"Il importera de ne penser à rien. A cette fin, j'ai prévu d'avoir en tête, à ce moment-là, Le Voyage d'hiver de Schubert, parce qu'il n'y a aucun rapport entre cet acte et cette musique".
Zoïle, puisque tel est le prénom rêvé du narrateur, a la mémoire courte puisque cet acte, celui de faire exploser un avion en plein vol, et lui-même avec, est le terme d'un autre voyage, immobile et hallucinogène, effectué dans le froid d'un appartement parisien, non chauffé, du quartier Montorgueil.
Ce petit roman - quelque 130 pages en gros caractères -, cette grosse fable, se lit d'une traite. Les personnages, comme il se doit dans le genre, portent des prénoms fabuleux, Aliénor, Astrolabe. Cette dernière qui, prénom oblige, devrait guider Zoïle sur la Carte du Tendre va le conduire en complète déraison amoureuse.
Sans paraître y toucher, le livre aborde ce mystère auxquels nous sommes tous confrontés, un jour ou l'autre, celui de l'amour, que Stendhal, avec la cristalisation, croyait avoir réussi à percer. Dans Lettres de château, Michel Déon (voir mon article sur ce livre ici) rappelle que De l'amour n'aurait pas vu un jour l'imprimeur si Métilde ne s'était pas toujours refusée à son auteur.
L'attitude d'Astrolabe à l'égard de Zoïle est du même aloi. Aliénor, telle une sangsue, est collée à Astrolabe. Derrière sa laideur, et son air neuneu, Aliénor cache un génie littéraire qui n'existe que par la présence catalytique de sa belle complice Astrolabe, qui recueille ses paroles comme oracles de pythie, et leur donne la forme de livres inspirés.
Même si, aujourd'hui, nous sommes dans une époque d'exhibition, l'amour a besoin d'intimité pour s'épanouir. Pour échapper au regard insistant et inquisiteur d'Aliénor, toujours présente, Zoïle emploie le subterfuge des champignons qui vous transportent au-delà de la perception ordinaire et des inhibitions. Aliénor ferme les yeux, mais Astrolabe devient dure comme pierre. C'est la panne pour Zoïle qui croyait toucher au but.
Au-delà de la fable, l'intérêt du livre se trouve dans l'écriture ciselée, cristalline, et dans le ton, volontiers impertinent, empreint d'humour, cette dérision de soi. J'aime ainsi ces clins d'oeil qu'Amélie s'adresse à elle-même quand Zoïle écrit par exemple à propos des livres d'Aliénor :
"J'appréciais [...] qu'il n'y ait pas de photo de l'auteur sur la jaquette, en cette époque où l'on échappe de moins en moins à la bobine de l'écrivain en gros plan sur la couverture"
ou quand elle donne à ses héroïnes des prénoms qui, comme le sien, commencent par un A, qui est aussi "l'origine de l'emblème architectural" de Paris :
"Gustave Eiffel était fou amoureux d'une femme qui s'appelait Amélie. D'où son obsession pour la lettre A, qui domine Paris depuis plus d'un siècle".
Francis Richard
Nous en sommes au
484e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye
L'internaute peut écouter sur le site de Radio Silence ( ici ) mon émission sur le même thème.