Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je critiquer le Conseil fédéral quand il s'attaque à un droit de l'homme tel que le secret bancaire?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je critiquer le Conseil fédéral quand il se soumet aux desiderata d'un pays étranger tel que les Etats-Unis?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je m'insurger contre l'expropriation des terres envisagée par d'aucuns pour construire des logements sociaux?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je défendre ma religion et, au premier chef, le pape parce que, sorti de son contexte, ce qu'il dit est tourné en dérision et qu'il est attaqué ad hominem?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je assumer seul ce que j'écris, sans crainte de représailles contre mes proches?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je fustiger les privilégiés de l'Etat-providence, qui devrait d'ailleurs s'appeler l'Etat-calamité?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je ne pas adhérer à un parti politique pour conserver ma totale indépendance d'esprit et de parole?
Si j'étais blogueur vietnamien, pourrais-je être sûr que le moindre de mes faits et gestes ne porte pas en lui-même ma propre condamnation?
Je ne pourrais rien faire de tout cela. Parce qu'au Vietnam il y a un article merveilleux, l'article 88 du code pénal, qui prévoit de punir la liberté d'expression sous toutes ses formes.
L'article 88 réprime la propagande contre la République socialiste du Vietnam. Autrement dit ceux qui font de la propagande contre l'administration du peuple, la diffament ou déforment la vérité sur elle; ceux qui font de la guerre psychologique ou répandent de fausses nouvelles pour semer la confusion dans le peuple; ceux qui fabriquent, conservent, font circuler des documents ou des articles culturels dont le contenu est dirigé contre la République socialiste du Vietnam. Les contrevenants encourent des peines de 3 à 20 ans de prison.
L'interprétation de cet article est très large. C'est cela qui en fait une merveille juridique à la disposition du pouvoir totalitaire vietnamien.
Cinq blogueurs vietnamiens ont ainsi, récemment, été condamnés à des peines de prison en vertu de cet article ad hoc.
Le blogueur Dinh Dang Dinh a été condamné le 8 août 2012 à 6 ans de prison, le blogueur Le Thanh Tung, militant au sein du Bloc 8406 (mouvement pro-démocratique né sur Internet le 8 avril 2006) a été condamné le 11 août 2012 à 5 ans de prison.
Le 24 septembre 2012, le blogueur Nguyen Van Hai a été condamné à 12 ans de prison, la blogueuse Ta
Phong Tan a été condamnée à 10 ans (sa mère s'est immolée par le feu) et le blogueur Phan Thanh Hai, seul à plaider coupable, n'a été condamné qu'à 4 ans de
prison...[leur photo à tous trois illustre cet article et provient d'ici]
A cette aune-là je devrais être condamné en France à la peine maximum de 20 ans, ne serait-ce que pour avoir décrit par anticipation, sur lesobservateurs.ch, il y a cinq mois jour pour jour, l'avenir radieux, qui se concrétise de plus en plus, que promet le règne de François II, président français.
Qu'ont donc fait ces malheureux pour mériter tant de réclusion? Sur leurs blogs, ils ont critiqué le pouvoir communiste, ses atteintes aux droits de l'homme, particulièrement ses détentions illégales et ses parodies de justice, sa sounission à la Chine, ses expropriations de terres de paysans pour construire des complexes touristiques de luxe, ses persécutions contre les catholiques et les bouddhistes, son parti unique qui est le sésame pour les postes intéressants et à responsabilités.
Bref, ils se sont exprimés librement comme il est ou devrait être possible de le faire dans une démocratie véritable. Ils ont eu tort. La preuve par l'emprisonnement. Ils ont détruit la confiance du peuple en l'Etat: quelle horreur!
De plus ce régime communiste, l'un des derniers de son genre à sévir sur la planète avec Cuba, la Chine ou la Corée du Nord, s'en est pris à des proches de deux des trois blogueurs condamnés le 24 septembre: la femme de Nguyen Van Hai et la soeur de Ta Phong Tan. Le 16 septembre 2012 elles ont été arrêtées et maltraitées, ainsi qu'un prêtre, le père Anton Le Ngoc Thanh, pour avoir provoqué un accident de circulation en se déplaçant à pied (sic).
Dans les prisons du Vietnam croupissent au moins 5 journalistes et 19 net-citoyens. Ce qui vaut à ce beau pays de figurer au troisième rang après la Chine et l'Iran pour la détention de blogueurs et de cyberdissidents...
Francis Richard
Publication commune avec lesobservateurs.ch