus d'une heure sur le lac, chose
impensable à Paris ou à Genève, où les salons du livre se tiennent dans de grandes halles d'exposition anonymes et sans âme, loin de la Seine ou du lac Léman. Quatre écrivains
débattaient de La naissance des personnages, sous-entendu dans les oeuvres romanesques. Ces écrivains étaient toutes des femmes, qui peuvent
depuis quelques décennies écrire tout ce qui leur passe par la tête comme l'a rappelé Madeleine Chapsal, et qui n'ont pas peur de reconnaître, au contraire des hommes
qui maîtrisent tout, comme de juste, que leurs personnages leur échappent et vivent leur vie sous leur plume. N'est-ce pas Frédérique Deghelt, Zoé Valdés et
Shumona Sinha ?
Je ne peux que dire : l'an prochain à Morges !
Francis Richard