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9 août 2019 5 09 /08 /août /2019 19:55
Science économique et méthodologie autrichienne, de Hans-Hermann Hoppe

La science économique n'est pas une science comme les autres, si l'on entend par autres sciences celles de la nature, telles que la physique.

 

Pour les tenants de l'école autrichienne d'économie, et notamment ceux qui sont dans la lignée de Ludwig von Mises, il s'agit d'une science a priori, comme la logique ou les mathématiques.

 

Ludwig von Mises ne fait que reprendre à son compte ce qu'ont dit avant lui Jean-Baptiste Say, Carl Menger, Eugen von Böhm-Bawerk ou Friedrich von Wieser, sans qu'ils aient pour autant employé le mot a priori.

 

Les méthodes scientifiques employées pour les sciences dites de la nature ne peuvent lui être appliquées, telles que l'empirisme et l'historicisme.

 

 

Exemples de déclarations et de propositions économiques

 

Hans-Hermann Hoppe donnent six exemples de déclarations et de propositions économiques qui ne sont pas tirées a posteriori de l'expérience ni de l'histoire.

 

Ces six déclarations et propositions font pourtant partie, parmi d'autres, des conditions nécessaires à toute compréhension de l'économie que Mises définit comme science de l'action humaine.

 

L'échange volontaire:

 

Chaque fois que deux personnes A et B se lancent dans un échange volontaire, il est sûr que toutes deux s’attendent à en tirer profit. Et il faut que leurs ordres de préférence envers les biens et services échangés soient inversés, de sorte que A valorise davantage ce qu’il reçoit de B que ce qu’il lui donne, et que B valorise les mêmes choses dans l’autre sens.

 

L'échange forcé:

 

Toute fois qu’un échange n’est pas vo-lontaire, mais forcé, l’un en profite au détriment de l’autre. 

 

Loi de l'utilité marginale:

 

Chaque fois que la quan-tité d’un bien augmente d’une unité additionnelle, pourvu que chaque unité soit vue comme d’égale utilité par la per-sonne, la valeur estimée de cette unité est moindre. Car cette unité additionnelle ne peut être employée que comme moyen d’atteindre un but jugé de moindre valeur que le but de moindre valeur satisfait par une unité de ce bien si la quantité était inférieure d’une unité.

 

Loi ricardienne d'association:

 

Soit deux producteurs ; si A est plus productif que B dans la production de deux types de biens, ils peuvent encore se lancer dans une division du travail mutuellement bénéfique. C’est parce que la productivité physique globale est plus élevée si A se spécialise dans la production d’un bien qu’il peut produire le plus effi-cacement plutôt que si A et B produisent chacun les deux biens séparément et indépendamment.

 

Le salaire minimum:

 

Toute fois que des lois de sa-laire minimum sont appliquées, exigeant des salaires plus élevés que ceux existant sur le marché, un chômage invo-lontaire en résulte.

 

La monnaie:

 

Chaque fois que la quantité de monnaie est augmentée alors que la demande de monnaie gardée en réserve de liquide reste inchangée, le pouvoir d’achat de la monnaie baissera.
 

 

La méthodologie autrichienne

 

Pour l'établissement de ces déclarations et propositions, Ludwig von Mises emploie une méthodologie, qu'il appelle praxéologie, c'est-à-dire logique de l'action.

 

L'idée qu'il en a est clairement influencée par Kant:

 

Selon Kant, les mathématiques et la géométrie apportent des exemples de propositions synthétiques a priori vraies. Mais il pense aussi d’une proposition telle que le principe général de causalité, c’est-à-dire l’affirmation qu’il existe des causes opératoires invariantes dans le temps et que tout évé-nement est part d’un réseau de telles causes, qu’elle est une proposition synthétique a priori vraie.

 

Comment trouve-t-on les propositions synthétiques a priori vraies?

 

En réfléchissant sur soi-même, nous dit Kant, en se comprenant comme sujet connaissant. Et ce fait — que la vérité des propositions syn-thétiques a priori découle in fine d’une expérience interne, issue de la réflexion — explique aussi pourquoi il est possible que de telles propositions aient le statut de comprises comme nécessairement vraies.

 

En quoi cette idée a-t-elle été améliorée par Mises?

 

Le kantisme a été l’objet d’une querelle classique, reprochant à cette philosophie d’im-pliquer une sorte d’idéalisme. Mises répond à ce reproche par sa réalisation que l'action est le pont entre l'esprit et la réalité extérieure et pose l'axiome de l'action: les hommes agissent.

 

 

L'axiome de l'action

 

La grande intuition de Mises fut que le raisonnement éco-nomique a son plein fondement juste dans cette compréhen-sion de l’action ; et que le statut de l’économie comme type de logique appliquée découle du statut de proposition synthé-tique a priori vraie qu’a l’axiome de l’action. Les lois de l’échange, la loi de l’utilité marginale décroissante, la loi ri-cardienne d’association, la loi du contrôle des prix et la théo-rie quantitative de la monnaie — tous les exemples de propo-sitions économiques que j’ai mentionnés — peuvent être logi-quement déduits de cet axiome.

 

Hans Hermann Hoppe, avec Ludwig von Mises, démontre que l'empirisme et son scepticisme, l'historicisme et son relativisme, ne permettent pas de comprendre l'économie:

 

- Il n'est pas besoin de tests empiriques continus pour valider des propositions économiques: leur validation [...] remonte in fine au seul axiome indiscutable de l'action.

 

- Il existe bien des relations constantes et invariables en économie.

 

 

Un second axiome

 

Hans-Hermann Hoppe introduit un second axiome:

 

Le second axiome est appelé « l’a priori de l’argumentation », qui affirme que les humains sont capables d’argumentation et donc connaissent la signification de la vérité et de la validité.

 

Les deux axiomes sont intimement liés:

 

D’un côté, les actions sont plus fondamentales que les argumentations, dont l’existence laisse émerger l’idée de validité, l’argumentation n’étant qu’une sous-classe de l’action. D’un autre côté, reconnaître ce qui vient de l’être concernant l’action et l’argumentation et leur relation réci-proque exige une argumentation, et donc, en ce sens, l’argu-mentation doit être considérée comme plus fondamentale que l’action : sans argumentation, on ne peut rien dire à propos de l’action.

 

A partir de là Hans-Hermann Hoppe peut reconstruire la tâche de l’épistémologie plus précisément comme celle de formuler des propositions qui sont indiscutables argumentativement, au sens que leur vérité est déjà impliquée dans le fait même de faire valoir son argu-ment et ne peut donc pas être rejetée argumentativement ; et de délimiter le champ de telles connaissances a priori du do-maine des propositions dont la validité ne peut être établie de cette manière, mais nécessite des informations supplémen-taires et contraintes pour leur validation, ou qui ne peuvent être validées du tout, telles de simples déclarations métaphy-siques au sens péjoratif du terme ‘métaphysique’.

 

Conclusion

 

L'objectif de Hans-Hermann Hoppe, avec ce livre publié en 1995, fut de réaffirmer la dé-claration de Mises selon laquelle l’économie est la praxéolo-gie ; que la thèse de la praxéologie est indiscutable ; et que les interprétations empiristes ou historicistes-herméneutiques de l’économie sont des doctrines contradictoires. Et mon objectif fut d’indiquer que l’éclairage misessien envers la nature de la praxéologie fournit également la base même sur laquelle la philosophie rationaliste traditionnelle peut être reconstruite avec succès, et systématiquement intégrée.

 

Francis Richard

 

Science économique et méthodologie autrichienne, Hans-Hermann Hoppe, 88 pages, Institut Coppet (traduit par Stéphane Geyres)

 

Livre précédent:

La grande fiction - L'État, cet imposteur (2017)

 

Livres précédents de la Bibliothèque autrichienne:

 

La constitution de la liberté, Friedrich Hayek:

I La valeur de la liberté

II La liberté et le droit

III La liberté dans l'État-providence - Annexe: pourquoi je ne suis pas un conservateur

 

La présomption fatale, Friedrich Hayek

L'École autrichienne d'économie, Jesús Huerta de Soto

Abrégé de La Route de la servitude de Friedrich Hayek

Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises

Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler

Nation, État et Économie, Ludwig von Mises

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt

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27 juillet 2019 6 27 /07 /juillet /2019 18:50
La constitution de la liberté, de Friedrich Hayek: III La liberté dans l'État-providence

La première partie de La constitution de la liberté, cet ouvrage majeur de Friedrich Hayek, est consacrée à La valeur de la liberté et la deuxième à La liberté et le droit.

 

Voici un aperçu de la troisième et dernière partie:

 

III La liberté dans l'État-providence

 

L'État-providence

 

Le socialisme ayant échoué dans sa forme originelle, appropriation collective des moyens de production et utilisation de ceux-ci "en vue des besoins et non du profit", nombre d'anciens socialistes ont compris qu'il serait plus facile d'opérer la redistribution des revenus en accroissant le "contrôle étatique" sur ce qui reste nominalement l'industrie "privée".

 

Hayek n'est pas opposé à ce que l'État contribue à la réalisation d'objectifs désirables qui ne pourraient pas être atteints autrement, à condition que ces activités sociales ne soient pas une menace pour la liberté, c'est-à-dire à condition que, présentées comme de simples activités de service, elles [ne] constituent [pas] en réalité un exercice du pouvoir coercitif de l'État, et reposent sur la prétention de l'État à des droits exclusifs sur certains domaines.

 

Exemples de menaces pour la liberté

 

- Les syndicats quand ils sont pourvus de privilèges uniques (adhésion obligatoire, contrats de closed shop ou d'union shop) et quand ne leur sont pas applicables les règles générales du Droit (piquets de grèves, grèves de soutien, hausses de salaires nominaux imposées, qui ont d'inévitables répercussions inflationnistes et provoquent des distorsions sur le marché du travail, se traduisant par du chômage).

 

- La sécurité sociale quand elle n'est plus un filet de sécurité temporaire (pour prévenir le dénuement et procurer un minimum de bien-être) mais un instrument monopolistique de redistribution forcée de revenus sur la base d'un principe d'allocation selon le besoin, sans tenir compte d'une obligation contractuelle: Les gens [...] sont pris en charge indépendamment du fait qu'ils soient pauvres ou non, et indépendamment du fait qu'ils aient ou non contribué à se prémunir.

 

(Hayek souligne par exemple le fardeau promis aux générations futures du fait du refus de toute assurance-vieillesse et de son remplacement par une répartition par l'État: Lorsque les prestations sont versées, elles ne sont pas financées par les revenus d'un capital additionnel accumulé à cette fin [...] mais le sont par le transfert du fruit du travail de ceux qui sont en activité)

 

- La fiscalité quand elle est progressive, donc incompatible avec des institutions de liberté: avec des taux élevés, elle est un moyen pratique de déterminer une plus juste distribution de revenus.

