Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 avril 2024 6 13 /04 /avril /2024 17:25
Dangereuse vie de bureau, de Guillaume Rihs

Autrefois je n'avais pas de voiture, n'étant pas directeur. J'ai appris à conduire il y a trente-sept ans; après avoir appris, je n'ai plus conduit. Mes vies d'artiste et d'étudiant, d'homme à tout faire et d'imprésario se sont déplacées à pied, à vélo, à scooter. Ma voiture, conséquence funeste de ma promotion. Directeur en voiture: je tue.

 

Ce début laconique est un excellent résumé de ce gros livre de Guillaume Rihs, dont le narrateur, Samuel Grandpierre, est un homme grand, ayant le physique et le nom de l'emploi qu'il occupe en début et fin de récit, puisqu'il est directeur d'une agence immobilière.

 

Mais il n'a pas seulement le physique et le nom adéquats, il a aussi le mental qui va avec. Et il le sait parce qu'il a passé des tests au service Uni-Conseil Orientation de l'Université de Genève, pour déterminer dans quelle voie il devrait professionnellement s'engager.

 

Il avait vingt-deux ans, un passé d'artiste, de clarinettiste, des parents eux-mêmes artistes. Il répondit donc au Questionnaire d'intérêts professionnels de Rothwell-Miller. Il en était ressorti qu'il avait un profil dominant parmi les six profils types: celui d'Entrepreneur. 

 

Il avait de qui tenir, puisque son grand-père paternel, Emmanuel Grandpierre, était directeur. Lors d'un repas au restaurant, celui-ci lui avait dit qu'il avait les trois vertus cardinales pour réussir dans le monde de l'entreprise: l'imagination, la force de travail, l'entregent.

 

Cette orientation était confirmée par la théorie de Douglas McGregor, selon laquelle il y avait deux groupes d'individus: ceux qui ont une opinion négative portée sur le travail et ceux pour qui le travail est perçu comme une source d'épanouissement: il était de ceux-là.

 

Avant de devenir directeur, Samuel aura été étudiant sans diplôme, puis artisan ébéniste jusqu'au jour où il perdra un doigt, enfin homme à tout faire dans l'agence immobilière dirigée par Antonia Casagrande, une amie de son frère Laurent, quand ils étaient étudiants.

 

La plus grande partie du livre est consacrée à la vie de bureau à Casagrande Immobilier, qui se trouve au dix-septième étage de la tour Azur, laquelle voisine avec deux autres tours babéliennes, Turquoise et Indigo, à Pregny-Chambésy, au nord de la ville de Genève. 

 

Deux mois durant, la directrice, Antonia Leclerc, née Casagrande, disparaît. L'entreprise, sans elle, c'est-à-dire sans son chat maître à bord, part à vau-l'eau. Dans la Villa Isabella, qui fait partie du portefeuille des Locations, les souris, membres du personnel, dansent...

 

Quand Antonia revient, elle confie la direction à Samuel, tandis qu'elle part travailler dans une entreprise immobilière plus importante. Samuel devient le tout-puissant directeur d'une agence où il fait montre de modernité en transformant les locaux, selon ATAWADAC1.

 

Dangereuse vie de bureau n'est pas ce qu'on croit. Certes, l'entreprise n'aura pas échappé aux aléas économiques, aux licenciements, aux disputes, mais le plus grand danger sera le pouvoir dont il sera tentant d'abuser, ce qui se traduira par un retour à la case départ...

 

Francis Richard

 

1 - Any Time Any Where Any Device Any Content.

 

Dangereuse vie de bureau, Guillaume Rihs, 544 pages, Slatkine

Partager cet article
Repost0
4 avril 2024 4 04 /04 /avril /2024 21:55
La Fortune, de Catherine Safonoff

La narratrice, qui n'est autre que Catherine Safonoff, a vécu heureuse dans une maison qui ne lui appartenait pas, pendant plus d'un quart de siècle.

 

Le propriétaire, qui n'est autre que Monsieur B, son ex-mari, ne lui a pas fait payer de loyer pour l'occupation de cette villa située au 10 chemin du Puits.

 

Un jour, Monsieur B. l'en a expulsée, sans pour autant cesser de s'inquiéter de son sort, pour la bonne raison qu'elle allait être hébergée chez leur fille.

 

Bousculée dans ses habitudes, elle emménage le 11 juin 2021 dans la ferme de Mélie et Jeff, au 91 route des Marais, dans un bled de France voisine.

 

Elle n'a hélas pas pu emporter tous ses livres. Elle aurait bien sûr voulu les garder tous, mais elle a dû en écarter plus des trois quarts à contre-coeur.

 

Dans sa chambrette, elle a aligné sur les étagères quelques-uns des rescapés, tous les autres étant restés dans cinquante cartons entassés dans la grange.

 

Tous les mois d'été suivant son emménagement, elle essaie de se faire à son nouvel endroit, mais ici ne voulait pas de moi, je ne m'en arrangerais jamais.

 

À la suite d'une attaque cardiaque, en novembre, elle est emmenée dans un hôpital de brousse, où Monsieur B. la cherche une fois sortie d'affaire:

 

J'ai trouvé cela naturel, lui et moi nous nous sommes souvent rendu service, comme deux îles pratiquant le troc - ceci, que tu n'as pas, contre cela, que j'ai.

 

Elle  se remémore alors sa rencontre avec Monsieur B. en 1962, leur mariage l'année suivante, leur départ pour les États-Unis, leurs filles, Mélie et Ji ...

