Comme je suis un nomade, qui vit sur deux pays, qui réside successivement à trois endroits différents, qui a de multiples activités, je n’ai pas toujours la possibilité, bien que de sensibilité traditionnelle, d’assister le dimanche à une messe selon la forme extraordinaire [voir mon article La messe tridentine est extraordinaire ].
C’est toutefois une chance, peut-être est-ce même providentiel, que d’assister aux deux formes du rite romain, l’ordinaire et l’extraordinaire. Cela permet de côtoyer deux communautés qui parfois, pas toujours, heureusement, s’ignorent et ne se comprennent donc pas. Cela permet de les connaître et de les comprendre, l'une et l'autre.
Que les deux rites cohabitent sous le toit d’une même église contribue, me semble-t-il, à cette paix liturgique entre catholiques voulue par le Saint Père. C’est bien pourquoi je soutiens, modestement, à ma mesure, le maintien, en sa qualité de curé, de l’abbé Francis Michel dans sa paroisse de Thiberville, parce qu’il a su y établir cette paix, que d’aucuns menacent par leur sectarisme de « bourreau-crates » [voir mes articles L'abbé Francis Michel, curé de Thiberville, et qui entend le rester et Affaire abbé Francis Michel: le script du 3 janvier à Thiberville ].
Je me suis trouvé plusieurs fois ces derniers temps dans la possibilité d’assister à la messe selon la forme extraordinaire à Lausanne, à la Chapelle Saint Augustin ici [l'image de saint Augustin provient d'ici]. Dans un bulletin de cette paroisse, paru il y a un peu plus d’un mois, est reproduit un magnifique texte de Bossuet où sont exprimés toute la mesure et tout l’équilibre du Grand Siècle, qui devraient conduire à la paix de l’âme.
Bossuet, en effet, dans ce texte, classique au sens profond du terme, renvoie dos à dos les positions extrêmes, l’inhumaine complaisance qui rend le vice aimable et l’injuste rigueur qui rend la vertu odieuse. C’est à cet équilibre difficile à atteindre qu’il me semble devoir tendre si l’on veut rechercher Dieu et parvenir à la paix de l’âme. Il ne faut ni être trop complaisant envers soi-même, ni trop dur ; ne se donner ni trop bonne ni trop mauvaise conscience ; trouver le juste milieu, avec l'aide de Dieu.
Dans l’Ordo liturgique du rite romain selon la forme extraordinaire, l’évangile de la Sexagésime est celui où saint Luc rapporte la parabole du semeur. Le Christ donne le sens de cette parabole. Il distingue ceux qui écoutent et mettent en pratique, ceux qui se contentent d’écouter sans mettre en pratique et ceux qui n’écoutent même pas.
Sur ce thème, ce jour-là, l’officiant a naturellement fait son homélie. Nous sommes tour à tour dans l’une ou l’autre de ces trois catégories. Alors que l’animal ne fait le mal que lorsqu’il se sent menacé ou qu’il a faim, l’homme peut aussi faire le mal gratuitement. Il peut le faire parce qu’il a choisi de le faire. Car l’homme n’a été créé ni bon ni mauvais mais libre, en toutes circonstances. Bien sûr il lui faut choisir le bien de préférence au mal. Mais le bien n’est pas toujours si facile à déterminer et nous ne sommes pas constants dans nos attitudes.
Sur la liberté en toutes circonstances, le prêtre nous donne l’exemple de cette femme qui a survécu à un camp de concentration. Chaque matin elle se levait un quart d’heure plus tôt que ses compagnes d’infortune. Elle profitait de ce quart d’heure pris sur son court sommeil pour nettoyer ses chaussures. Elle savait pertinemment que celles-ci seraient rapidement souillées par le travail des champs, mais c’était pour elle une façon de préserver, ne serait-ce qu’un moment, sa dignité. Il est probable que cet acte libre, accompli chaque matin, pour elle-même, lui ait sauvé la vie.
Aujourd’hui l’officiant, en ce troisième dimanche de Carême, a de nouveau parlé du mal et de la liberté. Dans les livres d’histoire de son enfance et de sa jeunesse - nous devons peu ou prou être de la même génération - il était surtout question de conflits. Peu de place était laissée aux événements heureux. Il en est de même aujourd’hui dans les médias.
En 1968 le slogan était : « Il est interdit d’interdire ». Les choses ont bien changé, elles ont même changé du tout au tout. Le monde actuel est rempli d’interdits. L’interdiction de fumer [voir mon article "Pour une loi libérale sur l'interdiction de fumer" est une bonne initiative ] n’est qu’une interdiction parmi de multiples interdictions, toujours plus extrêmes. Il devient ainsi de plus en plus difficile de voyager d’un pays l’autre. Avec les interdits notre monde croit pouvoir contenir le mal et le faire disparaître. En réalité les interdits ne résolvent rien et engendrent d’autres conflits.
L’origine du mal est Dieu. Comprenons bien ce que cela veut dire. Dieu nous aime sans mesure, mais il nous laisse libre de l’aimer en retour. Que signifierait un amour obligatoire ? « Tu dois m’aimer » serait le contraire de l’amour. En nous accordant notre liberté de l’aimer ou non, Dieu nous a donné aussi la liberté de faire le mal.
Comment combattre le mal ? Ce n’est pas en multipliant les interdits que nous y
parviendrons. Dans l’évangile du jour, le Christ chasse le « démon qui rendait muet celui qui en était possédé » [Luc, 11, 14]. Il n’y a que Dieu
qui puisse chasser le mal, comme il a chassé le démon du muet de l'évangile. A
chaque fois qu’une église est désaffectée, à chaque fois qu’un séminaire ferme, à chaque fois que Dieu disparaît de notre monde, le mal s’installe et fait des ravages.
Cette réflexion de l'officiant me fait penser à cette citation de Chesterton que feu le père Roger
Morandi, longtemps vicaire de Notre Dame des Armées à Versailles, faisait souvent :
« Chassez le surnaturel, le naturel s’en va avec lui ».
En fait, la solution pour combattre le mal est de faire la plus grande place à Dieu dans notre vie. En toute liberté, celle de ses enfants.
« Conduisez-vous donc en fils de lumière ;
tout ce qui vient de la Lumière est bonté, justice et vérité »
dit saint Paul dans l’épitre du jour [Paul, Ephésiens, 5,9]
Francis Richard
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