 

(Lorsque [...] le soi-disant principe adopté n'est rien de plus qu'une invitation ouverte à la discrimination [à l'encontre des riches] et, pis encore, une invitation à l'oppression d'une minorité par une majorité, ce soi-disant principe ne peut que devenir prétexte à l'arbitraire pur et simple)

 

- La politique monétaire quand elle est inflationniste, parce qu'elle conduit à des contrôles étatiques toujours plus nombreux et que les exemples de contrôles par l'État-providence, examinés ci-dessus, tendent eux-mêmes à encourager l'inflation, aux effets néfastes et dangereux.

 

(L'important pour nous est de bien comprendre que, lorsque la dépense publique représente une portion considérable du revenu national comme c'est le cas partout aujourd'hui, le gouvernement ne peut que dominer la politique monétaire)

 

- Le logement quand les loyers sont réglementés parce que la réglementation contribue à l'affaiblissement du respect de la propriété et du sens de la responsabilité personnelle et que toute fixation du loyer au-dessous de son prix du marché perpétue inévitablement la pénurie de logement.

 

- L'agriculture quand elle est aidée parce que les ajustements qui lui permettraient de devenir viable ne se font pas: L'agriculteur ou le paysan, pour prospérer, doit peu à peu devenir un entrepreneur.

 

(L'alternative pour la population rurale serait de devenir toujours davantage la faune d'une sorte de parc national, un ensemble de gens étranges entretenus pour peupler le paysage, délibérément privés de la possibilité de s'adapter mentalement et techniquement à un mode de vie qui les rendrait économiquement autonomes)

 

- L'éducation quand elle est soumise en totalité à une direction centrale, alors qu'il est possible de couvrir les frais d'éducation générale avec des fonds publics, sans conserver le système d'écoles publiques: en donnant aux parents des bons couvrant les coûts d'éducation de chaque enfant qu'ils pourraient remettre à l'école de leur choix.

 

- La recherche quand la gestion des fonds est aux mains d'une seule autorité, alors qu'il est certain que la multiplicité des dotations privées consacrées à des champs restreints (ce qui est le cas au moment où écrit Hayek) est l'un des traits les plus prometteurs de la situation aux États-Unis.

 

A la fin du chapitre qu'il consacre à l'éducation et à la recherche, Hayek écrit ceci qui résume en quelque sorte sa philosophie:

 

Le but ultime de la liberté est l'élargissement des capacités qui permettent à l'homme de surpasser ses ancêtres et à chaque génération de tenter d'ajouter sa contribution à l'accroissement du savoir et à l'amélioration des convictions morales et esthétiques, activités dans lesquelles nul être supérieur ne doit être autorisé à imposer ses vues concernant ce qui est juste ou bénéfique et dans lesquelles seule l'expérience accumulée peut décider de ce qui doit prévaloir.

 

Annexe: pourquoi je ne suis pas un conservateur

 

Cette annexe est importante parce qu'elle est une des clés pour la compréhension de l'ouvrage.

 

Hayek n'est ni socialiste, ni conservateur, il est libéral:

 

- Il n'est pas conservateur en ce qu'il n'a pas peur du changement et qu'il ne remet pas en cause la démocratie: Démocratie et pouvoir illimité sont connexes. Ce qui est blâmable là n'est pas la démocratie, mais la non-limitation du pouvoir.

 

- Ce qui distingue le libéralisme du socialisme ou du conservatisme est l'idée que les convictions morales qui concernent des aspects du comportement personnel n'affectant pas directement la sphère protégée des autres personnes, ne justifient aucune intervention coercitive.

 

- A la différence du libéralisme qui croit fondamentalement au pouvoir à long terme des idées, le conservatisme est prisonnier du stock des idées héritées.

 

- On peut relier à la méfiance du conservateur envers le nouveau et l'inhabituel, son hostilité envers l'internationalisme et son penchant pour le nationalisme le plus strident.

 

(Hayek précise: Le fait que je préfère certaines traditions de mon pays, et que j'éprouve du respect pour elles, ne saurait être la cause d'une quelconque hostilité envers ce qui est étranger et différent)

 

- Si profondes soient ses convictions religieuses, le libéral ne se considérera jamais en droit de les imposer à autrui.

 

Même si le terme de libéral a des acceptions aujourd'hui contradictoires, Hayek se définit comme tel et ne se dit pas libertarien parce qu'il trouve le terme peu attrayant et qu'il lui reproche de sentir l'artificiel et le succédané. 

 

En fait Hayek est du parti de la vie, du parti qui défend la croissance libre et l'évolution spontanée:

 

La foi dans la liberté intégrale se fonde essentiellement sur une attitude de préparation de l'avenir, et non sur un attachement nostalgique aux temps révolus, ou sur une admiration romantique pour ce qui a été.

 

Francis Richard

 

La constitution de la liberté, Friedrich Hayek, 548 pages, Institut Coppet (traduit par Raoul Audoin)

 

Livres précédents de la Bibliothèque autrichienne:

 

La présomption fatale, Friedrich Hayek

L'École autrichienne d'économie, Jesús Huerta de Soto

Abrégé de La Route de la servitude de Friedrich Hayek

Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises

Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler

Nation, État et Économie, Ludwig von Mises

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt

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19 juillet 2019 5 19 /07 /juillet /2019 18:25
La constitution de la liberté, de Friedrich Hayek: II La liberté et le droit

La première partie de La constitution de la liberté, cet ouvrage majeur de Friedrich Hayek, est consacrée à La valeur de la liberté.

 

Voici un aperçu de la deuxième partie:

 

 

II La liberté et le droit

 

 

La coercition

 

La coercition s'exerce sur nous de deux façons bien différentes: soit nous sommes obligés d'agir par les circonstances, soit nous y sommes forcés par quelqu'un d'autre. Si nous continuons d'agir, cela signifie que nous pouvons encore choisir, mais que nous ne pouvons le faire sans dommage.

 

S'il s'agit des circonstances, il n'y a évidemment pas de malveillance. S'il s'agit d'autrui, il faut distinguer le pouvoir de la coercition: Ce n'est pas le pouvoir en lui-même - la capacité de parvenir à ce qu'on cherche - qui est un mal, mais seulement le pouvoir exercé sur d'autres pour les obliger à servir ses desseins propres en les menaçant de punition.

 

Toutefois, par exemple, il n'y a rien de mal dans le pouvoir du directeur d'une grande entreprise dont les membres ont volontairement uni leurs efforts dans un but qui leur convient. Le mot important ici est volontairement: dans une société libre [...], chacun peut décider à qui rendre service et sous quelles conditions. Ce n'est pas la volonté de quelqu'un d'autre qui guide alors ses actes.

 

La sphère privée, la propriété et les contrats

 

Pour se trouver à l'abri des formes les plus graves de coercition par d'autres, les hommes ont trouvé une solution, la constitution d'une sphère privée: ils ont adopté des règles générales gouvernant les conditions dans lesquels tels objets ou tels rapports juridiques entrent dans la sphère protégée d'une personne ou d'un groupe de personnes.

 

Parmi ces règles générales, il y a la propriété privée ou propriété plurielle (expression que Hayek préfère): nous sommes rarement à même de suivre un plan d'action cohérent si nous ne sommes assurés de disposer exclusivement de certains objets; ou si nous n'en disposons pas, il nous faut savoir qui en dispose, pour que nous puissions collaborer avec nos semblables.

 

La collaboration avec nos semblables se fait par l'établissement de contrats: La condition décisive pour une collaboration mutuellement avantageuse, fondée sur le consentement volontaire et non sur la coercition, est que nombreux soient les gens qui peuvent servir les besoins de chacun, de sorte que personne ne dépende de détenteurs uniques de certains moyens vitaux ou de certaines possibilités de développement.

 

Dans une société libre, les règles générales ne sont pas destinées à faire accomplir par les gens des actions spécifiques mais à les détourner de faire certaines choses préjudiciables aux autres et à leur faire respecter les obligations qu'ils ont volontairement acceptées. Pour ce faire la menace de coercition est souvent suffisante. S'il faut employer la coercition, il faut que pour les gens cet emploi soit prévisible. Ce sera le cas pour prévenir les actes de violence, de fraude ou de tromperie.

 

 

Loi, commandements et ordres

 

Hayek distingue les règles spécifiques et concrètes des règles générales et abstraites. Les premières sont caractéristiques des sociétés primitives et les secondes des sociétés qui cultivent la liberté individuelle. Les premières sont à proprement parler des commandements, les secondes des lois: dans le premier cas, la conduite à suivre est déterminée par celui qui donne l'ordre, dans le second par celui qui exécute:

 

Lorsque nous obéissons à des lois, entendues comme des règles abstraites, générales, indépendantes des cas particuliers, nous ne sommes pas assujettis à la volonté d'un autre et par conséquent nous sommes libres. C'est parce que le législateur ne sait rien des cas particuliers auxquels s'appliqueront ces règles, et parce que le juge qui les fait respecter ne peut faire autrement que de statuer selon le corps du Droit en vigueur et les données de fait qu'il juge, qu'il est possible de dire que le règne des lois n'est pas le règne d'hommes.

 

Le règne des lois permet à tout individu d'utiliser pleinement ses connaissances, en particulier la connaissance concrète et souvent unique qu'il a de certaines circonstances de temps et de lieu: Le Droit dit à un individu sur quoi il peut compter, et élargit ainsi le champ à l'intérieur duquel il peut prévoir les conséquences de ses actions. En même temps, le Droit lui dit quelles conséquences de ses actions il devra prendre en compte, et quelles responsabilités il pourra encourir.

 

L'ordre n'exige pas que certains commandent et que les autres obéissent: L'une des réussites majeures de la théorie économique a été d'expliquer comment un ajustement mutuel des activités spontanées d'individus se trouve réalisé par le marché, pourvu que chaque personne connaisse les frontières de sa sphère d'autonomie. La compréhension de ce mécanisme d'ajustement constitue la partie la plus importante des données nécessaires à l'élaboration des règles générales limitant l'action individuelle.

 

 

L'État de droit

 

Hayek fait remonter la source de l'État de droit (le gouvernement de la loi et non des hommes), à l'Athènes antique où le terme d'isonomie apparaît, c'est-à-dire l'égalité devant la loi. Cette distinction entre gouvernement des lois et gouvernement des hommes se retrouve dans la Rome de la République jusqu'à ce que le socialisme étatique de l'Empire se répande et serve ultérieurement de modèle sur le Continent. Toutefois, en Angleterre, où la grande influence que les auteurs classiques acquirent sous le règne d'Elizabeth contribua à préparer la voie d'une évolution différente. 

