Un incident technique m'a malencontreusement empêché la semaine dernière d'assister à la première de Peepshow dans les Alpes, de Markus Köbeli, au Théâtre du Château, à La Tour-de-Peilz. Comme je n'ai malheureusement pas tant de disponibilités, il m'a fallu attendre jusqu'à hier soir pour assister à une représentation de cette comédie tragique.
En effet si on rit beaucoup tout au long de cette pièce comique, mise en scène par Steve Riccard, assisté de Jean-Philippe Weiss, le fond de l'histoire est finalement assez sinistre. Mais, de toute façon, ne retrouve-t-on pas ce mélange de côtés drôlatiques et sombres dans la vraie vie?
Dans la famille Holzer, il y a le père, Hans (Gilles Thibault), la mère, Martha (Ingrid Sartoretti), la fille, Anna (Carole Epiney), le fils, Hans junior (Olivier Lambelet), et le grand-père, Hans senior (Jean-Philippe Weiss), de quatre-vingt-dix ans, suivant la traduction de l'allemand en français de Jean Lonay...
La famille Holzer est une famille de paysans, qui vit dans un village de la Suisse profonde, Kleinseelen, où le temps semble s'être arrêté. Le grand-père en a été jadis président du conseil municipal, parce que c'était lui qui avait le plus de vaches dans son étable...
Le grand-père est muet, assis dans un fauteuil roulant. Il a eu son heure de gloire locale: champion du Concours annuel de tir à l'arc. Sa coupe est, depuis, perchée tout en haut du buffet de la salle de repas de la ferme, qui sert de décor à la pièce (les décors et la régie sont de Noël Baye). Hans senior y est maintenant devenu une sorte de meuble, au coeur battant grâce à "un pacemaker flambant neuf", qu'on déplace quand nécessaire et qui menace de s'affaisser régulièrement.
Hans, le père, est le seigneur et maître de la ferme. Il fume des cigarillos. Il regarde la télé. Il ne se pose pas de questions existentielles: "Il faut prendre les choses comme elles viennent. Parce que ça vient comme ça vient. C'est tout simple. Ça a toujours été!" Il est cultivateur, avec maintenant une seule vache à l'étable... En hiver, il n'a pas grand chose à faire sinon laisser le temps s'écouler... Il est fataliste: être cultivateur ne rapporte plus comme au temps de grand-père...
Martha, la mère, est comme la Marthe de l'évangile. Elle est la servante de son seigneur et maître. Il demande à boire, elle remplit son verre. La fumée de son cigare menace de tomber sur le tapis, qui est délicat et où "on voit la moindre tache", elle apporte un cendrier. Il demande quand on sert la soupe, elle apporte le manger. Elle se contente de ce qu'elle a, de faire des mots croisés et de colporter les potins du village...
Hans junior, le fils, est de son temps. Il a fait un apprentissage de mécanicien. Il essaie de faire bouger les choses. En hiver, les touristes ne font que s'arrêter au pissoir du Rocher de la Cascade avant de repartir. Pourquoi ne pas faire quelque chose pour les retenir, et qui rapporterait? D'autant qu'ils viennent pour avoir de l'air frais et qu'ils donneraient cher pour vivre la vie saine de la campagne.
Anna, la fille, s'ennuie ferme, si j'ose, à Kleinseelen. Alors, quand elle est dehors, elle s'assied sur une pierre et regarde droit devant elle jusqu'à ce que ce qui l'entoure disparaisse et que son esprit s'évade. Au contraire de son père, qui répète, les pieds et les jambes dans ses bottes, qu'il ne faut pas penser mais agir, elle réfléchit et dit à un moment donné: "Suis-je comme je suis parce que je suis ici? Ou bien suis-je ce que je suis parce que c'est moi et que je suis comme ça?"...
Pour faire bouger les choses. Hans junior a donc une idée qui peut rapporter gros. Les touristes viendraient les regarder vivre par la fenêtre, c'est-à-dire regarder "un environnement intact", "une belle région et un monde qui n'a pas bougé", bref ce serait Un peepshow dans les Alpes. Il leur suffirait d'être eux-mêmes. Ils n'auraient rien de spécial à faire, sinon jouer ce qu'ils sont. Plus facile à dire qu'à faire...
En effet ils répètent avant de se donner en spectacle, mais la sauce ne prend pas. Alors, ils imaginent d'inventer quelque chose, quelque chose d'excitant. Seulement, quoi? Leurs suggestions sont toutes plus saugrenues les unes que les autres. Ils se rabattent donc sur une histoire de paysans, écrite jadis par un écrivain pour l'inauguration du nouveau gymnase...
Ce qui devait être la représentation de la vie saine d'une bonne famille de paysans helvètes se transforme d'abord en interprétation d'une pièce en habits folkoriques (les costumes sont de Marianne Braconnier), écrite par quelqu'un qui est peu soucieux des vraisemblances, où chacun joue le rôle d'un personnage qui n'est pas le sien: Hans junior devient Jacob, Anna devient Lise etc. Puis le peepshow se transforme encore et prend une tout autre tournure, les membres de la famille portant désormais perruques et jouant en
k...
De glissement en glissement, afin de donner aux touristes ce qu'ils veulent voir et de leur en donner pour leur argent, le peepshow actuel n'a plus rien à voir avec le projet originel. Alors que les Holzer souhaitaient montrer aux touristes de passage ce qu'était la vie préservée du monde moderne d'une famille d'un village de montagne, ils offrent le spectacle dénaturé, grimaçant, automatique, d'un monde complètement caricatural, susceptible de n'attirer que les payants de voyeurs.
Il faut saluer la performance des comédiens, parce qu'ils sont amenés à jouer à plusieurs reprises des scènes qui se ressemblent, avec des variantes, mais qui reprennent les mêmes séquences, lesquelles ne font que s'altérer au fil du déroulement de ce peepshow. Si, certes, on rit de bon coeur au début grâce à eux, imprégnés qu'ils sont de leurs rôles archétypiques et dérisoires, on rit toujours à la fin grâce à eux, mais ce rire est de plus en nerveux, comme s'il devenait nécessaire de rire pour supporter ce qui ressemble à un naufrage.
Francis Richard
Du 21 au 31 mai 2015:
Les jeudis, vendredis et samedis à 20h30
Les dimanches à 17h30
http://www.theatre-du-chateau.ch
Adresse:
Théâtre du Château
Rte du Château 7
1814 La-Tour-de-Peilz
Tél: 079 411 50 59