 

Bien que divorcé d'elle, Monsieur B., son coureur de mari, qui serait guéri selon sa dévote dernière épouse, continue d'occuper une place dans sa vie.

 

Il faudra qu'un jour cela cesse, que Monsieur B. s'ôte de son soleil, ne lui fasse plus de l'ombre, qu'ils se quittent sans rancune, que La Fortune tourne...  

 

Francis Richard

 

La Fortune, Catherine Safonoff, 176 pages, Zoé (sortie le 5 avril 2024)

 

Livres précédents:

Le mineur et le canari (2012)

La distance de fuite (2016)

Reconnaissances (2021)

 

Livre sur Catherine Safonoff:

Catherine Safonoff, réinventer l'île, Anne Pitteloud (2017)

Partager cet article
Repost0
3 avril 2024 3 03 /04 /avril /2024 22:10
La Nuit montre le chemin, d'Olivier Beetschen

René Sulić est un jeune inspecteur. Il mesure plus de deux mètres. C'est un ancien hockeyeur. Il vit avec Edwige Kählin, assistante de géographie à l'université de Fribourg, dans une ferme sur les hauts du village de Jaun, en Gruyère.

 

Il s'y trouve en congé quand son coéquipier et mentor, Verdon, l'appelle pour une urgence. En face de chez lui, au-dessus d'Im Fang, un cadavre a été découvert par une touriste. Tout laisse à penser qu'il a été attaqué et massacré par des loups.

 

L'autopsie révélera que les carnassiers ont déchiré leur proie post mortem. Mais, sur le moment, c'est la stupeur et même la peur tout court. En tout cas, le jour même, ce lundi 18 juillet1, l'homme est identifié: il a une fiche dans le SIS2.

 

Il s'agit de Piotr Lipkowski, de nationalité moldave, impliqué dans un réseau de prostitution. Après diffusion de son portrait, des inspecteurs infiltrés l'ont reconnu. La veille, il avait rencontré trois hommes au café du Belvédère à Fribourg.

 

L'enquête peut commencer. Comme la victime et deux des trois autres hommes sont des Genevois, elle sera menée conjointement par Jean-Pascal Verdon et René Sulić de la Sûreté de Fribourg et par Jean Sanchez de la Judiciaire de Genève.

 

Les compagnons de table de Lipkowski sont à leur tour identifiés: un dealer, Amir Berisha, Kosovar, qui travaille dans un garage à Fribourg, et Mehmet Dogan et Bayar Aziz, Kurdes de Turquie, qui  étudient les sciences économiques à Genève.

 

L'histoire connaît deux tournants: l'un affecte personnellement René et changera sa vie, l'autre est la découverte, huit jours plus tard, d'un cadavre au même endroit que le premier - le modus operandi étant le même -, mais dévoré ante mortem.


Savoir qui, comment et pourquoi, ces deux personnes sont mortes, ne sera pas mince affaire pour le trio d'enquêteurs et le lecteur devra faire un effort pour ne pas se perdre dans les méandres de ce polar original à un tout autre point de vue.

 

Car ce qui donne à l'intrigue un ton personnel, c'est l'autre découverte que fait Sulić en Bosnie, où il s'est rendu avec Verdon, trois jours après la découverte macabre en Gruyère, pour enquêter sur les complicités que Berisha peut avoir là-bas.

 

Sulić, que d'aucuns à la Sûreté surnomment le poète, sans doute parce qu'il a souvent à portée de main les Poésies choisies de François Villon, reçoit, après ce voyage, de quelqu'un, qui aura ignoré jusqu'à son existence, un legs très éclairant:

 

La légende de Guillaume Tell vue à travers le prisme de la mythologie nordique.

 

Dans ce texte, dont Olivier Beetschen publie de larges extraits, en italiques dans le roman, se trouve la maxime qui donne son titre au livre: La nuit montre le chemin, et des personnages, les Irascibles, qui ont au fond quelque chose de René Sulić:

 

Était-ce aller trop loin de considérer que de telles figures avaient une certaine ressemblance avec un policier un peu impulsif, un peu braque, un peu indiscipliné? De là est peut-être né le sentiment que la légende lui était adressée.

 

Sans que son auteur puisse l'imaginer, ce texte aidera Sulić. En effet, il mettra en application la devise des Irascibles, ronflante mais efficace: La ruse pour confondre les scélérats, la force pour les écraser. Le lecteur relèvera au passage la citation:  

 

Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d'eux.3

 

 Francis Richard

 

1 - 2022 ?

2 - Système d'Information Schengen.

3 - L'auteur, dans ses remerciements, précise qu'elle est de René Char.

 

La Nuit montre le chemin, Olivier Beetschen, 384 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

 

La Dame Rousse (2016)

L'oracle des loups (2019)

Partager cet article
Repost0
29 mars 2024 5 29 /03 /mars /2024 23:20
Récifs, de Romesh Gunesekera

Triton, né en 1951 à Ceylan, Sri Lanka depuis 1972, est emmené, en1962, par son oncle chez Mister Salgaldo, Ranjan Salgado. À la suite d'une grosse bêtise commise à l'école, son père s'était emporté et il avait dû fuir.

 

Comme je vous l'ai dit, il apprend vite, mais il ne peut plus vivre à la maison.

 

Mister Salgado vit seul. Il a un domestique, Joseph, qui prend Triton en grippe. Ce n'est pas avec lui qu'il apprendra quoi que ce soit. Ne parlons pas du comportement qu'il a eu un jour avec lui et dont il ne peut faire état.