 

Avec la Glorieuse Révolution de 1688, qui survient au terme de cette évolution, pour protéger l'idéal de souveraineté de la loi, prennent corps deux conceptions: l'idée d'une constitution écrite et le principe de la séparation des pouvoirs. A la fin du XVIIIe, sous l'influence de la tradition française, est introduit le désir de refaire de fonds en comble le droit et les institutions sur la base de principes rationnels. L'idéal français de liberté politique évince l'idéal anglais de liberté individuelle.

 

En Amérique, l'idéal anglais de liberté individuelle est repris par les colons insurgés qui  mettent en pratique une constitution destinée à limiter le pouvoir, notamment en le divisant par le fédéralisme et en limitant le contenu des lois soumises à des principes, et à protéger l'individu contre toute coercition arbitraire, en énumérant de façon non exhaustive les droits conservés par le peuple et en instaurant un pourvoi pour inconstitutionnalité auprès de la Cour suprême.

 

Enfin, en Allemagne, dans la première partie du XIXe est développée la conception théorique du Rechtsstaat qui s'oppose à l'existence d'organismes quasiment judiciaires inclus dans la machinerie administrative, et destinés essentiellement à surveiller l'exécution de la loi, plutôt qu'à protéger la liberté individuelle. A condition que soit poursuivi l'idéal de suprématie du droit, l'établissement de tribunaux administratifs indépendants, doit permettre le parachèvement du règne de la loi.

 

 

La liberté individuelle

 

L'État de droit n'a donc d'autre objet que de garantir la liberté individuelle:

 

- Le gouvernement ne doit jamais exercer de contrainte sur l'individu sinon pour assurer l'observation d'une règle connue: Il constitue une limitation des pouvoirs de tout gouvernement, y compris les pouvoirs du législateur.

 

- Les lois doivent être connues et certaines: Ce qui est essentiel est que les décisions de justice soient prévisibles, et non que toutes les règles dont elles s'inspirent soient énoncées noir sur blanc.

 

- Toute loi doit s'appliquer de manière égale à tous: Y compris à ceux qui gouvernent.

 

- Dans tous les cas où une action gouvernementale empiète sur la sphère privée d'un individu, les tribunaux doivent pouvoir décider non seulement si l'action contestée était infra vires ou ultra vires [dans la limite de ses pouvoirs ou en dehors d'elle], mais aussi si la nature de la décision administrative était conforme à ce que la loi exigeait.

 

(il ne peut y avoir de restriction de la liberté individuelle que dans des cas exceptionnels, comme en cas de guerre)

 

 

Les domaines d'intervention de l'État

 

Hayek ne pense pas que certaines activités de l'État soient incompatibles avec l'État de droit:

 

- Une société libre implique non seulement que l'État ait le monopole de l'usage de la coercition, mais qu'il n'ait d'autre monopole que celui-là et, qu'à tous égards, il opère dans les mêmes conditions que tout le monde.

 

- S'il n'y a guère de raisons pour [que l'État] s'immisce dans la plupart des branches d'activité, il existe aussi des domaines où son action est incontestablement souhaitable: Relèvent de cette catégorie tous les services [...] qui ne sont pas fournis par l'entreprise concurrentielle parce qu'il serait soit impossible, soit difficile de faire payer les bénéficiaires.

 

Mais sont exclues par principe les mesures qui ne sont pas exercées conformément à des règles et qui impliquent nécessairement une discrimination arbitraire entre des personnes, par exemple, le contrôle des prix et, par conséquent, des quantités.

 

L'État doit faire respecter les contrats, mais pas n'importe lesquels: Les contrats à teneur criminelle ou immorale, les contrats tacites entre joueurs, les contrats visant à restreindre la concurrence, les contrats permettant de s'assurer sans limitation de durée des services d'une personne, et même certains contrats stipulant des résultats spécifiques, n'ont pas à être appuyés par la puissance publique.

 

L'État ne doit pas poursuivre de justice distributive: La justice distributive requiert l'allocation de toutes les ressources par une autorité centrale; elle requiert qu'on dise aux gens quoi faire et quelles fins servir.

 

 

Le déclin du droit

 

Même si, au moment où il écrit ce livre, Hayek voit les signes d'un retour en force des principes du droit, dès la fin du XIXe ceux-ci sont en déclin: en Allemagne, en Angleterre, en Amérique même. Le principal mouvement qui remet en cause l'État de droit tel que défini ci-dessus est le positivisme juridique, opposé à la théorie du droit naturel:

 

Toutes les écoles du droit naturel [bien qu'elles soutiennent des thèses souvent très différentes] s'accordent sur l'existence de règles qui ne sont pas issues du cerveau d'un législateur. Elles admettent que toute loi positive tire sa validité de certaines règles qui n'ont pas été effectivement faites par les hommes mais qui peuvent être "découvertes"; et que ces règles fournissent à la fois le critère de la justice du droit positif, et le fondement de l'obéissance que lui doivent les hommes.

 

A contrario pour les tenants du positivisme juridique, la loi, par définition, consiste exclusivement en commandements délibérés émanant d'une volonté humaine. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que l'État de droit et la liberté individuelle, étant indissociables, disparaissent dans les pays où le premier est devenu un concept purement formel: l'Allemagne hitlérienne, l'Italie fasciste et la Russie communiste. Et que, dans les pays dits démocratiques, le concept glisse vers le socialisme ou une sorte d'État-providence

 

Francis Richard

 

La constitution de la liberté, Friedrich Hayek, 548 pages, Institut Coppet (traduit par Raoul Audoin)

 

Livres précédents de la Bibliothèque autrichienne:

 

La présomption fatale, Friedrich Hayek

L'École autrichienne d'économie, Jesús Huerta de Soto

Abrégé de La Route de la servitude de Friedrich Hayek

Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises

Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler

Nation, État et Économie, Ludwig von Mises

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt

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10 juillet 2019 3 10 /07 /juillet /2019 21:30
La constitution de la liberté, de Friedrich Hayek: I La valeur de la liberté

La constitution de la liberté, paru en 1960, comprend trois parties:

 

I La valeur de la liberté

II La liberté et le droit

III La liberté dans l'État-providence

 

Et une annexe:

 

Pourquoi je ne suis pas un conservateur

 

Ce premier article consacré à cet ouvrage majeur de Friedrich Hayek est relatif à la première partie.

 

I La valeur de la liberté

 

Définition de la liberté

 

Friedrich Hayek adopte la définition traditionnelle de la liberté: indépendance par rapport à la volonté arbitraire d'un autre.

 

Il ne la définit donc pas comme le fait d'avoir le choix.

 

Il précise cette définition en disant ce qu'elle n'est pas:

- la liberté n'est pas de faire ce que l'on veut

- la liberté n'est pas assimilable au pouvoir ni à la richesse

 

La coercition ne peut être complètement évitée, mais elle n'est admissible que si elle est conforme à des règles connues, ce qui n'est pas la même chose que si elle est un moyen d'obliger les individus à servir les fins d'autrui.

 

L'ignorance et l'imprévisible

 

La civilisation?

 

La civilisation commence lorsque l'individu, dans la poursuite de ses objectifs, peut faire usage de plus de savoir qu'il n'en a acquis par lui-même, peut franchir largement les frontières de son ignorance, en profitant de connaissances qu'il ne possède pas.

 

Cette ignorance diminue-t-elle?

 

Plus nous devenons civilisés, plus s'accroît la relative ignorance de l'individu sur les faits dont dépend la bonne marche de la civilisation. La division de la connaissance en elle-même accentue la nécessaire ignorance de chaque individu sur l'essentiel de la connaissance.

 

L'homme est conscient de l'accumulation et de la diffusion de la connaissance dans le domaine de la science, mais il n'est pas conscient pas de la connaissance acquise en se servant d'outils (ou règles) façonnés par les générations précédentes.

 

Ces outils, ce sont des traditions et des institutions. Ils ne sont pas pour autant figés. Ils évoluent quand la conjoncture change, ce qui rend nécessaire une modification dans l'emploi des ressources, dans la direction et la nature des activités des individus, leurs habitudes et pratiques:

 

De la multitude inchiffrable d'humbles retouches effectuées par des inconnus dans le cours de leurs activités familières ressortent les exemples qui vont prévaloir. Ces menues rectifications sont aussi importantes que les innovations intellectuelles majeures, explicitement reconnues comme telles et diffusées.

 

Ce qui va conduire à la meilleure méthode est imprévisible. Pour que, justement, le processus fonctionne bien, la liberté individuelle est essentielle afin de laisser la place à l'imprévisible, à ce que nul ne peut prédire:

 

La justification de la liberté individuelle se fonde principalement sur le constat de notre inévitable ignorance concernant un grand nombre des facteurs dont dépend la possibilité de réaliser la plupart de nos objectifs, ainsi que notre bien-être.

 

De ce fait ni une personne ni un groupe ne peut délibérément bâtir la civilisation, elle résulte d'efforts mutuellement ajustés de gens nombreux:

 

C'est parce que la liberté signifie absence du contrôle des efforts individuels qu'une société libre peut compter sur un savoir plus vaste que celui que pourrait comprendre le législateur le plus sage.

 

C'est pourquoi la raison a des limites: ceux qui exaltent la raison humaine ne voient pas que pour qu'un progrès prenne place, le processus social d'où émerge la croissance de la raison doit rester indépendant de celle-ci.

 

Le progrès

 

Le progrès est en effet un processus de formation et de modification de l'intellect humain, suite d'adaptations et d'apprentissages au cours desquels un changement permanent s'opère non seulement dans notre connaissance de nouvelles possibilités, mais aussi dans nos valeurs et nos désirs.

 

Le progrès ne peut donc être planifié.

 

De plus le progrès n'est pas possible sans inégalité: Un progrès soutenu ne peut avancer de manière uniforme, et ne peut se faire que par percées, certains éléments allant loin en avant du reste.

 

Ce qui peut se résumer par cette formule de Gabriel Tarde: Les articles de luxe d'aujourd'hui sont le nécessaire de demain.

 

Il y a deux façons différentes de réduire les inégalités:

- à court terme en prenant aux riches pour améliorer le sort des pauvres, mais cela se traduit par un ralentissement du niveau de vie de l'ensemble de la population,

- à long terme en permettant l'ascension de quelques uns, ce qui aggrave au début les inégalités, mais, plus tard, les réduit grâce à la poursuite du progrès.

 

Raison et tradition

 

Il y a deux théories de la liberté. L'une se base sur la raison, l'autre sur la tradition.

