La France coule. Mais pourquoi? Une grande majorité de Français ne le savent pas. Ils ont la nostalgie du capitalisme des trente glorieuses et
ont les yeux fixés sur le rétroviseur au lieu de regarder devant eux.
Deux professeurs, Augustin Landier, qui enseigne la corporate finance à L'Ecole d'économie de Toulouse et David Thesmar, qui enseigne la finance à HEC Paris,
expliquent justement pourquoi.
Ce serait, selon eux, 10 idées fausses qui seraient responsables de ce naufrage de la France, 10 idées largement partagées par
les Français et leurs dirigeants, depuis près de quarante ans.
Quelles sont ces fichues 10 idées qui coulent la France?
1) Une France sans industrie? ça va être Disneyland
Le déclin de la France serait dû à sa désindustrialisation. Or, c'est tout le contraire:
"Quand la classe moyenne atteint un certain niveau de revenus, ses besoins en matériels sont
saturés - ils croissent moins vite que la productivité d'une industrie qui continue d'automatiser ses chaînes de montage. L'emploi se déverse dans les services, plus difficilement
mécanisables."
Dans tous les pays développés, ce phénomène, propre à une économie moderne, se produit. Les services deviennent le moteur de la
croissance: services à la personne, hôtellerie-restauration, ingénierie, notamment informatique, santé. Il est vain de vouloir maintenir à tout prix - c'est le cas de le dire - des industries
malades.
2) Pour sauver l'emploi, il faut sauver l'industrie
L'industrie n'est plus créatrice d'emplois. Les 4 millions d'emplois créés au cours des trente dernières années l'ont été dans
les services, dont "1 million d'emplois dans la santé, 700'000 dans le commerce, 300'000 dans l'hôtellerie".
Parmi ces emplois, les plus qualifiés sont les emplois de cadres, de médecins, d'ingénieurs, d'avocats et les moins qualifiés
les emplois de services à la personne et les emplois commerciaux.
L'industrie ne crée plus d'emplois parce qu'elle robotise les tâches routinières:
"L'industrie française du XXIe siècle sera robotisée ou ne sera pas. C'est même probablement parce
qu'elle ne s'est pas assez robotisée qu'elle perd actuellement du terrain."
Emploi industriel et compétitivité ne sont pas compatibles...
3) Un ingénieur, un vrai, ça travaille dans une usine
En France, il y a à la fois une désaffection pour les sciences et une méconnaissance des nouveaux métiers
d'ingénieurs.
Les ingénieurs sont pourtant les plus à même d'exploiter la mine d'informations que constituent les données personnelles que les
entreprises recueillent sur leurs clients:
"Ce sont eux qui savent produire l'analyse statistique pour faire parler les données, automatiser
les processus qui fabriquent, filtrent et réagissent sur ce matériau d'un type nouveau."
Seulement, pour être dirigeant d'entreprise en France, il faut sortir de l'ENA ou d'une école de commerce, mais certainement pas
être ingénieur...
4) Il nous faut un Etat stratège
Pendant les trente glorieuses l'Etat a pris de plus en plus d'importance. Or c'était une période de croissance rapide:
"Quoi d'étonnant à ce que, lorsque les choses vont mal, les politiques jouent sur la corde
sensible de la nostalgie?"
Le sophisme revient à dire que croissance rapide et Etat stratège vont de pair...
Les auteurs ne sont pas contre une politique industrielle de l'Etat, à condition qu'elle se fasse à partir d'une doctrine et non
pas au coup par coup:
"L'Etat doit concentrer ses moyens sur les cas où les intérêts privés et l'intérêt public ne
coïncident pas."
Quand est-ce le cas? En présence d'externalités ou de monopole naturel... qui sont pourtant de mauvais prétextes pour justifier
l'intervention de l'Etat.
Dans le premier cas, Ronald Coase a montré qu'il était possible de réduire les externalités négatives par des
droits de propriété bien définis. Dans le second cas, un monopole naturel peut sans problème être de nature privée du moment que liberté est laissée à un ou des nouveaux acteurs d'entrer un jour
sur ce marché.
L'Etat ne devrait jamais être stratège en matière économique, même à partir d'une doctrine, n'en déplaise à ces deux
auteurs.