 

Heureusement, Joseph est flanqué à la porte par Mister Salgado. Aussi, parti de rien, Triton va-t-il devenir un domestique hors pair, s'occupant de tout sauf de la cuisine, dont il deviendra un expert après le départ de Lucy.

 

Le livre de Romesh Gunesekera raconte un monde à part, avant que des soubresauts n'agitent l'île. Même si, pendant un temps, une jeune dame, Miss Nili, s'y installe en 1969, cela ne peut durer non plus indéfiniment.

 

La vie à la maison change, comme le corail, dont Mister Salgado pressent qu'il est en train de disparaître. Encouragé par son ami Dias, il consacrera du temps à l'étudier et s'en ira pendant des jours et des jours sur la côte.

 

Ayant le champ libre, Triton est non seulement devenu un vrai chef cuisinier mais il passe également beaucoup de temps à lire dans le bureau de Mister Salgado. Son appétit de savoir lui servira un jour à être autonome.

 

Le besoin de bâtir, de transformer la nature, de faire quelque chose à partir de rien est universel. Mais conserver, protéger, respecter le passé est quelque chose que nous devons apprendre, lui dira son mentor finalement.

 

Francis Richard

 

Récifs, Romesh Gunesekera, 192 pages, Zoé (traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek)

Partager cet article
Repost0
25 mars 2024 1 25 /03 /mars /2024 23:00
N'écris que pour annoncer ta mort, de Raphaël Calmy

Paul est électricien de montage. Son ami le plus proche, Werner, est un ancien plombier devenu moniteur d'auto-école.

 

Paul a choisi une femme à sa portée, Cornelia, employée au Bavaria, où elle vit de ses charmes, sous le faux nom de Daisy.

 

À force d'insister, Paul la voit en dehors du club. Il ne s'est jamais senti aussi proche de quelqu'un, même pas de Caroline.

 

Paul, qui a rompu avec Caroline, dépendante aux tranquillisants, commence à s'attacher à cette Cornelia, d'origine roumaine.

 

Cornelia, veuve Nestor, a fait ses premières armes en Yougoslavie, puis à Bruxelles, enfin à Genève, avec Max puis avec Titus:

 

La liberté, c'était la différence entre Max et Titus, entre travailler avec celui-ci et avoir travaillé avec celui-là; c'était de pouvoir s'absenter sans préavis.

 

Titus a trompé Cornelia. Ils ne sont pas associés. Elle a signé la déclaration pour le bar au pays, qui est sur le point de fermer.

 

Pour que le bar ne ferme pas et, comme Paul Chouet est l'ami de Cornelia, Titus et elle négocient qu'il paiera quinze mille euros.

 

Cornelia présente les choses ainsi à Paul: il faudrait que son père à elle, malade, puisse être transféré à Vienne pour y être opéré.

 

Cornelia et Paul partent donc ensemble pour la Roumanie, ce dernier ignorant que l'ignoble et bien nommé Titus serait du voyage:

 

Le vol fut un cauchemar.

 

Paul ignore bien d'autres choses que le narrateur révèle au lecteur, mais réalise quel rang il occupe dans la hiérarchie du trio:

 

Paul était un type généreux, c'était un brave type.

 

Une telle histoire ne peut que mal finir. Raphaël Calmy ne le cèle pas au lecteur, sans lui en donner tout de suite les détails.

 

Le lecteur retiendra de ce récit réaliste la peinture glauque du milieu de la prostitution à Genève, alimentée en filles de l'Est.

 

Il retiendra aussi que l'amour unilatéral déçu d'un homme pour une femme, grugé par elle, peut le conduire à des extrémités.

 

N'écris que pour annoncer ta mort, titre du roman, expression d'humour noir de Paul, sera ainsi l'aveu de cette impuissance.  

 

Francis Richard

 

N'écris que pour annoncer ta mort, Raphaël Calmy, 176 pages, Bernard Campiche Editeur

Partager cet article
Repost0
22 mars 2024 5 22 /03 /mars /2024 23:00
L'île de la Française, de Metin Arditi

Saint-Spyridon, située entre Kalymnos et Kos, est une île toute proche de la ville turque de Bodrum. C'est L'île de la Française. En 1950, Odile Lang, ladite Française, y passe son cinquième été, le deuxième sans André.

 

André, âgé de trente-trois ans de plus qu'elle, et Odile ont eu une fille, Pénélope, qui est venue avec sa mère cet été-là. André était amoureux de la Grèce et de la photo: La photo, c'était la mémoire, et la Grèce, l'éternité.

 

Saint-Spyridon est pauvre, vidée par la guerre et par la mer. Quand Clio perd sa mère, elle décide d'entrer dans son monastère pour survivre: elle y sera prise en charge, vêtue, logée, nourrie, mais coupée du monde et d'Odile.

 

Odile a employé Clio pendant l'été. Elle a fait des photos d'elle qui ont excité la jalousie de Pénélope qui les a déchirées, si bien qu'elle n'a pas pu les lui remettre. De toute façon elle n'aurait pas pu les prendre avec elle...

 

Au monastère, l'higoumène, Andonia, impose à ses moniales sa conception de la foi: elles doivent chercher à imiter le Christ sur la Croix, cloué aux pieds et aux mains, en se mutilant sans que cela nuise à leurs tâches...

 

Trois ans plus tard, à la fin de l'été 1953, Pénélope, qui est restée sur l'île après le départ d'Odile pour Paris, disparaît. Par un télégramme, Lakis, le policier de l'île et le fils de Yorgos, le patron du café, l'en informe.