 

Traits de la théorie de la liberté basée sur la raison (et le perfectionnisme de la rationalité):

- elle est spéculative et rationaliste,

- elle est d'origine française: les Encyclopédistes, Rousseau, les Physiocrates, Condorcet,

- elle fait résulter la survie des institutions d'un dessein préconçu, c'est-à-dire d'une invention par la raison humaine: les institutions utiles sont des constructions délibérées de l'esprit (exemple: Sparte),

- elle présuppose que l'homme est originellement doté des caractères tant intellectuels que moraux qui lui [ont permis] de façonner délibérément la civilisation: action rationnelle, intelligence et bonté,

 

Traits de la théorie de la liberté basée sur la tradition (et la faillibilité de l'homme):

- elle est empirique, non systématique,

- elle est d'origine britannique, enracinée dans la jurisprudence de la Common Law: David Hume, Adam Smith, Adam Ferguson, Josiah Tucker, Edmund Burke et William Paley,

- elle fait résulter la survie des institutions de leur réussite, de la croissance cumulative de la morale, du langage et du droit (exemples: Rome, Athènes)

- elle observe que la civilisation est le résultat cumulé d'essais et d'erreurs.

 

Les tenants de cette théorie n'excluent pas pour autant la raison, insuffisante à dominer dans tous ses détails une réalité complexe: il faut seulement l'utiliser intelligemment et préserver à cet effet son indispensable moule de spontané et d'irrationnel.

 

Responsabilité et liberté

 

Responsabilité et liberté sont indissociables dans une société libre:

- l'individu doit supporter les conséquences de ses actes, et en recevoir louange ou blâme,

- cette responsabilité ne se cantonne nullement dans les obligations sanctionnées par la loi,

- cette responsabilité ne s'applique qu'à ceux qui peuvent être tenus pour responsables, et non aux enfants, aux débiles mentaux ou aux déments,

- cette responsabilité ne veut pas dire altruisme indistinct,

- cette responsabilité est individuelle, jamais collective.

 

Une des conséquences est que dans une société libre nous sommes rémunérés non pas pour une aptitude, mais pour son emploi à bon escient.

 

Égalité, valeur et mérite

 

Seule est compatible avec la liberté l'égalité devant les règles générales du droit et du comportementL'égalité devant la loi, que requiert la liberté, conduit à l'inégalité matérielle.

 

Dans une société libre, pour que [dans une famille] soit assurée la transmission morale et intellectuelle, une certaine continuité du niveau et du mode de vie est à coup sûr essentielle; or, elle n'est possible que si on peut transmettre non seulement les biens immatériels, mais aussi les biens matériels.

 

L'inégalité matérielle se retrouve aussi dans les rémunérations. Dans une société libre, elles sont non pas proportionnées au mérite, mais aux satisfactions apportées aux autres: car ce qui est attendu des gens, c'est qu'ils engendrent un maximum d'utilité avec un minimum de peines et de sacrifices - c'est-à-dire avec un minimum de mérite.

 

Il ne faut pas confondre valeur et mérite:

- La valeur pour autrui des capacités ou services de la personne, et de ce qu'elle reçoit en retour, ont peu de rapport avec ce qu'on peut appeler un mérite moral ou un service rendu.

- Le mérite n'est pas une affaire de produit objectif, mais d'effort subjectif.

 

La règle majoritaire

 

Les doctrines du libéralisme et de la démocratie pour ce qui concerne la loi ne sont pas les mêmes:

 

Le libéralisme est une doctrine concernant ce que la loi devrait être, la démocratie concernant la façon de déterminer la loi.

 

Autrement dit le libéralisme accepte la règle majoritaire en tant que méthode de décision, mais non comme ayant autorité pour dire ce que devrait être la décision.

 

Or il ne faut pas confondre cet idéal libéral avec l'idéal démocratique: Pour le démocrate doctrinaire, le fait que la majorité veuille quelque chose est une raison suffisante pour considérer cette chose comme bonne; pour lui, la volonté de la majorité fait non seulement la loi, mais ce qui est la bonne loi.

 

Pour le démocrate doctrinaire tout peut être soumis à la règle majoritaire, la démocratie étant considérée comme une fin, alors que pour le libéral il y a des limites aux questions à résoudre ainsi, la démocratie étant considérée comme un moyen.

 

A ce stade, Hayek, qui reprend le sujet en deuxième partie de son livre, remarque: Bien que la démocratie soit probablement la meilleure sorte de gouvernement limité, elle devient une absurde caricature si elle se change en gouvernement illimité.

 

Hayek constate enfin que le nombre de salariés dans la population active s'accroît tandis que le nombre de personnes indépendantes diminue.

 

Or ce sont les salariés, du fait de la règle majoritaire, qui établissent désormais la législation, aux dépens des indépendants qui les emploient, ou pas, qui ont des moyens et dont ils ne sont pas à même de comprendre le rôle dans la création de richesses matérielles et immatérielles:

 

C'est l'une des grandes tragédies de notre temps, que les masses en sont venues, d'une part, à croire qu'elles ont acquis leur niveau élevé de confort matériel en tirant vers le bas la classe riche; d'autre part, à craindre que la survivance d'une telle classe, ou l'émergence d'une autre semblable, ne les dépouille de progrès futurs qu'elle considèrent comme leur revenant légitimement.

 

Francis Richard

 

N.B.  A propos des deux théories de la liberté, Friedrich Hayek précise bien qu'à celle française basée sur la raison il faut rattacher Hobbes et, à celle britannique basée sur la tradition, Montesquieu, Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville...

 

La constitution de la liberté, Friedrich Hayek, 548 pages, Institut Coppet (traduit par Raoul Audoin)

 

Livres précédents de la Bibliothèque autrichienne:

 

La présomption fatale, Friedrich Hayek

L'École autrichienne d'économie, Jesús Huerta de Soto

Abrégé de La Route de la servitude de Friedrich Hayek

Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises

Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler

Nation, État et Économie, Ludwig von Mises

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt

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29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 19:00
La présomption fatale, de Friedrich Hayek

L'objet de Friedrich Hayek, avec La présomption fatale, est de montrer que ce qu'il appelle ordre étendu ou ordre spontané résulte de l'observance de règles générales et abstraites et qu'il ne peut être atteint par un contrôle central.

 

Ces règles sont des règles apprises au cours de l'évolution culturelle. Elles ne sont ni innées, ni rationnelles. Elles sont le résultat d'une sélection évolutionnaire, comme en biologie. Et se situent entre l'instinct et la raison.

 

Elles ne sont pas naturelles dans le sens qu'elles ne sont pas innées. Elles ne sont pas rationnelles dans le sens qu'elles ne répondent pas aux exigences de la raison et sont, bien souvent, incomprises par les plus intelligents...

 

Les rousseauistes sont les adeptes de la morale innée, ou morale instinctive, qui se caractérise par la solidarité, l'altruisme, la décision de groupe, etc. qui, mises en pratique, ne permettent pas de maintenir l'ordre étendu.

 

Les rationalistes constructivistes ou les penseurs socialistes n'admettent que les règles qui sont scientifiquement démontrées, dont la finalité est clairement définie, dont les effets sont connus et qu'ils comprennent pleinement:

 

Ils ne voient pas rationnellement comment certaines limitations de la liberté individuelle reposant sur des règles légales et morales ont pu rendre possible un ordre plus grand et plus libre que celui qui pouvait être atteint par le biais du contrôle central.

 

(pour le comprendre, il leur faudrait avoir une meilleure connaissance de la théorie de l'évolution, de la biologie, de l'économie)

 

La morale traditionnelle est naturelle dans le sens qu'elle a été générée spontanément: elle n'est pas innée et n'est pas artificielle non plus (elle n'a pas été conçue de manière concertée par un ou des esprits humains).

 

La tradition morale ou morale évoluée reconnaît la propriété privée (Hayek lui préfère l'expression de propriété plurielle), l'épargne, l'échange, l'honnêteté, la fidélité en la parole donnée, le contrat, etc. qui ont permis l'ordre étendu.

 

La propriété plurielle est une des institutions de l'ordre étendu. Elle n'est pas égoïste:

 

Elle est globalement bénéfique en ce qu'elle transfère l'administration de la production des mains de quelques individus qui - quoi qu'ils puissent prétendre - ont une connaissance limitée, à un processus, l'ordre étendu, qui fait un usage maximal de la connaissance de tous, et apporte ainsi à ceux qui ne possèdent pas de propriété au moins autant qu'à ceux qui en possèdent une.

 

Le marché, avec l'expérimentation et la compétition, qui est une procédure de découverte, résulte de l'échange:

 

Le marché est la seule méthode connue de transmission d'informations qui permette aux individus d'évaluer les avantages comparatifs des différents usages de ressources dont ils ont une connaissance immédiate et au travers de l'usage desquelles, qu'ils le veuillent ou non, ils servent les besoins d'individus inconnus et éloignés. Cette connaissance dispersée est essentiellement dispersée, et ne pourrait à l'évidence, être collectée et transmise à une autorité chargée de la tâche de créer délibérément un ordre.

 

La présomption fatale est justement de vouloir instituer une autorité (sous forme inévitable de monopoles gouvernementaux qui rendent impossibles compétition et expérimentation) pour créer délibérément cet ordre et interférer dans le processus d'auto-organisation, empêchant par là même la sélection par l'évolution.

 

Comme l'écrit Hayek dans un appendice sur la superstition, à tout prendre, il vaut sûrement mieux pour le monde que les hommes doivent être droits pour de mauvais motifs que de les voir faire le mal avec les meilleures intentions...

 

Francis Richard

 

La présomption fatale - Les erreurs du socialisme, Friedrich Hayek, 250 pages, Institut Coppet (traduit par Raoul Audoin)

 

Livres précédents de la Bibliothèque autrichienne:

 

L'École autrichienne d'économie, Jesús Huerta de Soto

Abrégé de La Route de la servitude de Friedrich Hayek

Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises

Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler

Nation, État et Économie, Ludwig von Mises

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt

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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 15:30
L'École Autrichienne, de Jesús Huerta de Soto

Dans cet ouvrage, paru en espagnol en 2000, Jesús Huerta de Soto, rappelle d'abord les principes essentiels de l'École Autrichienne et l'importance pour elle de la connaissance et de la fonction entrepreneuriale.

 

Ensuite, à partir de ces prémices, il rappelle tout ce que la Science Économique lui doit comme apports théoriques au cours de l'Histoire depuis ses précurseurs catholiques espagnols jusqu'à aujourd'hui.

 

Enfin, il évoque tous les domaines d'études que sa méthodologie permet d'aborder aujourd'hui depuis sa renaissance en 1975, après que, pendant trois décennies, la synthèse néoclassique-keynésienne a dominé indûment.