5) Les marchés sont la dictature du court terme
Les auteurs montrent qu'en présence d'un projet d'investissement les marchés, au contraire, tiennent compte du long
terme:
"Si le projet est rentable, même à long terme, les profits futurs seront incorporés dans la valeur
de l'action, et l'actionnaire en profitera, même s'il revend rapidement."
Ceux qui veulent mettre au pas le capitalisme actionnarial sont ceux qui ont intérêt à ne pas être évalués par les autres
professionnels de l'investissement, c'est-à-dire le grand patronat et les investisseurs publics et parapublics...
6) Une grande banque publique pour nos PME, c'est indispensable
Les banques ne seraient pas prêteuses et c'est pourquoi, dans sa grande bonté, l'Etat se substituerait à elles pour prêter à ces
pauvres PME. En réalité, si les banques ne prêtent pas à certaines PME, c'est que le risque est trop grand.
Les auteurs évoquent deux pistes: que le droit de la faillite soit plus favorable aux créanciers et que les délais de paiement
extrêmement longs en France le soient moins...
7) La BCE? Une institution bornée qui bloque la croissance
Toute banque centrale fausse le jeu des marchés en faisant joujou avec les taux d'intérêt et en étant fauteur de bulles. Il est
donc vain d'entrer dans le jeu de la critique ou non de la BCE que pratiquent les auteurs... Ils n'en ont pas moins raison de dire que la BCE est un bouc émissaire tout trouvé pour les
politiques...
8) Le culte de la concurrence: voilà l'ennemi
Qui est contre la concurrence? Les Français le sont par ignorance économique. Ceux qui en tirent avantage, ce sont les
entreprises du capitalisme de connivence et les politiques. Et les dindons de la farce anti-concurrence sont les consommateurs:
"Comme les consommateurs sont en moyenne plus pauvres que les actionnaires, la concurrence agit
comme une grande machine à redistribuer l'argent des riches: en faisant baisser les prix, elle réduit les profits - et donc les dividendes - et augmente le pouvoir d'achat - et donc les
salaires."
9) La solution à la crise, c'est plus d'Europe, bien sûr!
Les auteurs parlent d'euro-bigoterie et n'ont pas tort:
"En niant, par une sorte de bigoterie superstitieuse, l'insolvabilité de la Grèce, la BCE, les
politiques européens et, il faut l'avouer, toute une clique d'économistes bien-pensants, ont réussi à convaincre les investisseurs que sur le continent de Descartes et de Kant, les dirigeants
donnaient la priorité aux versets des traités sur les lois de l'arithmétique."
Pour les adeptes de la religion européiste, le salut consiste à passer "à la vitesse supérieure
dans la contruction du fédéralisme européen". Or c'est chose impossible. D'abord parce que les populations sont de plus en plus hostiles à l'Europe, ensuite parce qu'aucun pays
n'abandonnera sa souveraineté budgétaire et, enfin, parce que la diversité des pays européens s'oppose à toute solidarité entre eux:
"Le grand soir fédéraliste n'est pas pour demain. Pour être acceptable à l'intérieur et crédible à
l'extérieur, tout plan de reconstruction de l'Euro doit assumer la contrainte que les abandons de souveraineté et les transferts entre Etats seront faibles - une approche en contradiction marquée
avec les tirades enflammées des eurodévots maximalistes."
10) Une meilleure gouvernance mondiale, c'est ça qui réglera tout
"La gouvernance mondiale, c'est bien, tant que cela reste virtuel."
Les Français sont schizophrènes:
"Conscients de l'originalité de leurs croyances collectives, les Français fantasment sur l'idée de
prodiguer des conseils au monde entier, pour le convaincre de devenir une grande France; en revanche, ils rejettent en bloc les pressions qui viennent des instances économiques
internationales."...
Les auteurs concluent leur livre en ces termes:
"Tant que les dix poncifs qui font l'objet de ce livre continueront d'empoisonner le débat public,
le pays s'enlisera doucement dans la nostalgie improductive."
En dépit de quelques bémols, puisse ce livre contribuer à ouvrir les yeux des Français sur le monde réel qui les entoure et
qu'ils ne sauraient voir...
Francis Richard
10 idées qui coulent la France, 160 pages, Flammarion