 

Pour connaître la vérité Odile retourne sur l'île. À la demande du maire, Aristidis, l'higoumène prie Clio de travailler à nouveau chez elle. Quand elles se revoient, Odile est horrifiée en découvrant son corps supplicié:

 

Réduire ton corps au silence, c'est étouffer tes pensées les plus humaines! s'exclama Odile. C'est taire ton âme.

 

Odile va redonner leurs voix aux corps et âmes des moniales, à commencer par Clio, d'une façon hétérodoxe, en faisant ce qu'elle sait faire de mieux: les photographier, et en transmettant son art à Clio, qui a des dispositions.

 

Leur vie à toutes en sera bouleversée et Odile sera même bannie. Plus tard, quand la vérité éclatera dans ce microcosme imaginé par Metin Arditi, leur péché sera considéré comme véniel comparé à celui commis envers elle. 

 

Francis Richard

 

L'île de la Française, Metin Arditi, 234 pages, Grasset

 

Romans précédemment chroniqués:

Le Turquetto, 288 pages, Actes Sud  (2011)

Prince d'orchestre, 380 pages, Actes Sud (2012)

La confrérie des moines volants, 350 pages, Grasset (2013)

Juliette dans son bain, 384 pages, Grasset (2015)

L'enfant qui mesurait le monde, 304 pages, Grasset (2016)

Carnaval noir, 400 pages, Grasset (2019)

Rachel et les siens, 512 pages, Grasset (2020)

L'homme qui peignait les âmes, 304 pages, Grasset (2021)

Tu seras mon père, 368 pages, Grasset (2022)

Partager cet article
Repost0
17 mars 2024 7 17 /03 /mars /2024 18:00
Bitume d'août, de Sandra Maeder

La mère et le fils vivent dans le même appartement depuis longtemps. Dans son salon sans fenêtre, il y a un aquarium avec un poisson aux nageoires déchirées.

 

C'est un jour particulier du mois d'août: Il fait chaud. Il fait tellement chaud. Les seuls bruits que l'on entend sont ceux des ventilateurs et de l'autoroute proche.

 

C'est un jour particulier: Il a toujours fait très chaud le jour de leur anniversaire. Comme il n'y a que la mère et le fils, le lecteur pense d'abord qu'il s'agit du leur.

 

Il y a, au présent, un matin, un après-midi et un soir. Mais il y a aussi plusieurs passés qui resurgissent au long du récit et dans lesquels l'auteure noie le lecteur.

 

Le lecteur doit y faire le tri, distinguer les parts de rêve et de réalité dans ce que ressentent ou expriment la mère et le fils, flou que l'auteure entretient volontiers.

 

Alors le lecteur se doit de relever les quelques indices qui devraient lui permettre de comprendre ce qui se trame ce jour anniversaire où il fait tellement chaud:

 

  • La mère attend des invités: son fils lui demande à quelle heure, tout en affirmant qu'ils ne viendront pas.
  • La mère attend le frère de son fils qui ne viendra pas non plus puisqu'elle lui a dit qu'il était parti sur la Lune avec les astronautes de la Mission Apollo 17: un aller sans retour.
  • Son fils ne veut plus que sa mère l'appelle Pierrot et demande à sa mère comment s'appelait son frère.
  • La mère a préparé des ballons multicolores et une banderole Joyeux Anniversaire, fait un de ces gâteaux au chocolat et au sirop, comme lui et son frère les aiment.
  • Le poisson manque de nourriture et Pierrot a oublié de lui en acheter.

 

Un des passés évoqués ne se répétera pas, il balbutiera. Rien ne sera plus jamais comme avant ce jour présent ni après un autre anniversaire dont le souvenir reste vif.

 

Francis Richard

 

Bitume d'août, Sandra Maeder, 160 pages, Éditions Encre Fraîche

Partager cet article
Repost0
16 mars 2024 6 16 /03 /mars /2024 18:50
La Gingolaise, de Laurence Voïta

Lors d'une recherche, Laurence Voïta, par hasard, a croisé l'extraordinaire destin de Charles Garain, qui en réalité était une femme, La Gingolaise1. À la fin de son roman, l'auteure publie le texte source de trois quatre pages en espagnol, à partir duquel elle a reconstitué l'histoire du petit Charles.

 

L'auteure se défend d'avoir écrit un roman historique. Ce serait plutôt le roman d'une vie singulière de femme que, femme du XXIe siècle, elle a voulu comprendre. Car, si l'Histoire avec un grand H a toute sa place dans ce roman, cette place, bien que très documentée, n'y est pas majuscule.


Le début de l'histoire? Cette Suissesse en habits d'homme a capitulé 2 pour cinq ans à Monthey, le 26 décembre 1780, pour aller combattre les Anglais en Espagne et leur reprendre, avec d'autres soldats suisses, l'île de Minorque.

 

La fin de l'histoire? Ce Suisse meurt d'une fracture ouverte à la jambe, le 26 décembre 1781, après y avoir reçu, sur un champ de bataille, un boulet, tiré dans son dos. C'est à ce moment-là qu'il s'avère que le petit Charles est une femme.

 

Si, grâce au texte source, le début et la fin d'une année de la vie de Charles sont connus, encore ignore-t-on, sinon dans les grandes lignes, l'entre-deux, qui permettrait de répondre aux deux questions que se posent la romancière:

  • Pourquoi une femme a-t-elle choisi de se travestir en homme?
  • Comment ce travestissement a-t-il pu duper son monde, un monde masculin?