 

 

Les principes essentiels

 

Pour énoncer ces principes l'auteur fait appel aux différences essentielles entre l'École Autrichienne et l'École Néoclassique:

 

- Les théoriciens autrichiens conçoivent la Science Économique comme une théorie de l'action plus que de la décision : dans la réalité, l'information n'est pas donnée à l'être humain, il doit la découvrir par un processus dynamique.

 

- Les biens, marchandises, les richesses et toutes les autres notions de la conduite ne sont pas des éléments de la nature, mais des éléments de l'esprit et de la conduite humaine: les restrictions de l'économie sont imposées par défaut de connaissance.

 

- Le monde réel est toujours en déséquilibre et la fonction principale de l'entrepreneur consiste à créer et à découvrir une nouvelle information, c'est-à-dire une occasion de gain qu'il n'avait pas remarquée jusque-là pour en tirer parti.

 

- S'il méconnaît cette occasion de gain, il commet une erreur entrepreneuriale pure; il doit, pour éliminer cette erreur, découvrir et saisir l'occasion de gain méconnue et c'est alors qu'il peut en tirer un profit entrepreneurial pur.  

 

- L'information, découverte et saisie par l'entrepreneur est subjective: c'est une connaissance pratique, importante, interprétée subjectivement, possédée et utilisée par l'acteur dans le contexte d'une action concrète.

 

- Une fois découverte et saisie par l'entrepreneur cette occasion de gain disparaît: il se produit un processus spontané de coordination, qui est tendance à l'équilibre du marché réel, équilibre jamais atteint, car ce processus ne s'arrête jamais.

 

De ces principes découlent chez les autrichiens:

 

- le caractère subjectif des coûts: le coût est la valeur subjective que donne l'acteur aux fins auxquelles il renonce quand il décide d'agir

 

- le formalisme verbal: il permet de recueillir les essences (das Wesen) des phénomènes économiques, ce que ne permet pas le langage mathématique

 

- l'impossibilité de faire des prédictions de détail: on peut prévoir les désajustements et les effets de dis-coordination sociale produits par la contrainte institutionnelle sur le marché (socialisme ou interventionnisme)

 

 

Connaissance et fonction entrepreneuriale

 

Les autrichiens distinguent deux types de connaissance:

 

- la connaissance pratique, éparpillée, tacite, d'événements uniques

 

- la connaissance scientifique, centralisée, explicite, de catégories

 

Ils donnent deux définitions de la fonction entrepreneuriale:

 

- Pour les autrichiens, la fonction d'entrepreneur, au sens large, coïncide avec l'action humaine elle-même.

 

- La fonction entrepreneuriale, au sens strict, consiste essentiellement à découvrir et à apprécier (prehendo) les occasions d'atteindre un but ou, si l'on veut, d'obtenir un gain ou un profit qui se présente, en agissant de façon à les saisir.

 

Le processus de coordination sociale, vu ci-dessus et qui fait disparaître l'occasion de gain, est un processus concurrentiel: la concurrence est en effet un processus dynamique de rivalité, qui n'a rien à voir avec la concurrence parfaite, modèle dans lequel de nombreux offrants font la même chose et vendent tous au même prix, c'est-à-dire dans lequel, paradoxalement, personne ne fait de concurrence.

 

La société est donc un processus:

 

- spontané, dessiné par personne

 

- très complexe, formé:

 

. de millions de personnes présentant une variété infinie d'objectifs, de goûts, de jugements, de connaissances pratiques

 

. de millions d'interactions humaines, qui sont toutes stimulées par la force de la fonction entrepreneuriale, qui, sans cesse, crée, découvre et transmet information et connaissance, en adaptant et en coordonnant de façon concurrentielle les plans contradictoires des hommes, et en permettant leur vie en commun avec un nombre et une richesse de nuances et d'éléments toujours croissants

 

Pour les autrichiens, l'objet de l'économie consiste à étudier ce processus dynamique de découverte et de transmission d'information, continuellement stimulé par la fonction entrepreneuriale et qui tend à adapter et à coordonner les plans des hommes, rendant ainsi possible leur vie en société.   

 

 

Les précurseurs espagnols

 

Les éléments fondamentaux du libéralisme économique ont été conçus par des dominicains et des jésuites de l'École de Salamanque au cours du Siècle d'Or espagnol, c'est-à-dire:

 

- la théorie subjective de la valeur

 

- la découverte de la relation exacte entre prix et coûts

 

- la nature dynamique du marché

 

- le concept dynamique de la concurrence

 

- la distorsion introduite par l'inflation

 

- le principe de la préférence temporelle (les biens présents ont plus de valeur que les biens futurs)

 

- la critique du système bancaire de réserve fractionnaire

 

- la découverte que les dépôts bancaires font partie de l'offre

 

- l'impossibilité d'organiser la société par des ordres coercitifs

 

- la violation du droit naturel par toute intervention injustifiée sur le marché

 

 

Les autrichiens

 

Le mérite principal de Carl Menger (1840-1921) a été de redécouvrir et de favoriser cette tradition continentale espagnole.

 

Ses apports essentiels auront été sa conception subjectiviste de chaque processus d'action humaine et son explication théorique de l'apparition spontanée et évolutive des institutions sociales à partir de cette conception.

 

Eugen Böhm-Bawerk (1851-1914) a étendu l'application de cette théorie subjective au domaine de la théorie du capital et de l'intérêt:

 

- le concept de capital peut se définir comme la valeur des biens d'investissements à prix de marché

 

- le taux d'intérêt est le prix de marché des biens présents en fonction des biens futurs

 

Ludwig von Mises (1881-1973) a été capable mieux qu'aucun autre membre de l'École Autrichienne, d'extraire l'essence du paradigme créé par Menger, et de l'appliquer à une série de secteurs économiques nouveaux...

 

Il a ainsi développé:

 

- une théorie de la monnaie et du crédit basée sur la conception subjectiviste de l'économie

 

- une théorie des cycles basée sur l'analyse des effets des manipulations de la monnaie et du crédit sur la structure des biens d'investissement

 

- une théorie sur l'impossibilité du socialisme en raison de la contrainte exercée sur la liberté d'agir, qui empêche l'apparition, dans l'esprit des acteurs individuels, de l'information nécessaire pour coordonner la société 

 

- une théorie sur la fonction entrepreneuriale dont l'élément essentiel réside dans la capacité créative de l'esprit humain qui dirige l'action et la création

 

- une méthode d'économie politique à partir d'un petit nombre d'axiomes fondamentaux qui sont inclus dans le concept d'action (le plus important d'entre eux est la catégorie même d'action)

 

Friedrich Hayek (1899-1992) a été l'une des figures intellectuelles les plus importantes du XXe siècle: philosophe, multidisciplinaire, grand penseur libéral et Prix Nobel d'Économie en 1974...

 

Ses apports essentiels sont:

 

- une théorie des cycles approfondie où il explique les crises des économies capitalistes par les changements monétaires qui affectent le processus productif en modifiant la structure de prix relatifs

 

- l'idée que la société est un ordre spontané, c'est-à-dire un processus dynamique en évolution constante, et qui naît de l'interaction continuelle de millions d'êtres humains, qui n'a pas été et ne pourra jamais être dessinée consciemment ou délibérément par personne

 

- une théorie juridique et politique où il montre que le socialisme, fondé sur l'agression institutionnalisée et systématique contre l'action humaine et exercée au moyen d'une série d'ordres ou directives coercitives [il les appelle législation par opposition au concept générique de droit], implique [...] la disparition du concept traditionnel de loi en tant que série de normes générales [...] et abstraites [avec pour conséquence le discrédit du concept de loi].

 

 

Renaissance de l'École Autrichienne

 

Après que le Prix Nobel d'Économie a été décerné à Friedrich Hayek en 1974 un nouvel élan a été donné à l'École Autrichienne d'Économie, qui, en outre, a bénéficié du discrédit des théories keynésienne et interventionnistes. Deux autrichiens ont joué un rôle protagoniste dans cette renaissance: Murray Rothbard et Israël Kirzner.

 

Aujourd'hui la recherche autrichienne s'intéresse à:

 

- la théorie de la coercition institutionnelle, qui est une généralisation de l'analyse du socialisme

 

- la théorie des prix, qui explique qu'ils se forment de façon dynamique et sont le résultat d'un processus  séquentiel et évolutif animé par la force de la fonction entrepreneuriale

 

- la théorie de la concurrence, qui s'entend comme un processus de rivalité nettement entrepreneuriale et où les problèmes de monopole pris dans leur sens traditionnel sont rendus inexistants

 

- la théorie du capital et de l'intérêt, qui part d'une conception subjectiviste où les processus de coordination microéconomiques observables dans le monde réel sont pris en compte

 

- la théorie de la monnaie, du crédit et des marchés financiers, domaine dans lequel l'interventionnisme est nocif, préjudiciel et responsable des récessions économiques successives

 

- la remise en cause des théories de la croissance et du sous-développement économique, du bien-être et des biens publics, qui sont toutes élaborées dans un contexte statique (qui n'existe pas dans le monde réel) et qui ne tiennent pas compte de la perspicacité et de la capacité créative de l'être humain

 

- la théorie de la population, où sa croissance n'est ni un frein ni un obstacle au développement économique, mais au contraire le moteur et la condition nécessaire pour qu'il se réalise

 

- l'analyse théorique de la justice et de l'éthique sociale qui critique le concept de justice sociale et qui montre que tout être humain a droit aux résultats de sa créativité entrepreneuriale

 

etc.

 

Jesùs Huerta de Soto donne une longue liste des théoriciens qui participent, ou ont participé, à cette renaissance de l'École Autrichienne dans des universités américaines ou européennes.

 

Il faut mettre au crédit de cette école d'économie deux prédictions qu'elle a été seule à faire au cours du XXe siècle:

 

- la Grande Dépression de 1929, prédite par l'Institut Autrichien d'Études de la Conjoncture, dirigé par Friedrich Hayek, comme résultat inexorable des excès monétaires et de crédit des "heureuses" années vingt qui suivirent la Première Guerre mondiale

 

- la chute du socialisme réel, implicite dans l'analyse de Mises de l'impossibilité du socialisme  

 

Avec l'auteur, il faut espérer que la méthodologie réaliste, féconde, humaniste, développée par l'École Autrichienne, ait une influence de plus en plus grande dans l'avenir de l'économie.

 

Francis Richard

 

L'École Autrichienne, Jesús Huerta de Soto, 188 pages, Institut Coppet (traduit de l'espagnol par Rosine Létinier)

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21 mars 2019 4 21 /03 /mars /2019 23:30
Abrégé de La route de la servitude de Friedrich Hayek

Comme l'explique Benoît Malbranque, président de l'Institut Coppet, dans sa préface, le livre détonnant de Friedrich Hayek, publié en 1944 (et inspiré de Tocqueville), n'aurait pas connu l'immense succès d'édition qu'il a eu sans cet abrégé paru dans le Reader's Digest en avril 1945.

