Il y a un an, dans Le Paradoxe amoureux, Pascal Bruckner analysait les rapports amoureux de notre époque et soulignait plus particulièrement l'improbable aspiration des hommes et des femmes d'aujourd'hui de vouloir concilier attachement et liberté.
Il soulignait dans ce livre que l'on était passé d'un extrême à l'autre et que de suspecte la jouissance était devenue obligatoire. Il notait avec Robert Musil "l'importance qu'avait pris le mot de partenaire en lieu de mari et femme : relation contractuelle qu'on peut dissoudre par convention mutuelle". Il constatait que les couples mouraient "non de déception mais d'une trop haute idée d'eux-mêmes".
On retrouve bien évidemment ces observations dans son livre Le mariage d'amour a-t-il échoué ?, publié chez Grasset ici. A propos duquel j'avoue avoir du mal à démêler s'il s'agit d'un développement ou d'un chapitre oublié du livre précédent.
Le mariage sous sa forme classique - particulièrement sous sa forme indissoluble prônée par l'Eglise catholique - était accusé de tous les maux et notamment de favoriser l'adultère et la prostitution, d'où la législation permettant le divorce, censé y remédier et rendre au mariage toute sa dignité.
Sous sa forme contemporaine, basé sur le consentement, l'amour tarifé et l'infidélité n'ont pourtant guère disparu. Le mariage était d'intérêt et de raison, il est maintenant d'inclination, "qui confère à un simple contrat civil une sacralité supérieure à la cérémonie religieuse". De chaste il est devenu voluptueux. Ces inversions dans l'ordre des choses ont eu pour résultat que :
"Tout ce qui était jadis difficile est devenu plus simple, on devient désormais amants après quelques jours ou quelques semaines mais tout ce qui allait de soi est devenu problématique : on déploie des subtilités de talmudiste pour savoir si l'on va ou non emménager ensemble et selon quelles modalités, si l'on va accepter les clefs que l'autre vous propose ou prendre la clef des champs. La peur de perdre son indépendance prévaut sur la "pudeur" d'antan".
Entre-temps le nombre des mariages n'a cessé de diminuer en Europe, tandis que le nombre des divorces a explosé :
"Ce sont les femmes qui rompent en majorité (près de 70%) [en France] : ayant acquis pour la plupart leur indépendance financière et la maîtrise de la contraception, elles ont moins besoin des hommes."...
Pascal Bruckner développe l'idée, présente dans son livre précédent, que les couples souffrent surtout d'avoir une trop haute idée d'eux-mêmes, qu'ils ont la folie "de vouloir tout concilier, le coeur et l'érotisme, l'éducation des enfants et la réussite sociale, l'effervescence et le long terme" :
"Chaque femme se doit d'être à la fois maman, putain, amie et gagnante, chaque homme père, amant, mari et gagneur : gare à ceux qui ne remplissent pas ces conditions ! "
Ce qui ne peut que conduire à une insatisfaction généralisée, à des divorces en pagaille, qu'il convient de dédramatiser : on se marie de nos jours "pour le meilleur sinon tant pis"...
Par ailleurs l'allongement de la durée de vie permet de la recommencer si l'on s'est trompé :
"Les jeux ne sont pas faits jusqu'au dernier jour, ce pourquoi le deuxième ou troisième mariage est en général plus réussi que le premier."
Car :
"Aujourd'hui on est jeune jusqu'à ce qu'on devienne vieux : l'âge adulte a disparu dans cette opération.[...] La sagesse ne croît plus avec le nombre des années, le démon de midi frappe jusqu'au seuil du trépas."
Pascal Bruckner met le doigt sur ce qui a changé :
"Nous sommes moins que jamais rassasiés de plaisirs, tout semble possible à tout instant."
Ce qui est une illusion.
Pascal Bruckner aimerait bien au passage que la jeunesse ne soit pas "gangrenée par le double discours du romantisme de pacotille et du film X " :
"Il est bon d'apprendre la reproduction au collège, il serait encore mieux de lire et de relire des poètes, des romanciers, des moralistes pour faire de l'attrait des coeurs autre chose qu'une addition de trémolos ou la conjonction bâclée de deux épidermes."
Pascal Bruckner pense qu'il ne faut pas exagérer la dissolution morale. Il n'en veut pour preuve que la mort du mariage, "dans un triomphe resplendissant" :
"Voyez en France le Pacs et son succès inattendu : à l'origine destiné aux seuls homosexuels pour garantir la transmission des biens d'un partenaire à l'autre, il est devenu, plus de dix ans après, presque l'équivalent des fiançailles pour une majorité d'hétéros."
Que faut-il donc faire Docteur Bruckner pour sauver le mariage d'amour ?
"De même qu'un mariage d'affaires peut se muer en mariage d'amour, un mariage d'amour doit se teinter, s'il veut persévérer, de quelque raison; pourvu que ces accommodements soient choisis par les époux et non imposés par la famille."
Une petite prière, mon révérend, pour terminer ?
"Pardonnons-nous nos faiblesses respectives,
Ne blessons pas ceux que nous chérissons.
Rendons-leur grâce d'exister, de nous accepter tels que nous sommes."
Amen.
Francis Richard