 

À ces deux questions, l'auteure répond par la fiction, c'est-à-dire par des conjectures, qui, bien qu'élaborées plus de deux siècles plus tard par une femme d'un autre temps et d'autres moeurs, sont tout à fait plausibles. Pour les besoins de sa cause, elle baptise Charles Marie-Anne:

  • Marie Anne voulait être libre, pour échapper à sa condition, nonobstant sa petite taille, qui était en principe rédhibitoire pour les recruteurs, mais qu'elle fera oublier par sa bravoure dans les exercices et batailles militaires, d'où son surnom de petit Charles.
  • À seize ans, Marie Anne est imberbe et n'a toujours pas de saignements qui pourraient la démasquer; elle échappe par trois fois aux examens médicaux et parvient, ce qui n'est pas étonnant à l'époque, surtout dans la soldatesque, à ne jamais dévoiler sa nudité; mais comment Marie Anne faisait-elle pour pisser? Mystère.

 

L'entre-deux? C'est le voyage effectué par les recrues, depuis le lac Léman jusqu'à Minorque, par voie lacustre, fluviale, puis terrestre, enfin maritime. Ce sont les exercices militaires avant le départ le 18 juin 1781 pour Majorque et avant l'engagement contre les Anglais: comme pourrait dire Lao Tseu, l'important dans ce roman, ce n'est pas le voyage mais un destin qui a fasciné l'auteure et qui fascine le lecteur à son tour.  

 

Au début de l'histoire, Charles se lie d'amitié avec Martin, un homme de son âge, imaginé par l'auteure. Martin réapparaîtra les dernières semaines, ayant suivi les traces de Charles, qu'il admire; il sera certainement contrit qu'il lui ait menti sur son sexe, et devra comprendre que cette femme libre ne voulait certainement pas de sa protection, ni d'aucune autre.

 

Francis Richard

 

1- Native de Saint-Gingolph.

2- La capitulation est à l'époque un engagement militaire moyennant solde.

 

La Gingolaise, Laurence Voïta, 176 pages, Favre

 

Livres précédents aux Éditions Romann:

Vers vos vingt ans (2019)

... Au point 1230 (2020)

Personne ne sait que tu es là (2022)

 

Livre précédent aux Éditions Favre:

Aveuglément (2023)

Partager cet article
Repost0
14 mars 2024 4 14 /03 /mars /2024 19:40
La fille de diamant, d'Olivier Rigot

La soirée était torride, la musique, l'alcool, la température estivale et les tenues aidant, les buissons du jardin n'avaient pas tardé à bruisser de mille murmures pas forcément bucoliques.

 

Lors de cette soirée, Tim, Timothée Bastiant, fait la connaissance de Melania, une fille de l'Est. Il l'a ramenée chez lui pour un coup d'un soir qui n'a pas lieu, tous deux étant fortement alcoolisés. Quand Tim se réveille le dimanche matin, il est seul.

 

Tim est le rédacteur en chef et propriétaire de Time & Watches, une revue consacrée à l'industrie horlogère. Des entretiens avec les patrons de cette activité typiquement helvétique y sont publiés. Il n'a qu'une collaboratrice, Muriel, divorcée, deux enfants.

 

Plusieurs semaines après, alors que Tim a perdu la trace de Melania, il tombe sur elle lors d'un cocktail organisé par la boutique Chuberer, rue du Rhône. Une amie lui a donné son invitation. Ils boivent un verre, se séparent, mais elle lui demande sa carte.

 

Melania est sans le sou. Elle était hôtesse de l'air mais ne travaille plus dans l'aérien depuis la pandémie de Covid. Comme Tim s'est bien comporté avec elle, un jour, sans le sou et à la rue, au bout de ses droits au chômage, elle vient trouver refuge chez lui.

 

Pour lui venir en aide, Tim l'héberge en tout bien tout honneur, l'embauche dans sa revue, où cette polyglotte fait merveille auprès des patrons horlogers, notamment auprès d'Igor Petrakov, qui dirige la manufacture Georges Meyer jusque-là inconnue.

 

Petrakov lui propose un job qu'elle ne peut refuser: responsable de toutes les boutiques du groupe, disséminées dans des lieux insolites à travers la planète, ce qui va la faire voyager le plus clair de son temps, et la rendre indépendante, du moins le croit-elle.

 

L'essor de Georges Meyer est tel qu'il ne peut s'expliquer par la seule fabrication et vente de ses garde-temps1. Les trafics de diamants, qui les ornent, ou de cocaïne, ne sont-ils pas à l'origine de cet essor fulgurant et inexplicable par le seul management?

 

Olivier Rigot, parallèlement à l'histoire tumultueuse de Tim et Melania, raconte que Petrakov n'en est pas le réel patron et suggère que dans les lieux où l'entreprise tient boutique, elle pourrait bénéficier de ces activités qui sont autrement plus lucratives.

 

Melania, de par ses fonctions, va se trouver impliquée. Ce qui fera d'elle, malgré qu'elle en ait, La fille de diamant qui donne son titre au livre, dont le dénouement, après des péripéties rocambolesques, surprendra le lecteur: ce n'était pas ce qu'il croyait.

 

Francis Richard

 

1 - Horloges de haute précision.