 

Son auteur, Max Eastman, fut commissionné par la revue pour le faire. Sa diffusion à 600'000 exemplaires est à comparer aux 2'000 exemplaires de l'édition originelle, qui ne pouvait qu'être destinée à une petite caste d'intellectuels brillants. Pour la première fois, ce texte promoteur est publié en français.

 

Friedrich Hayek a compris qu'en Allemagne ce sont en grande partie des gens de bonne volonté qui, par leur politique socialiste, ont pavé la voie aux forces politiques qui défendent tout ce qu'ils détestent: les tendances socialistes du début du XXe ont eu pour résultat la montée du fascisme et ... du marxisme.

 

En concentrant le pouvoir économique au service d'un plan unique, au lieu qu'il soit exercé par une multitude, on accroît le pouvoir de l'homme sur l'homme que seul le système concurrentiel peut minimiser. Instrument du pouvoir politique, ce pouvoir crée un degré de dépendance qui se distingue à peine de l'esclavage.

 

L'individualisme repose sur le respect du christianisme pour l'homme individuel et sur la conviction qu'il est souhaitable que les hommes soient libres de développer leurs propres dons et leurs propres penchants. Les énergies libérées à partir de la Renaissance ont permis ainsi le merveilleux progrès de la science.

 

Ce succès du libéralisme a été paradoxalement la cause de son déclin au début du XXe: on croit pouvoir accélérer le progrès en remettant en cause les forces spontanées d'une société libre qui l'ont permis. On les remplace par une direction collective et "consciente" et on détruit la liberté en voulant faire de l'État le paradis sur terre.

 

Le libéralisme n'est pas un laissez-faire dogmatique. La concurrence ne peut en effet fonctionner de manière bénéfique que dans un cadre juridique mûrement réfléchi, sans qu'intervienne l'autorité de manière coercitive et arbitraire. Cette dernière ne réglemente que là où les conditions de la concurrence ne peuvent être créées.

 

Socialisme et liberté sont antinomiques, à moins de pervertir le sens du mot liberté, qui ne se définit plus vis-à-vis de la coercition, vis-à-vis du pouvoir des autres hommes. Dans l'acception socialiste, il signifie libération par rapport à la nécessité, relâchement de la contrainte des circonstances et, donc, redistribution de la richesse.

 

Seulement l'économie planifiée ne produit jamais les fruits espérés. Ce qu'on nous promet comme la Route de la Liberté est en fait l'autoroute de la servitude:

- La liberté individuelle ne peut être réconciliée avec la subordination permanente de toute la société à un seul but suprême.

- Ce sont les éléments les pires qui se retrouvent au sommet, car ils ne doivent pas se différencier par l'éducation ou l'intelligence: ils ne peuvent que s'entendre sur des normes morales basses, pour convaincre le plus grand nombre avec des slogans simplistes et un programme basé sur la haine de l'ennemi, sur l'envie des mieux lotis.

 

Alors que, dans un État de droit, le gouvernement est lié par des règles fixées et annoncées à l'avance [...], l'autorité de planification ne peut pas se lier d'avance par des règles générales qui empêchent l'arbitraire, parce que ses décisions dépendent des circonstances et des intérêts de diverses personnes et de divers groupes.

 

La planification est-elle inévitable? En tout cas, dans les sociétés complexes, comparée au système concurrentiel, où les entrepreneurs peuvent ajuster leurs activités à celles de leurs semblables, avec son organe central elle est incapable de connaître les conditions de la demande et de l'offre de différents produits, en constante évolution.

 

La planification donne l'illusion aux hommes de les libérer de leurs problèmes économiques et des choix amers qu'ils impliquent en les faisant pour eux. En réalité elle les asservit en dirigeant presque toute leur vie, puisque, dans les conditions modernes, [ils] dépendent pour presque tout des moyens que fournissent [leurs] semblables.

 

Il y a enfin deux sécurités économiques:

- la certitude d'un minimum donné de subsistance pour tous;

- la sécurité d'un niveau de vie donné, de la position relative dont jouit une personne ou un groupe par rapport aux autres.

 

La première peut être garantie dans les sociétés modernes sans mettre en péril la liberté générale. La seconde ne peut l'être puisqu'il s'agit de protéger les individus ou les groupes contre la diminution de leurs revenus, ce qui revient à privilégier certains aux dépens des autres, sous la forme de la "régulation" de la concurrence, de la "stabilisation" des prix et des salaires particuliers.

 

Deux types d'organisation sociale s'opposent donc et sont irréconciliables: ou bien le risque et le choix sont chez l'individu, ou il est dispensé des deux, mais, s'il accepte d'en être dispensé, cela veut dire qu'il préfère (ou est conditionné à préférer) son aspiration à la sécurité à son amour de la liberté.

 

Hayek cite Benjamin Franklin: Ceux qui abandonneraient la liberté essentielle pour acheter un peu de sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté ni la sécurité.

 

Il conclut: Le principe directeur de toute tentative de créer un monde d'hommes libres doit être ceci: une politique de liberté pour l'individu est la seule politique vraiment progressiste.

 

A lire de nos jours Hayek, nous comprenons encore mieux pourquoi il avait dédié son livre aux socialistes de tous les partis...

 

Francis Richard

 

Abrégé de La route de la servitude de Friedrich Hayek, 40 pages, Institut Coppet (traduit de l'anglais par Gérard Dréan)

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15 février 2019 5 15 /02 /février /2019 23:55
Le calcul économique en régime socialiste, de Ludwig von Mises

Quels sont les problèmes que pose l'économie socialiste?

 

 

La répartition des biens

 

Il faut d'abord rappeler que dans la communauté socialiste, tous les moyens de production appartiennent à la collectivité.

 

Comme la collectivité est propriétaire des biens de production, seuls les biens de consommation peuvent être répartis. Mais, suivant quelle clé? Chacun selon ses besoins? En fonction de sa dignité? De manière égalitaire?

 

Seuls les biens de consommation peuvent y être échangés: les biens de production n'étant pas échangés, on ne peut connaître leur prix, leur valeur monétaire. On ne peut conserver dans la communauté socialiste le rôle que la monnaie joue dans l'économie "libérale" pour le calcul de la production. Le calcul de la valeur en termes de monnaie devient impossible.

 

Il en résulte qu'il est impossible à la direction économique de tenir compte des échanges pour déterminer sa politique de production, a fortiori si elle laisse libre chacun de décider des termes de ses échanges avec autrui...

 

La théorie de la valeur travail permet-elle de répartir les biens? En appliquant cette théorie, pour chaque heure effectuée, on aurait le droit de s'attribuer des biens dont la production aurait coûté une heure de travail. Seulement, le travail n'est pas une grandeur homogène et toujours uniforme... De plus, dans les biens économiques, entrent, non seulement le travail, mais des frais matériels...

 

 

L'impossibilité du calcul économique

 

Le calcul en termes de monnaie n'a de sens que pour l'activité économique. On s'en sert pour adapter l'emploi des biens économiques aux règles de l'efficacité économique. Les biens économiques n'entrent dans ce calcul que dans la mesure où ils sont échangés contre de la monnaie.

 

Dans une économie d'échange, deux conditions sont donc nécessaires pour que le calcul de valeur soit possible en termes de monnaie:

 

- Il faut tout d'abord que ressortissent au domaine de l'échange, non seulement les biens de premier rang, mais aussi les biens de rang supérieur, dans la mesure où le calcul doit les embrasser.

 

(L'esprit d'un homme - fût-il génial - est trop faible pour saisir l'importance de chacun des innombrables biens de rang supérieur. [...] Dans l'économie sociale, fondée sur la division du travail, la répartition entre un grand nombre d'hommes du pouvoir de disposer des biens économiques réalise une sorte de division du travail intellectuel sans laquelle le calcul économique et la vie économique ne seraient pas possibles.)

 

- Il faut employer un instrument d'échange universellement reçu, une monnaie, qui joue également son rôle d'intermédiaire dans l'échange des biens de production.

 

(Dans l'économie sans échange, le calcul en nature ne peut jamais s'étendre qu'aux biens finis; il échoue complètement en ce qui concerne les biens de rang supérieur.)

 

Dans une économie sans échange, du fait que le mode de formation libre du prix en termes de monnaie pour les biens de rang supérieur est abandonné, toute production rationnelle décidée par une direction économique est impossible:

 

Tout pas qui nous écarte de la propriété privée des moyens de production et de l'usage de la monnaie nous éloigne également de l'économie rationnelle.

 

Dans une économie d'échange, fondée sur la propriété privée des moyens de production, ce sont tous les membres de la société qui font en toute indépendance ce calcul en termes de valeur:

 

Chacun y participe de deux façons, comme consommateur, et comme producteur. En tant que consommateur, il détermine la hiérarchie des biens d'usage et de consommation; en tant que producteur, il emploie les biens de rang supérieur là où ils semblent devoir donner le plus haut rendement. Par là, tous les biens de rang supérieur obtiennent, eux aussi, dans la hiérarchie des biens, le rang qui leur revient dans l'état actuel des données de la production et des besoins sociaux. Grâce à la combinaison de ces deux processus d'évaluation, le principe de l'efficacité économique règne partout, dans la production comme dans la consommation. Il se constitue un système de prix exactement gradué, qui permet à chacun de mettre à tout moment ses propres besoins en harmonie avec le calcul de l'efficacité économique.

 

Dans la collectivité socialiste, tout cela fait nécessairement défaut:

 

La direction économique peut savoir exactement quels sont les biens les plus urgents dont elle a besoin. Mais elle ne possède là qu'une partie de ce qui est nécessaire au calcul économique. L'autre partie, l'évaluation des moyens de production, lui manque nécessairement.

 

 

L'absence de responsabilité et d'initiative

 

Les entreprises privées peuvent être distinguées en deux groupes:

 

- Celles (en général les plus petites) où la direction effective est entre les mains des actionnaires eux-mêmes ou au moins une partie d'entre eux: Ils conduisent les affaires dans leur propre intérêt.

 

- Celles (les plus grandes) où la direction effective est entre les mains de gros actionnaires (majoritaires ou non) ou de dirigeants: Ils dirigent [l'entreprise] dans leur propre intérêt, qu'il coïncide ou non avec celui des actionnaires.

 

Les entreprises étatisées ne sont prospères que si elles sont organisées comme des entreprises privées ou poussées par leurs fournisseurs privés: Avec la disparition des intérêts privés, disparaît aussi tout stimulant.

