La science économique n'est pas une science comme les autres, si l'on entend par autres sciences celles de la nature, telles que la physique.
Pour les tenants de l'école autrichienne d'économie, et notamment ceux qui sont dans la lignée de Ludwig von Mises, il s'agit d'une science a priori, comme la logique ou les mathématiques.
Ludwig von Mises ne fait que reprendre à son compte ce qu'ont dit avant lui Jean-Baptiste Say, Carl Menger, Eugen von Böhm-Bawerk ou Friedrich von Wieser, sans qu'ils aient pour autant employé le mot a priori.
Les méthodes scientifiques employées pour les sciences dites de la nature ne peuvent lui être appliquées, telles que l'empirisme et l'historicisme.
Exemples de déclarations et de propositions économiques
Hans-Hermann Hoppe donnent six exemples de déclarations et de propositions économiques qui ne sont pas tirées a posteriori de l'expérience ni de l'histoire.
Ces six déclarations et propositions font pourtant partie, parmi d'autres, des conditions nécessaires à toute compréhension de l'économie que Mises définit comme science de l'action humaine.
L'échange volontaire:
Chaque fois que deux personnes A et B se lancent dans un échange volontaire, il est sûr que toutes deux s’attendent à en tirer profit. Et il faut que leurs ordres de préférence envers les biens et services échangés soient inversés, de sorte que A valorise davantage ce qu’il reçoit de B que ce qu’il lui donne, et que B valorise les mêmes choses dans l’autre sens.
L'échange forcé:
Toute fois qu’un échange n’est pas vo-lontaire, mais forcé, l’un en profite au détriment de l’autre.
Loi de l'utilité marginale:
Chaque fois que la quan-tité d’un bien augmente d’une unité additionnelle, pourvu que chaque unité soit vue comme d’égale utilité par la per-sonne, la valeur estimée de cette unité est moindre. Car cette unité additionnelle ne peut être employée que comme moyen d’atteindre un but jugé de moindre valeur que le but de moindre valeur satisfait par une unité de ce bien si la quantité était inférieure d’une unité.
Loi ricardienne d'association:
Soit deux producteurs ; si A est plus productif que B dans la production de deux types de biens, ils peuvent encore se lancer dans une division du travail mutuellement bénéfique. C’est parce que la productivité physique globale est plus élevée si A se spécialise dans la production d’un bien qu’il peut produire le plus effi-cacement plutôt que si A et B produisent chacun les deux biens séparément et indépendamment.
Le salaire minimum:
Toute fois que des lois de sa-laire minimum sont appliquées, exigeant des salaires plus élevés que ceux existant sur le marché, un chômage invo-lontaire en résulte.
La monnaie:
Chaque fois que la quantité de monnaie est augmentée alors que la demande de monnaie gardée en réserve de liquide reste inchangée, le pouvoir d’achat de la monnaie baissera.
La méthodologie autrichienne
Pour l'établissement de ces déclarations et propositions, Ludwig von Mises emploie une méthodologie, qu'il appelle praxéologie, c'est-à-dire logique de l'action.
L'idée qu'il en a est clairement influencée par Kant:
Selon Kant, les mathématiques et la géométrie apportent des exemples de propositions synthétiques a priori vraies. Mais il pense aussi d’une proposition telle que le principe général de causalité, c’est-à-dire l’affirmation qu’il existe des causes opératoires invariantes dans le temps et que tout évé-nement est part d’un réseau de telles causes, qu’elle est une proposition synthétique a priori vraie.
Comment trouve-t-on les propositions synthétiques a priori vraies?
En réfléchissant sur soi-même, nous dit Kant, en se comprenant comme sujet connaissant. Et ce fait — que la vérité des propositions syn-thétiques a priori découle in fine d’une expérience interne, issue de la réflexion — explique aussi pourquoi il est possible que de telles propositions aient le statut de comprises comme nécessairement vraies.
En quoi cette idée a-t-elle été améliorée par Mises?