 

La fille de diamant, Olivier Rigot, 278 pages, Slatkine

 

Livre précédent:

La fille aux cerfs-volants (2021)

Partager cet article
Repost0
12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 19:50
L'écriture racontée à mon père et autres essais, de Claire Genoux

Ce volume est composé de quatre essais relatifs à l'écriture:

  • L'écriture racontée à mon père
  • Jacques Chessex (1934-2009). Dans la classe d'écriture
  • La romancière est-elle une mère qui désobéit?
  • Discours de réception du Prix Eugène Rambert - Le 9 juin 2022.

 

Ils ont en point commun non seulement l'écriture, mais la clarté: l'auteure porte bien son prénom. Car clair est le style, claire la pensée, clairs les hommages à l'écriture, qui apporte aussi bien de la peine que de la satisfaction à celui qui tient la plume.

 

Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu Claire Genoux et je me rends compte qu'en ne lisant pas ses trois derniers livres, j'ai manqué quelque chose, d'autant que le quatrième essai du présent volume a récompensé le premier d'entre eux, Giulia1.

 

Dans le premier essai, l'auteure dit tout ce que l'écriture lui apporte et le dit, en imaginant que son père l'écoute et ordonne, poétiquement, ce qui est un réel ravissement pour le lecteur qui boit littéralement ses mots comme à une source d'eau pure.

 

Aussi le chroniqueur n'a-t-il que l'embarras du choix pour en donner un exemple. Car il est évidemment impossible de tout citer, bien que l'envie ne manque pas. Alors il choisit quelques extraits pour illustrer le propos et faire voir la texture:

 

  • Écrire n'est pas coudre des points de croix sur un coton délicat mais livrer une bataille. Car l'écrivain d'abord s'oppose à la langue et en est malheureux.

 

  • Les règles du bien écrire sont à disposition dans les manuels, non la musique, non la patience et non la grâce. Non l'engagement et la fidélité.

 

  • La vérité, l'écrivain ne la doit pas à son lecteur. Ce que ce dernier est en droit d'attendre est une révélation, dont la grande voile est l'imagination.

 

De Jacques Chessex, qui fut son prof, l'auteure révèle qu'il n'enseignait pas l'écriture, mais, une heure durant, disait à ses élèves: écrivez. Si bien que certains de ses élèves avaient l'impression de n'avoir rien fait, tandis que lui s'isolait:

 

  • vous plongé, concentré à vos pages une heure passait au calme, une heure avec les oiseaux, une heure avec les mots et vous, pas la peine de vous parler demander quoique ce soit, vous écriviez

 

Est-il compatible d'être mère et écrivain? L'auteure en est la preuve, car elle a su concilier les deux femmes en elle, celle qui s'occupe du ménage et des vaisselles, des taches quotidiennes, de son enfant, et celle qui écrit, ce qui exige du silence et du temps:

 

  •  Elle a désiré l'enfant, elle a choisi de ne pas s'en tenir à l'écriture seule parce qu'une mère a déjà déposé en elle la matière d'une langue. Un trésor. Grâce à la présence de l'enfant elle en déchiffre les infinis secrets.

 

Dans son discours de réception du Prix Eugène Rambert, cette grâce qui lui a été faite, elle revient sur le combat que l'écrivain livre quand il se met à écrire, ce qui est d'autant plus vrai pour Giulia, qui occupe une place particulière dans son parcours:

 

  • Écrire est une aventure à ses risques et périls. On n'écrit pas avec des idées mais avec des mots et les mots ne travaillent pas toujours en notre faveur, les mots parfois travaillent contre nous. Ils sont remplis comme des outres prêtes à exploser. Prêts à bondir comme des fauves qu'il ne s'agit pas de dompter, ni de domestiquer, il faut leur laisser leur liberté sauvage, leur fureur, leurs aspérités et leurs angles.

 

Il y a quelque chose de merveilleux dans la rencontre entre un écrivain et un lecteur. Finalement, les deux y trouvent leur compte. En dépit des difficultés à écrire ou à lire que l'un et l'autre connaissent, le bonheur de l'un fait le bonheur de l'autre. 

 

Francis Richard

 

1 - Je ne l'ai jamais reçu en service de presse et j'ai la mauvaise excuse du surcroît de travail de ma dernière année d'activité professionnelle pour ne pas avoir pris le temps de l'acquérir...

 

L'écriture racontée à mon père et autres essais, Claire Genoux, 136 pages, BSN Press

 

Livres précédents chez Bernard Campiche Éditeur:

Faire feu (2013)

La barrière des peaux (2014)

Orpheline (2016)

 

Livre précédent aux Éditions Corti:

Lynx (2018)

Partager cet article
Repost0
11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 19:40
Un Animal Sauvage, de Joël Dicker

Les animaux sauvages sont comme les hommes. On peut les amadouer, les grimer, les déguiser. On peut les nourrir d'amour et d'espoir. Mais on ne peut pas changer leur nature.

 

Dans Un Animal Sauvage, Joël Dicker illustre ce constat essentiel de manière inattendue, car il faut que le lecteur prenne sa lecture en patience pour découvrir quel est l'animal sauvage de l'histoire.

 

La patience du lecteur n'est toutefois pas mise à trop lourde épreuve parce que l'auteur sait très bien comment s'y prendre pour qu'il ait envie d'aller jusqu'au bout du voyage, un voyage d'agrément.

 

Il y a en fait cinq personnages qui se disputent son attention: deux couples et un tiers perturbateur qui se double d'un manipulateur hors pair: ce fut jadis le dompteur de l'animal sauvage en question.

 

L'histoire est celle d'un braquage opéré à Genève le 2 juillet 2022, des vingt jours qui le précèdent et de faits situés bien plus loin dans le temps et qui en sont en quelque sorte la genèse explicative. 