 

Car les entreprises publiques ne sont favorables ni aux transformations, ni aux améliorations de la production; elles ne peuvent s'adapter aux modifications de la demande; en un mot, ce sont dans l'organisme économique des membres morts.

 

Et leurs dirigeants, même s'ils viennent du privé, ne sont pas enclins à prendre des initiatives, en raison de la nature de ces entreprises où ils sont chapeautés par des comités et ne possèdent aucun capital: ils n'engagent en réalité que leur responsabilité morale.

 

Les événements récents en Russie, en Hongrie, en Allemagne et en Autriche - Ludwig von Mises écrit ce texte en 1920 - lui confirment cette impossibilité du Calcul économique en régime socialiste.

 

 

Conclusion

 

En reconnaissant que l'économie rationnelle est impossible en régime socialiste, on ne fournit par là aucun argument pour ou contre le socialisme. [...] Mais celui qui espère que le socialisme établira une économie rationnelle, celui-là devra réviser ses conceptions. 

 

Francis Richard

 

Le calcul économique en régime socialiste, Ludwig von Mises, 48 pages, Institut Coppet (traduit de l'allemand par Robert Goetz-Girey)

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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 23:55
Introduction à l'école autrichienne d'économie, d'Eamonn Butler

L'école autrichienne d'économie est née il y a quelque cent cinquante ans avec un livre, Principes d'économie, de Carl Menger, publié à Vienne, en Autriche:

 

Le terme fait référence à une conception particulière de l'économie, et aux économistes du monde entier qui y souscrivent.

 

Dans son livre, qui est une introduction à cette école, Eamonn Butler, en rappelle une dizaine de principes-clés qui justifient l'expression employée de conception particulière:

 

- L'économie est une question de choix et ne concerne que les individus: Invariablement, nous devons renoncer à une chose (disons une somme d'argent ou du temps ou des efforts) pour en obtenir une autre...

 

- L'économie est donc très différente des sciences naturelles dont les objets peuvent être observés et mesurés (les scientifiques peuvent à partir de là faire des prédictions et des statistiques), puisqu'elle étudie la façon dont les gens font leur choix: ce sont des sentiments personnels, individuels, que nous ne pouvons pas observer et mesurer - ni, par conséquent, prédire; mais nous pouvons les expliquer parce que, individus humains, nous savons comment nous pensons. 

 

- Tout en économie repose sur les valeurs humaines, qui sont subjectives: le même bien a une valeur différente suivant les personnes et selon l'utilisation qu'elles en font.

 

- Les prix nous aident à maximiser la valeur et à minimiser les coûts: ce sont des signaux pour les individus qui échangent et le taux auquel ils sont prêts à échanger.

 

- La concurrence est un processus de découverte: les marchés ne sont pas parfaits. En effet, ce sont leurs imperfections qui les animent.

 

- La propriété privée est essentielle: c'est quand un bien est vendu qu'il a un prix; là où il n'y a pas de prix, il n'y a pas de marché pour nous aider à découvrir quelles sont les choses qui manquent et pour orienter les ressources vers les manques.

 

- La production est [...] une activité risquée et comporte un risque réel de perte.

 

- L'inflation est profondément dommageable, parce que la monnaie est un bien comme les autres: elle est apparue simplement parce que les gens voulaient un moyen d'échange généralement accepté.

 

- L'intervention du gouvernement est presque toujours maligne.

 

- Les actions ont des conséquences imprévues - bonnes et mauvaises.

 

A ne pas vouloir observer ces principes, les économistes se fourvoient:

 

- Parce que l'économie résulte d'actions individuelles dont il est impossible de faire l'addition et de prédire les résultats à partir d'agrégats: la macroéconomie est  fondamentalement trompeuse et erronée.

 

- Parce que la valeur n'est pas une qualité objective qui réside dans les choses: Le monde change constamment, et les valeurs et les motivations des gens changent aussi.

 

Que pouvons-nous faire alors?  Nous ne pouvons pas accéder aux valeurs des gens, mais nous pouvons les déduire de ce qu'ils choisissent réellement en analysant l'utilité marginale, c'est-à-dire quels avantages les gens s'attendent à obtenir d'une petite addition à leurs stocks existants.

 

A partir de ces principes et de cette analyse, les Autrichiens montrent que tout est individuel: les coûts, les avantages, le profit (qui est la différence entre les deux) et que rien ne peut être planifié collectivement.

 

Ils montrent que le marché ne récompense que la valeur pour autrui de ce que produit chaque individu, que ce soit par chance, par bon jugement ou par travail (c'est pourquoi Marx avait tout faux avec sa théorie de la valeur travail).

 

Ils montrent que la concurrence:

 

- stimule l'innovation et le progrès;

 

- fonctionne parce qu'elle n'est pas parfaite: elle incite les producteurs à se différencier les uns des autres;

 

- oblige les entrepreneurs à prendre des risques, motivés par le profit (qui les incite à produire ce que le public désire le plus).

 

Ils montrent l'importance du temps dans les choix que nous faisons aussi bien en tant que producteurs que consommateurs, c'est la préférence temporelle propre à chacun sans qu'il y ait de choix correct:

 

- passer plus de temps à fabriquer des biens de haute qualité ou moins de temps à fabriquer des biens moins chers et moins durables;

 

- épargner, c'est-à-dire différer la satisfaction immédiate, ou consommer tout de suite.

 

Ils montrent que les cycles économiques sont dus aux taux volontairement bas, à la création de monnaie et à l'inflation, qui ont pour conséquences le mal-investissement et la transformation d'un boom initial en krach final.

 

Ils montrent que les économistes dominants se trompent quand ils suggèrent que "l'échec du marché peut être "corrigé" par la réglementation et l'intervention: les marchés sont effectivement plus susceptibles de résoudre les problèmes que les gouvernements.

 

Les Autrichiens s'opposent à la propriété collective des biens de production (qui caractérise le socialisme) parce que justement il n'y a pas de marché pour eux, et donc aucun moyen d'établir des prix pour eux.

 

Les Autrichiens sont clairement des libéraux -au sens européen, plutôt qu'au sens américain. Mais il y a plusieurs demeures dans leur maison comme dans celle plus large encore du libéralisme.

 

Par exemple, si tous s'accordaient hier, et s'accordent aujourd'hui, à penser que, pour que le marché fonctionne, il faut des règles telles que le respect des droits de propriété et le respect des contrats, les Autrichiens modernes divergent sur qui doit les faire appliquer, l'État ou pas l'État.

 

Même si l'influence des idées autrichiennes devraient continuer à croître, il n'en reste pas moins qu'elles sont encore ou méconnues, ou considérées comme un éclairage secondaire sur les idées dominantes:

 

C'est peut-être parce que la plupart des gens ont toujours une foi touchante dans le pouvoir des gouvernements d'identifier et de guérir nos problèmes...

 

Une actualité récente indique cependant que ce pouvoir commence à être récusé en doute.

 

... Ou peut-être que les gens ont du mal à imaginer que les marchés peuvent résoudre des problèmes extrêmement importants et difficiles sans avoir besoin d'une direction et d'un contrôle centralisés.

 

La même actualité indique que beaucoup de gens n'ont pas seulement du mal à l'imaginer mais n'en ont aucune idée, parce que personne ne leur en a jamais parlé...

 

Francis Richard

 

Introduction à l'école autrichienne d'économie, Eamonn Butler, 132 pages, Institut Coppet (traduit de l'anglais par Gérard Dréan)

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10 décembre 2018 1 10 /12 /décembre /2018 23:55
Nation, État et Économie, de Ludwig von Mises

Nation, État et Économie a été publié en 1919. La Première Guerre mondiale, dont on ne sait pas alors qu'elle est la première, vient juste de se terminer.

 

Dans sa préface Ludwig von Mises écrit: Ma tâche ne peut que se restreindre à attirer le lecteur sur des points que la discussion publique n'a habituellement pas suffisamment pris en compte.

 

Le lecteur lui, un siècle plus tard, a l'oeil attiré par des points qui lui semblent intemporels, et que les guerre et paix de son époque ont inspiré à l'auteur.

 

 

Nation et État

 

L'aspect national d'une personne individuelle ne vient pas du lieu où il vit ni de son rattachement à un État: il vient pour une grande part de la communauté de langage.

 

Tout le monde appartient au moins à une nation. Il n'est cependant pas exclu d'appartenir à plusieurs nations ni d'en changer: une telle appartenance n'est pas caractéristique éternelle.

 

Une nation ne coïncide pas forcément avec un État. Elle peut être répartie dans des États distincts, de même que des nations peuvent vivre côte à côte dans un même État.

 

Le principe des nationalités ne signifie pas menace à l'égard des autres nations. Ce principe s'adresse aux tyrans, si bien que l'idée de liberté est à la fois nationale et cosmopolite.

 

Le principe des nationalités signifie autodétermination mais aussi unité, gage de liberté, et séparation de l'économie de l'État pour le développement du commerce:

 

[Le libéralisme] se bat pour la plus grande unification possible de la législation, en dernière analyse pour son unité mondiale. Mais il ne croit pas que pour atteindre cet objectif il faille créer de grands empires ou même un empire mondial.

 

La tentation, dans les territoires aux populations mélangées, est de céder au nationalisme militant ou impérialiste, en poursuivant un idéal de taille pour atteindre l'unité.

 

L'introduction d'une constitution démocratique n'y a pas la même signification que l'introduction de l'autonomie démocratique dans des territoires connaissant une uniformité nationale:

 

Dans les territoires polyglottes, la démocratie ressemble à l'oppression de la minorité.

 

A cette difficulté s'ajoute celle due à une économie devenue mondiale (tandis que, de par l'Histoire, la terre est divisée entre plusieurs nations) et au problème migratoire qui en résulte:

 

Un pays peut être relativement surpeuplé quand, en raison de la grande taille de sa population, le travail doit être effectué dans des conditions de production moins favorables que dans d'autres pays.

 

A ce moment-là, avec une parfaite mobilité des personnes et des biens, les territoires relativement surpeuplés déverseraient leur surplus de population vers d'autres territoires jusqu'à ce que cette disproportion cesse.

 

Ludwig von Mises voit dans la limitation des fonctions de l'État et l'extension de la liberté individuelle les moyens de faire perdre de leur violence aux antagonismes des nationalités dans les territoires polyglottes:

 

Quiconque souhaite la paix entre les peuples doit combattre l'étatisme.

 

En effet, celui qui a fait de l'harmonie des intérêts bien compris de toutes les couches d'une nation entre elles la base de sa vision du monde ne peut plus trouver de fondement rationnel à la guerre.