Le kantisme a été l’objet d’une querelle classique, reprochant à cette philosophie d’im-pliquer une sorte d’idéalisme. Mises répond à ce reproche par sa réalisation que l'action est le pont entre l'esprit et la réalité extérieure et pose l'axiome de l'action: les hommes agissent.
L'axiome de l'action
La grande intuition de Mises fut que le raisonnement éco-nomique a son plein fondement juste dans cette compréhen-sion de l’action ; et que le statut de l’économie comme type de logique appliquée découle du statut de proposition synthé-tique a priori vraie qu’a l’axiome de l’action. Les lois de l’échange, la loi de l’utilité marginale décroissante, la loi ri-cardienne d’association, la loi du contrôle des prix et la théo-rie quantitative de la monnaie — tous les exemples de propo-sitions économiques que j’ai mentionnés — peuvent être logi-quement déduits de cet axiome.
Hans Hermann Hoppe, avec Ludwig von Mises, démontre que l'empirisme et son scepticisme, l'historicisme et son relativisme, ne permettent pas de comprendre l'économie:
- Il n'est pas besoin de tests empiriques continus pour valider des propositions économiques: leur validation [...] remonte in fine au seul axiome indiscutable de l'action.
- Il existe bien des relations constantes et invariables en économie.
Un second axiome
Hans-Hermann Hoppe introduit un second axiome:
Le second axiome est appelé « l’a priori de l’argumentation », qui affirme que les humains sont capables d’argumentation et donc connaissent la signification de la vérité et de la validité.
Les deux axiomes sont intimement liés:
D’un côté, les actions sont plus fondamentales que les argumentations, dont l’existence laisse émerger l’idée de validité, l’argumentation n’étant qu’une sous-classe de l’action. D’un autre côté, reconnaître ce qui vient de l’être concernant l’action et l’argumentation et leur relation réci-proque exige une argumentation, et donc, en ce sens, l’argu-mentation doit être considérée comme plus fondamentale que l’action : sans argumentation, on ne peut rien dire à propos de l’action.
A partir de là Hans-Hermann Hoppe peut reconstruire la tâche de l’épistémologie plus précisément comme celle de formuler des propositions qui sont indiscutables argumentativement, au sens que leur vérité est déjà impliquée dans le fait même de faire valoir son argu-ment et ne peut donc pas être rejetée argumentativement ; et de délimiter le champ de telles connaissances a priori du do-maine des propositions dont la validité ne peut être établie de cette manière, mais nécessite des informations supplémen-taires et contraintes pour leur validation, ou qui ne peuvent être validées du tout, telles de simples déclarations métaphy-siques au sens péjoratif du terme ‘métaphysique’.
Conclusion
L'objectif de Hans-Hermann Hoppe, avec ce livre publié en 1995, fut de réaffirmer la dé-claration de Mises selon laquelle l’économie est la praxéolo-gie ; que la thèse de la praxéologie est indiscutable ; et que les interprétations empiristes ou historicistes-herméneutiques de l’économie sont des doctrines contradictoires. Et mon objectif fut d’indiquer que l’éclairage misessien envers la nature de la praxéologie fournit également la base même sur laquelle la philosophie rationaliste traditionnelle peut être reconstruite avec succès, et systématiquement intégrée.
Francis Richard
Science économique et méthodologie autrichienne, Hans-Hermann Hoppe, 88 pages, Institut Coppet (traduit par Stéphane Geyres)
Livre précédent:
La grande fiction - L'État, cet imposteur (2017)
Livres précédents de la Bibliothèque autrichienne:
La constitution de la liberté, Friedrich Hayek:
III La liberté dans l'État-providence - Annexe: pourquoi je ne suis pas un conservateur
La présomption fatale, Friedrich Hayek
L'École autrichienne d'économie, Jesús Huerta de Soto
Abrégé de La Route de la servitude de Friedrich Hayek
Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises
Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler
Nation, État et Économie, Ludwig von Mises
L'économie en une leçon, Henry Hazlitt
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