 

Les deux couples habitent la commune huppée de Cologny. Ils sont voisins, mais ils ne sont pas du même monde, ce qui ne va pas les empêcher de bientôt se fréquenter et de mêler leurs existences.

 

Sophie et Arpad Braun vivent dans un grand cube, tout en verre, qui est entouré par un jardin impeccable, avec piscine et grande terrasse: le couple idéal, les parents comblés de deux enfants merveilleux.

 

Sophie et Arpad travaillent dans le centre de Genève, elle comme avocate à la tête de son propre cabinet, lui comme cadre dans une banque privée: c'est lui qui assure le train de vie du couple, un grand train.

 

Karine et Greg Liégean, plus modestes, vivent avec leurs deux enfants dans une résidence pour classe moyenne, une petite grappe de maisons mitoyennes, que les autres habitants du lieu surnomment la verrue.

 

Karine travaille dans une boutique de mode au centre de Genève, située pas loin du cabinet de Sophie. Greg est policier, le meilleur élément du groupe d'intervention, dont il aspire à devenir un jour le chef.

 

Sous des apparences respectables, tous ces personnages, hormis peut-être Karine, ont leur part d'ombre: ces ombres vont générer les péripéties d'un roman qui n'est pas un remède lénifiant pour insomniaques. 

 

Francis Richard

 

Un animal sauvage, Joël Dicker, 400 pages, Rosie & Wolfe

 

Livres précédents:

 

Les derniers jours de nos pères (2012)

La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (2012)

Le Livre des Baltimore (2015)

La Disparition de Stephanie Mailer (2018)

Le Tigre (2019)

L'Énigme de la Chambre 622 (2020)

L'affaire Alaska Sanders (2022)

Partager cet article
Repost0
5 mars 2024 2 05 /03 /mars /2024 23:05
La Saison des mouches, de Daniel Abimi

Bis repetita non placent1, voilà ce que le lecteur a envie de dire après avoir lu, en hors d'oeuvre, le fait divers qui donne tout de suite le la au roman de Daniel Abimi, lequel connaît bien le sujet des heures les plus sombres...

 

Le 19 février 20022, en effet, une tuerie avait déjà eu lieu dans le cinéma Moderne à Lausanne, où sont projetés des films X. Cette fois, un été, caniculaire, La Saison des mouches, une fusillade y fait plusieurs victimes.

 

Tout laisse à penser que c'est un attentat. Car le tueur, in fine, s'est suicidé en se faisant sauter. Mais, a-t-il agi seul? Est-ce un attentat djihadiste, ou, comme les armes retrouvées datent de la dernière guerre, d'un attentat néo-nazi?

 

Ce serait mal connaître l'auteur de croire qu'avec lui les choses sont  simples. Quoi qu'il en soit, le lecteur a un avantage sur les enquêteurs: lui il connaît tout de suite l'identité du tueur, Émile Jaques, sans savoir quels sont ses mobiles.

 

Deux hommes, qui sont souvent en relation et s'apprécient, mènent l'enquête chacun de son côté dans la ville de Lausanne en ébullition, l'inspecteur Mariani et le journaliste Michel Rod, chacun d'eux rendant des comptes à sa hiérarchie.

 

Les deux hommes sont très différents: Mariani n'était pas à proprement parler heureux, mais il se levait chaque matin et rentrait le soir retrouver les siens; Rod, inscrit sur un site de rencontres, jamais ne s'était senti aussi déprimé.

 

Ce qui va apporter une dimension planétaire à ce fait divers local et donner une mauvaise image de la Suisse, réputée être un havre de paix, c'est que la fusillade a été filmée avec une GoPro et largement diffusée sur les réseaux sociaux.

 

Il est donc impossible à la police de cacher longtemps ce massacre que des âmes trop sensibles ne sauraient voir. Si Mariani suit un temps la piste d'extrême-droite avant d'être dubitatif, Rod s'intéresse aux victimes du cinéma porno.

 

Comme les choses sont vraisemblablement plus compliquées qu'elles n'apparaissent d'emblée, les deux pistes semblent au lecteur l'une comme l'autre prometteuses, le en même temps pourrait bien être ici de circonstance. Encore que...

 

Comme Daniel Abimi ne se contente pas de rester à la surface des choses et qu'il aime raconter les dessous de la ville de Lausanne, dont les habitants reconnaîtront les lieux, il gratte le vernis et révèle avec maestria ce qu'il y a dessous.

 

Tous ses personnages sont très humains, même quand ils ne le sont pas vraiment, et ses deux protagonistes découvriront la solution, malgré qu'ils en aient, de par les liens entretenus par leurs ascendants avec ceux qui tirent les ficelles.

 

Daniel Abimi aime bien faire languir le lecteur. Aussi une piste suggérée peut-elle en cacher une autre, et la croix gammée, la croix chrétienne, parce que les deux symboles jalonnent son récit sans que, longtemps, l'on sache pourquoi. 

 

Francis Richard

 

1 - Les choses répétées ne plaisent pas.

2 - Voir l'article du Temps, publié le 22 février 2002.

 

La Saison des mouches, Daniel Abimi, 456 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents chez Bernard Campiche Editeur:

Le cadeau de Noël (2012)

Le baron (2015)

 

Livre précédent chez BSN Press, avec Émilie Boré:

Bora Bora dream (2017)

Partager cet article
Repost0
2 mars 2024 6 02 /03 /mars /2024 23:55
Comment ça va pas?, de Delphine Horvilleur

Le sous-titre est éloquent: Conversations après le 7 octobre. D'autant que Delphine Horvilleur est rabbin. Comme est éloquent le fait que le livre commence par une citation d'un poète palestinien, Mahmoud Darwich, et qu'il se termine par une citation d'un poète israélien, Yehuda Amichaï.