 

A contrario, si l'on pense qu'il existe des antagonismes de classe irrémédiables entre les couches de la société et qu'il est impossible de les résoudre en dehors de la victoire par la force d'une classe sur les autres, si l'on croit qu'il ne peut y avoir de contacts entre les diverses nations autres que ceux où l'une gagne ce que l'autre perd, il faut alors bien admettre que les révolutions intérieures et les guerres internationales ne peuvent être évitées.

 

C'est pourquoi le libéralisme ne s'oppose pas à la guerre agressive pour des raisons philanthropiques mais pour des raisons d'utilité:

 

Celui qui veut préparer une paix durable doit, comme Bentham, être libre-échangiste, oeuvrer fermement à éliminer toute domination politique par la mère patrie dans les colonies et se battre pour la pleine liberté de circulation des personnes et des biens.

 

 

L'économie et la guerre

 

La guerre est un véritable fléau: Toute personne impartiale ne peut avoir aucun doute et sait que la guerre ne peut créer aucun véritable boom économique, au moins directement, car une destruction de biens n'entraîne aucun accroissement de richesse.

 

Il ne faut pas confondre l'effet avec la cause: Ce n'est pas l'offre d'armes qui a engendré la demande, mais le contraire. Les dirigeants de l'industrie d'armement ne sont pas eux-mêmes assoiffés de sang: ils seraient tout aussi contents de gagner de l'argent en produisant d'autres biens.

 

Il démythifie la prospérité de guerre: Elle enrichit certains par ce qu'elle prend aux autres. Il ne s'agit pas d'une augmentation de la richesse mais d'une redistribution de la richesse et des revenus.

 

Il montre, en Allemagne, pendant la Première Guerre mondiale, les méfaits, et les illusions, de l'inflation de la monnaie, c'est-à-dire de sa dépréciation:

 

L'individu croyait être devenu plus riche ou au moins n'avoir rien perdu, alors qu'en réalité ses richesses diminuaient. L'État taxait ces pertes des entreprises économiques en tant que "profits de guerre" et dépensait les montants collectés dans des buts non productifs...

 

Ce qu'on voit: Du point de vue économique c'est la génération actuelle qui fait la guerre, et c'est elle aussi qui doit payer les coûts matériels de la guerre.

 

Ce qu'on ne voit pas: Les générations futures ne sont touchées que dans la mesure où elles sont nos héritières et que nous leur laissons moins que ce que nous aurions pu sans l'arrivée de la guerre.

 

 

Socialisme et impérialisme

 

Réflexions faites à partir de l'exemple allemand de son temps, Ludwig von Mises ne voit entre socialisme et impérialisme que des différences de degré.

 

Certes le socialisme allemand défend la démocratie et l'impérialisme s'identifie à un régime autoritaire, mais l'un et l'autre sont des étatismes: l'impérialisme se caractérise par la propriété étatique et le socialisme par la socialisation des moyens de production.

 

Or la firme publique ne peut nulle part résister à la libre concurrence avec une firme privée: elle ne peut aujourd'hui exister que lorsqu'elle dispose d'un monopole excluant la concurrence.

 

Il y a comme un défaut: Libre initiative veut dire prise de risque afin de gagner; elle veut dire jouer un jeu qui peut conduire à un gain ou à une perte.

 

Le propriétaire prend des risques: Le fonctionnaire peut toujours être aussi prêt que possible à assumer des responsabilités; il ne les assumera jamais autrement que moralement...

 

Le socialisme s'avère être une doctrine du salut: L'annonce mystérieuse et l'allusion mystique ont bien plus d'effet qu'une explication claire. Il ne cherche donc même pas à réfuter les arguments du libéralisme.

 

L'anti-libéralisme conduit à préférer les intérêts du producteur à ceux du consommateur, à refuser une organisation économique rationnelle, à entraver le progrès économique.

 

 

Conclusions

 

Il est vrai que l'utilitarisme et le libéralisme postulent que l'obtention de la plus grande productivité du travail est le plus important et le premier but de la politique. Ils cherchent le bien-être et la richesse non pas parce qu'ils y voient la plus grande valeur mais parce qu'ils savent que toute culture élevée et intérieure présuppose le bien-être matériel.

 

Ce qui est inaccessible à l'État, et par l'État.  

 

L'utilitarisme et le libéralisme rejettent toute autorité parce qu'ils croient en l'homme.

 

Et puis le pouvoir est un mal en lui-même, qui que ce soit qui l'exerce...

 

Francis Richard

 

Nation, État et Économie, Ludwig von Mises, 208 pages, Éditions de l'Institut Coppet (traduit de l'allemand par Hervé de Quengo)

 

Dans la même collection:

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt

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11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 23:55
L'économie en une leçon, de Henry Hazlitt

Trente ans après la première édition (1946) de L'économie en une leçon, dans la postface d'une nouvelle édition (qui en constitue le XXVIe chapitre), Henry Hazzlit place ses espoirs dans la rapide croissance, parmi les jeunes, de l'école des économistes "autrichiens".

 

Lui-même s'inscrit dans la lignée de cette école de Vienne et dans celle dite de Paris qui la précède. Il doit d'ailleurs le plan de son livre, premier volume de la Bibliothèque autrichienne dont l'Institut Coppet a entrepris l'édition en français, à l'essai de Frédéric Bastiat, Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.

 

La leçon d'Henry Hazlitt repose sur un axiome:

 

L'art de la politique économique consiste à ne pas considérer uniquement l'aspect immédiat d'un problème ou d'un acte, mais à envisager ses effets plus lointains; il consiste essentiellement à considérer les conséquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d'hommes ou d'intérêts donnés, mais sur tous les groupes existants.

 

Faute de connaître cet axiome et de l'appliquer, sont commises, dit-il, des erreurs économiques qui causent tant de ravages dans le monde d'aujourd'hui. A l'appui de vingt-quatre séries d'applications, Henry Hazlitt le démontre dans ce livre limpide que tout soi-disant économiste devrait avoir lu s'il ne veut pas les commettre.

 

La plupart des erreurs commises du temps de l'auteur le sont encore aujourd'hui, si bien que ce chef-d'oeuvre est d'une terrible actualité. Pour mieux s'en convaincre, trois applications raisonnées, choisies parmi les vingt-quatre séries, vaudront mieux que de simples énoncés.

 

Les dépenses publiques

 

L'État décide de construire un pont. Cette construction va donner du travail à des ouvriers et, une fois achevé, il aura le mérite d'exister. C'est ce qu'on voit. C'est immédiat et cela aura servi les intérêts d'un certain nombre d'ouvriers pendant un temps.

 

Ce qu'on ne voit pas, c'est qu'il a fallu financer ce pont et que cela n'a pu être fait que par l'impôt. Les contribuables auront été taxés d'une somme qu'ils auraient pu dépenser pour des objets dont ils ont le plus grand besoin:

 

Tout emploi créé pour la construction du pont empêche un emploi privé d'être offert quelque part ailleurs.

 

Ce qu'on ne voit donc pas, c'est tout ce qui aurait pu être créé si ce pont n'avait pas été construit. Mais, pour cela, il faut une certaine sorte d'imagination dont peu de gens sont capables

 

Le résultat final, c'est qu'un seul bien a été créé aux dépens de beaucoup d'autres.

 

Mais aucune foi au monde n'est plus tenace ni plus entière que la foi dans les dépenses de l'État...

 

Le machinisme

 

Un fabricant de vêtements entend parler d'une nouvelle machine pour les fabriquer avec deux fois moins de main-d'oeuvre qu'auparavant. A moyen terme, le temps que la machine se paye d'elle-même, il aura réduit son personnel et accru son profit. C'est ce qu'on voit.

 

Ce qu'on ne voit pas, c'est que ses profits supplémentaires créeront du travail, quelle que soit la façon dont il les utilisera, que ce soit:

- pour étendre son affaire

- pour investir dans une autre industrie

- pour satisfaire des besoins personnels

Et la société tout entière en bénéficiera.

 

S'il étend son affaire, il donnera du travail aux fabricants de machines. S'il fait de gros bénéfices, d'autres entrepreneurs voudront faire de même. Le prix des vêtements diminuera. Davantage de vêtements seront vendus:

 

Il se peut que beaucoup plus de travailleurs soient employés à leur confection qu'avant même l'introduction des machines faites pour économiser la même main-d'oeuvre.

 

Ce n'est pas une vue de l'esprit: c'est un phénomène qui s'est produit dans bien des secteurs d'activité. Mais rendre le machinisme responsable du chômage est de toutes les erreurs économiques la plus vivace.

 

Sauver une industrie

 

Pour sauver l'industrie X le Gouvernement lui accorde une subvention. C'est ce qu'on voit: elle est sauvée. Ce qu'on ne voit pas, c'est que cette subvention est financée par le contribuable et par les autres industries.

 

Résultat :

- les consommateurs ont moins à dépenser pour acheter d'autres produits

- d'autres industries doivent restreindre leur production

 

Henry Hazlitt ajoute : Il en résulte aussi (et c'est là ce qui constitue une perte sèche pour la nation considérée dans son ensemble) que le capital et la main-d'oeuvre sont détournés d'industries dans lesquelles ils auraient pu s'employer efficacement, vers une industrie où ils s'emploient moins utilement.

 

Ce qu'on ne voit pas, c'est que pour que des industries nouvelles se développent rapidement, il est nécessaire que quelques industries périmées dépérissent ou meurent. Il est nécessaire qu'il en soit ainsi pour libérer le capital et la main-d'oeuvre pour les industries nouvelles.

 

Réaffirmation de la leçon

 

Dans son dernier chapitre de la première édition, sous ce titre, Henry Hazlitt résume en ces termes quelques applications de son axiome développées dans son livre :

 

Il ne viendrait à l'idée de personne ignorant des opinions courantes de la littérature des demi-savants économistes en vogue, que c'est un avantage appréciable d'avoir sa vitre brisée ou de subir la destruction de villes entières; que procéder à des travaux publics inutiles n'est rien moins que du gaspillage; qu'il est dangereux de voir de longues files de chômeurs reprendre le travail; que le machinisme qui accroît la richesse et soulage l'effort de l'homme doit être redouté; que les obstacles à une production et une consommation libres accroissent la richesse; qu'une nation s'enrichit en forçant ses voisins à acheter ses produits à un prix inférieur à leur prix de production; que l'épargne est absurde ou nuisible et que la prodigalité est source de prospérité.

 

C'est du bon sens, mais c'est à se demander si Descartes avait raison qui disait que c'était la chose du monde la mieux partagée... Surtout, quand d'aucuns vont jusqu'à penser naïvement que si l'État fabriquait plus de papier-monnaie et le distribuait à tous, chacun de nous serait plus riche...

 

Francis Richard

 

L'économie en une leçon, Henry Hazlitt, 238 pages, Éditions de l'Institut Coppet (traduit de l'américain par Mme Gaëtan Pirou)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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