 

Onze conversations composent ce livre. Elles ont pour toile de fond ce qui s'est passé le sinistre 7 octobre 2023. Comme il est difficile d'exprimer de toutes la quintessence, il convient, au risque d'éprouver un sentiment d'incomplétude, d'opérer parmi elles un choix subjectif mais suggestif.

 

Dans Conversation avec ma douleur, l'auteure écrit:

Depuis le 7 octobre, où que nous nous trouvions et quels que soient nos interlocuteurs ou la situation à affronter, je pense que, dans toutes les langues, il faut parler yiddish. Ne vous y méprenez pas, ce n'est pas la langue des juifs. C'est celle des hommes qui perçoivent, des profondeurs du désespoir, que leur humanité chancelante demande à être sauvée.

Car ce patois protéiforme offre la capacité très juive de savoir se plaindre avec humour.

 

Dans Conversation avec mes grands-parents, elle se rappelle que son grand-père, agrégé de lettres classiques, en juif parfaitement assimilé, ne voulait pas parler yiddish et lui disait: Il existe assez de mots français pour décrire avec précision ta douleur ou ta solitude. Au contraire sa grand-mère se taisait toujours et son mutisme absolu utilisait exclusivement [le yiddish], [la langue] des survivants.

 

Dans Conversation avec la paranoïa juive, elle explique que cette pathologie reviendra tout simplement parce que ce qui la déclenche ne disparaîtra jamais: Elle dit la peur et la conscience de la menace.

Elle le sait bien parce qu'elle est issue de deux familles juives: celle de son père, où des non-juifs ont risqué leur vie pour elle, celle de sa mère, où parents et enfants sont partis en cendre dans les cheminées d'Auschwitz.

Depuis le 7 octobre, c'est l'histoire de la famille de sa mère qui a repris de la vigueur.

 

Dans Conversation avec Claude François, de l'au-delà, son grand-père lui parle d'une règle de grammaire extraordinaire en hébreu où une lettre inverse à elle toute seule la temporalité de la phrase, tandis que sa grand-mère interprète cette règle comme le lien entre ce qu'on a vécu dans le passé et ce qui se passe aujourd'hui.

Selon cette dernière, dans sa chanson, Ça s'en va et ça revient, Claude François parlerait d'eux, les juifs.

 

Dans Conversation avec les antiracistes, elle remarque que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme ne sont plus indissociables:

Aujourd'hui, la haine contre les juifs s'alimente, de façon paradoxale, de l'antiracisme affiché. On y fait un raccourci génial: soyons du côté des faibles, des victimes et des vulnérables. Le problème est que dans le catalogue des faibles, il y a beaucoup de monde... mais que les juifs n'apparaissent nulle part. Bizarre, bizarre... même quand ils sont assassinés, défenestrés, brûlés, torturés ou kidnappés, rien ne suffit à les rendre assez faibles ou dignes d'être protégés.

 

Dans Conversation avec mes enfants, elle émet une hypothèse pour expliquer l'attitude des féministes à l'égard du sort réservé à des Israéliennes le 7 octobre:

Le juif est devenu un mâle qui fait le mal.

[...]

Peut-être que les femmes violées, assassinées ou brûlées vives étaient un peu trop masculines pour être défendues. Peut-être que le féminin est symboliquement du côté palestinien, même quand des terroristes se livrent à des crimes sexuels. D'où un étrange silence des féministes, prêtes à abandonner les Israéliennes violées.

 

Dans Conversation avec ceux qui me font du bien, elle révèle qu'avant le 7 octobre, elle n'était pas insomniaque et que, depuis, heureusement, certaines conversations amicales [la] sauvent de la noyade. Elle évoque notamment sa conversation, à l'instigation d'une journaliste, avec Kamel Daoud, qui rappelle les douleurs de l'Algérie ensanglantée, les 200 000 morts de la décennie noire:

Ils n'intéressent pas grand monde. Mais qu'y peut-on? Ils ne vivent pas au Proche-Orient et ce n'est quand même pas de ma faute s'ils n'ont pas été tués par des juifs...

 

Dans Conversation avec le Messie, qui se dit en hébreu Mesiah' (qui a deux significations: oint et être en conversation), elle écrit, refusant de n'entendre que les voix qui hurlent d'un côté ou de l'autre:

Avec tant d'autres, je cherche les mots qui diraient vraiment aux Palestiniens ET aux Israéliens que jamais leur douleur ne me laissera indifférente, que l'on peut et que l'on doit pleurer avec les uns ET les autres.

Elle se demande comment nous pourrions inventer une autre langue, pour dire "comment ça va pas":

Se le dire les uns et autres et pas juste chacun de son côté.

Aussi veut-elle croire qu'il existe un autre messianisme que celui qui mène à la catastrophe, un messianisme qui dit, au contraire, qu'il existe un avenir pour ceux qui pensent à l'autre, pour ceux qui dialoguent les uns avec les autres, et avec l'Humanité en eux

 

Francis Richard

 

Comment ça va pas?, Delphine Horvilleur, 160 pages, Grasset

 

Livres précédents:

 

Réflexions sur la question antisémite (2019)

Vivre avec nos morts (2021)

Il n'y a pas de Ajar (2023)

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens