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4 décembre 2024 3 04 /12 /décembre /2024 18:40
Mémoires assassines, de Stéphanie Glassey

Une femme hurla. Elle courait péniblement vers la berge, ses talons s'enfonçant dans la pelouse. On se retourna, on vit un homme, un corps du moins, dans l'eau, près de la rive.

 

Ce vendredi 15 mai, le rituel Jardin des Vins est le théâtre d'un meurtre. L'homme trouvé mort dans le Domaine des Îles, à la périphérie de Sion, ne s'est pas noyé, il avait une blessure profonde à la tête.

 

Léon Cerise, ancien inspecteur de police, reconverti dans l'enseignement à la suite d'un accident qui l'avait privé de l'usage de ses jambes, a été mis à la retraite, qu'il passe à Basse-Nendaz à lire Racine.

 

Il vit avec son chien, qu'il a appelé Britannicus, lequel l'a en quelque sorte trahi: il vient de se rendre compte qu'en fait il est une chienne et que, de plus, elle attend des petits. Et de citer le cher Racine:

 

Plus l'offenseur m'est cher, plus je ressens l'injure 

La Thébaïde 1664

 

Ce même vendredi 15 mai, un ami lui apprend que le mort du Jardin des Vins n'est autre que Conrad Crettenand, patron des assurances OXO, qui y fêtaient joyeusement leurs trente ans d'existence.

 

Ce même vendredi 15 mai, Charlotte de Dardel, de retour en Valais, où, en tant que journaliste, elle a trouvé un poste à l'Illustré, se rend chez ses grands-parents qui occupent un chalet à Basse-Nendaz.

 

Ils lui apprennent le décès de Conrad. Elle n'est pas étonnée que Léon Cerise l'appelle à ce sujet. N'ont-ils pas enquêté ensemble 1? Léon craint que Jean-Marc Michellod ne soit pour tous le coupable idéal.

 

De la prison, où il se trouve depuis 2009 suite à une dénonciation de malversations par Conrad, Jean-Marc menaçait celui-ci et était de sortie le jour du meurtre. De plus, il est aussi l'oncle de Mattys...

 

Or Mattys est le protégé de Charlotte. Du même âge qu'elle, il a, en dépit d'un gros retard cognitif, effectué sa scolarité en compagnie des jeunes de sa génération, aussi loin que cela s'est avéré possible.

 

Très naturellement, Charlotte et Léon décident donc de mener ensemble une enquête officieuse pour élucider ce crime commis sur le sinistre Conrad, qui n'est de loin pas quelqu'un de recommandable.

 

Stéphanie Glassey, parallèlement au récit de cette enquête de neuf jours, fait celui d'Émile, né en 1940 dans une famille nombreuse, pauvre, où le père est alcoolique, dégénéré, et la mère devenue folle.

 

Alors qu'Émile a quatre ans, un prêtre, une assistante sociale et le juge de commune se présentent un jour à la ferme familiale et emmènent les enfants de Séraphin et Honorine pour les placer ailleurs.

 

Ailleurs? Dans des institutions, dans des fermes, ces enfants, comme bien d'autres pendant des décennies, seront maltraités, physiquement souvent, sexuellement parfois, humiliés et méprisés toujours.

 

Quel rapport entre les deux récits? Peu à peu le lecteur le découvre, comprend que les mémoires peuvent être assassines. Conrad ne sera pas la seule victime, et la personne coupable en sera une autre:

 

Il n'est point de secret que le temps ne révèle.

Britannicus 1669

 

Francis Richard

 

1 - Voir Les Confidences assassines.

 

Mémoires assassines, Stéphanie Glassey, 488 pages, Plaisir de Lire

 

Livres précédents aux éditions Plaisir de lire:

Confidences assassines (2019)

La dernière danse des lucioles (2021)

 

Livre précédent chez OKAMA:

Smoothie (2024)

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1 décembre 2024 7 01 /12 /décembre /2024 20:00
Trois voyages à Potamia - Tome I, de Louis de Saussure

Elle avait insisté pour que tu ne te déplaces pas: la mère était en de bonnes mains, les choses s'arrangeraient rapidement, il ne fallait pas t'en faire, tu resterais à Rome et l'on se verrait à l'été tous ensemble à la table familiale.

 

Angeliki, la soeur de Yannis, avait cru bien faire en lui écrivant un tel texto, ayant tendance à minimiser les questions graves, pour que le pire n'advienne pas, et ne voulant pas qu'il lui soit reproché de l'avoir incité à rentrer sans nécessité.

 

Elle se trompait: Agapi n'était pas en forme, on n'avait pas bien compris les explications du médecin, la maladie avait fini par l'emporter sans prévenir et la famille avait basculé dans le vide avant que tu aies pu songer à un voyage.

 

Yannis avait donc entrepris le voyage de retour de Rome à Naxos, à temps pour la mort, mais trop tard pour la vie. Il s'était rendu d'abord à Athènes par avion et, au Pirée, il avait pris le ferry pour l'île où le père Matias l'avait accueilli.

 

Puis son frère Costas, avec lequel il a passé toutes ses jeunes années, est venu le chercher, joie et tristesse mêlées, pour l'emmener par la route à Potamia, où se trouve la maison familiale et où doit arriver de Bruxelles leur oncle Pavlos:

 

Pavlos et le père, unis par des douleurs cousines, ne se trouvaient pas à l'unisson, séparés par leurs origines. L'artisan de Potamia et le juriste de la capitale connaissaient leurs limites.

 

Yannis ne va cependant pas se coucher tout de suite. Il ouvre un guéridon dans lequel il sait que sa mère, Agapi, mettait des choses auxquelles elle tenait. Et il tombe, entre autres, sur un manuscrit qui en dit long, la confession d'Aristote. 

 

Cette histoire ancienne occupe cette nuit-là l'esprit de Yannis. Elle lui avait été racontée quand il était enfant mais il n'en avait pas compris toutes les choses terribles. La nuit suivante, après la cérémonie funéraire, il y songe à nouveau.

 

Yannis ne peut rester plus longtemps sur l'île. Après ces courtes retrouvailles avec sa famille, émaillées de discussions avec son oncle Pavlos, il doit repartir pour Rome où il prépare, grâce à lui, un master en relations internationales.

 

Tu étais rentré les bras chargés d'une histoire nouvelle, qu'il fallait conduire à son terme, dit le narrateur. Tu reviendrais dans quarante jours à Potamia continuer ta confrontation avec ta vérité personnelle. Le lecteur sera certes du voyage.

 

Francis Richard

 

Trois voyages à Potamia - Tome I, Louis de Saussure, 116 pages, Les Editions Romann (parution le 1er décembre 2024)

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24 novembre 2024 7 24 /11 /novembre /2024 13:45
Filiations, Collectif

Le mot Filiations est pris dans plusieurs acceptions. Le pluriel est donc de mise. Il l'est d'autant plus qu'à l'ouvrage ont participé des étudiants de l'Université de Lausanne et des seniors de Connaissance 3, sans parler de quatre écrivains1 que les lecteurs de ce blog reconnaîtront: Arthur Brügger, Fanny Desarzens, Douna Loup et Catherine Safonoff.

 

Le terme d'intergénérationnel convient donc pour qualifier ce collectif de vingt-cinq textes, rédigés en atelier d'écriture. En les lisant, les points de vue sur la filiation sont de toute façon révélateurs de la génération de leurs auteurs. S'il en était besoin, d'ailleurs, l'introduction confirme quelles générations ont abordé les deux premiers thèmes de ce volume.

 

Les textes sont en effet regroupés en quatre thèmes, définis dans l'introduction coécrite par Alain Ausoni, Arthur Brügger et Anne-Lise Delacrétaz:

 

  • Transmissions: Comment faire avec ce dont on hérite, ce qui nous est transmis, notre désir de nous inscrire dans une filiation ou de léguer quelque chose de significatif? Cette partie comprend sept textes de: Ami Lou Parsons, Steva Rios, Justine Roh, Douna Loup, Sophie Batori, Anaïs Gasser et Arthur Brügger, qui tous sont de la jeune génération.

 

  • Restitutions: Dans quelles circonstances ressent-on le besoin de faire le point sur les vies de celles et de ceux qui nous ont précédé.e.s et qu'apprend-on de soi-même en cours de route? Cette partie comprend huit textes de: Karien Zevenhuisen, Maurice Meillard, Martine Haemmerli, François Münger, Didier Senn, Anne Rogivue, Werner Haefliger et Catherine Safonoff, qui tous sont de l'ancienne génération.

 

  • Enquêtes: Comment faire la lumière sur la forêt d'événements et d'émotions qui se cache derrière notre arbre généalogique? Cette partie comprend cinq textes de: Alex Pérez, Paul Helfer, Alicia Schmid, Laure Rohr et Luc Wintsch.

 

  • Mythologies: Et pourquoi ne pas faire comme si: considérer les rapports entre générations grâce aux filtres des pouvoirs d'évocation de la fiction? Cette partie comprend cinq textes de: Fabian Marques dos Santos, Arno Baccheta, David Page2, Lou Sicovier et Fanny Desarzens.

 

Un proverbe dit: Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient. Il ne faut pas croire qu'il ne s'applique qu'à la jeune génération. Il est intergénérationnel. Ce collectif en est l'illustration. S'il en était besoin, celui-ci permet de comprendre que, qu'elle soit heureuse ou pas, qu'elle soit naturelle ou adoptive, une filiation est déterminante de la personnalité.

 

Ces textes montrent qu'il est toutefois possible de s'en affranchir. Mais, pour ce faire, il faut connaître ses filiations, en faire son miel, les confronter avec celles des autres, et développer par ailleurs son esprit critique, c'est-à-dire en lisant et en écrivant, en dépassant ses émotions et en écoutant la voix de la raison. Dans L'enracinement, Simone Weil écrivait:

 

L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous.

L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous.

 

Francis Richard

 

1 - Étant donné que je fais partie des boomers, c'est-à-dire d'une génération qui a appris la langue française et à l'aimer autrement, comme Boualem Sansal, le lecteur me pardonnera de ne pas me soumettre à l'écriture inclusive, qui, à mon humble avis, porte mal son nom et ne durera que ce que vivent les roses, l'espace d'un matin, comme aurait dit Malherbe et dont Molière aurait su démonter la préciosité.

 

2 - Avis aux amateurs: son texte est surtout dans la langue de Shakespeare...

 

Filiations, Collectif, 346 pages, Éditions Encre Fraîche

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19 novembre 2024 2 19 /11 /novembre /2024 21:15
2043 - Chaos Total et nouveau Monde, de Stev' LeKonsternant

2043 - Chaos Total et nouveau Monde est un gros pavé. Son format est celui d'une page de 21,5 cm par 27,4 cm, il est épais de 2,9 cm et pèse un peu plus de 1,4kg. Son nombre de pages n'est donc pas significatif. Dans un format habituel il en aurait beaucoup plus.

 

Ce n'est pas le seul obstacle que le lecteur a à surmonter. En effet c'est un roman d'anticipation auto-édité. De ce fait le lecteur perfectionniste sera agacé par les coquilles, par les fautes d'orthographe ou de style qui ont échappé aux relectures de son auteur...

 

Il n'y a là rien de rédhibitoire: le sujet de ce roman d'anticipation est passionnant; les réflexions de l'auteur ne sont pas conformistes; il a su donner à son récit un rythme tel que le livre ne risque pas de tomber des mains du lecteur, sinon en raison de son poids. 

 

En 2036, tout a basculé avec l'effondrement des États-Unis, jusque-là première puissance du Monde. Le 22 septembre des affrontements entre Black Block et policiers à la sortie d'un meeting tenu à Chicago par des ténors du progressisme ont mal tourné.

 

Une mère de famille afro-américaine avait été touchée par une balle perdue tirée par un policier qui avait dégainé pour se défendre. Cette étincelle avait mis le feu aux poudres, alimenté par tous les médias, si bien que l'Amérique avait sombré dans le chaos.

 

Les États-Unis hors jeu, d'autres pouvoirs étaient apparus, notamment:

  • L'Eurotopia ou Europe occidentale,
  • la Nouvelle Russie ou l'Empire,
  • Technopolis ou l'État Entreprise (en Silicon Valley).

 

Marseille avait fait sécession et repris son nom de Massalia. Enfin, une autre puissance, maritime, Atlantica, avait regroupé dans le fond des mers, des femmes qui s'étaient fait greffer des branchies, ne voulaient plus avoir aucun contact avec la gent masculine.

 

Le 6 mars 2043, l'héritière, Mélissa Zuckenstein, du réseau Newlife, fondé par son père Martin Zuckenstein, est victime d'un attentat dans le Berlaymont, l'immeuble d'Eurotopia à Bruxelles. Tout semble accuser la Nouvelle Russie, mais n'est-ce pas trop simple?

 

Deux attentats se produisent le 19 mars sur la Grand-Place à Bruxelles lors des festivités antinationales, où sont fêtés la disparition de la guerre et de la rivalité, le triomphe de l'ouverture et de la tolérance. Les victimes? Le fondateur de Newlife et la Reine d'Atlantica.

 

Dans ce fort volume les protagonistes sont nombreux. Par ordre d'apparition:

  • Mélissa Zuckenstein, l'héritière de Newlife
  • Vlad, l'Empereur de la Nouvelle Russie
  • Harvey Tucker, un geek employé de Technopolis
  • Evgueny Backthrine, un super soldat néo-russe, garde impérial, matricule 512
  • Nantsuno Takanabé, patron de Technopolis
  • Chymène Beaurivage, favorite de la Reine d'Atlantica
  • Elie Minjewsky, infirmière à Massalia
  • Arielle Tréfond, la Reine Mère d'Atlantica
  • Asmodée LeBrun, Heptarque1 en charge des Affaires étrangères d'Eurotopia.

 

Le Monde tel qu'il est en 2043 est tout à fait plausible, d'autant que celui d'aujourd'hui était déjà ainsi, en tout ou partie, ou le préfigurait. Exemples:

  • Pour communiquer entre eux et avec les réseaux les gens ont un implant: celui-ci remplace simplement les écrans.
  • Le droit d'avoir un enfant est aux mains des politiques, qui eux échappent à la règle.
  • La charité a complètement disparu et cédé la place à la solidarité.
  • Les plaisirs des sens, plus souvent virtuels que réels, ont supplanté ceux de la pensée.
  • Ce qui intéresse les politiciens n'est pas de contenter les populations mais d'être élus.
  • Les scientifiques, pour qui la réalité objective existe, sont mis au ban de la société par les constructivistes, pour qui elle est relative.
  • Les juges et les politiques appartiennent aux mêmes réseaux, les premiers n'étant donc pas indépendants des seconds.
  • La gouvernance et ses experts remplacent le gouvernement qui supposait des chefs.
  • La civilisation est en fait l'ensemble des croyances et des pratiques inculquées à la société par les dirigeants pour servir au mieux leurs intérêts.

 

Ce roman est une satire intemporelle du pouvoir, quel qu'il soit, qui corrompt, et est corrompu, les puissants ne cessant de faire le nécessaire pour s'approprier le pouvoir qui leur échappe encore et n'hésitant pas à employer graduellement tous les moyens pour y parvenir:

  • les violence dissuasives,
  • les violences ciblées,
  • les conflits armés.

 

Stev' LeKonsternant reste optimiste cependant et pense qu'il est possible de limiter leurs excès et... nos propres excès:

 

Si nous en prenons conscience et que nous nous libérons de certains schémas de pensée imposés depuis le haut, nous serons alors à même de mener ce passionnant et perpétuel combat contre cette force abjecte qui nous incite tous, à notre échelle, à nuire à autrui au nom de nos désirs...

 

Francis Richard

 

1 - Ils sont sept à diriger Eurotopia.

 

2043 - Chaos total et nouveau Monde, Stev' LeKonsternant, 512 pages, Amazon

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14 novembre 2024 4 14 /11 /novembre /2024 23:15
Années Solex, d'Antonin Moeri

Années Solex est un recueil de neuf nouvelles, dont le titre est celui de la deuxième. Antonin Moeri, né dans la décennie d'après-guerre1, est un boomer, comme le titre de la première...

 

Pour les moins de quarante ans, qui peuvent ne pas connaître ce qu'était le Solex, rappelons que c'était un cyclomoteur produit entre 1946 et 1988 et vendu à sept millions d'exemplaires.

 

La couverture du livre, recto verso, reproduit un détail de la publicité faite pour la promotion de cet engin, dont la particularité était d'avoir les moteur et réservoir situés sur la roue avant.

 

  • Dans LE BOOMER, Patrice et son fils Tanguy, prénom à succès dans les années 1990, font une ascension de quatre heures de marche et 1500 mètres de dénivelé, Tanguy devant et lui derrière.

 

Le regard que Patrice jette sur les êtres et les choses correspond bien à sa génération. Il est ébahi par exemple par l'intensité avec laquelle une jeune femme scrute son téléphone intelligent.

 

Il ne connaît pas les codes d'aujourd'hui si bien que le terme de boomer qu'emploiera son fils pour qualifier péjorativement sa politesse d'un autre temps le laissera sans doute pantois.

 

  • Dans ANNÉES SOLEX, une photo, où deux filles de quatorze quinze ans posent à côté de leur Solex, rappelle des souvenirs à une femme qui l'a contemplée dans un album qu'elle a reposé.

 

Ces souvenirs ne suscitent pas en elle du regret ou de la nostalgie, mais plutôt de la jouissance. Car elle se souvient d'une fille de son âge avec laquelle elle faisait des virées en Solex.

 

L'auteur ne dit pas grand chose sur leurs arrêts au bord de routes de campagne, après avoir appuyé leurs cyclomoteurs contre un tronc ou une barrière, laisse le lecteur imaginer leurs émois.

 

  • MADAME CHOLET, le personnage de l'histoire est une prof zélée et digne, bien qu'objet de moqueries de la part de ses collègues et de ses élèves pour ses accoutrements et son allure désuète.

 

Rien ne semble l'atteindre en dehors de sa besogne. Ses vêtements sont de plus en plus négligés. Plongée dans ses pensées, elle ne se soucie pas non plus de ce qui se passe autour d'elle.

 

La nouvelle directrice ne sait que faire pour venir en aide à cette prof dévouée à sa tâche, la reçoit dans son bureau directorial. Rien ne filtre de ce qui se dit, mais les apparences sont sauves.

 

  • PABLO aime les chaussures de prix, faites à la main. Il vit avec une femme d'origine russe assez drôle qui, après avoir fait des études de biologie, s'est spécialisée dans celle des papillons.

 

Le narrateur apprécie l'autodérision du couple, son sens de l'observation très développé. Mais il a un trou de mémoire. Il ne se souvient plus du prénom de cette femme imaginative. 

 

Quand un matin il rend visite à Pablo qu'il n'a pas revu depuis longtemps, il ne le reconnaît pas, non plus que l'appartement si bien tenu naguère et s'empresse d'écrire pour conjurer ce sort.

 

  • La narratrice, assise sur un banc, a aperçu dans une gare une femme qui a la même coiffure qu'elle, le même nez, une JUMELLE. Elle réapparaît dans la rue, mais elle la perd bien vite de vue.

 

Peu après, elle réapparaît. Elle lui fait signe de la suivre. L'inconnue la précède dans un souterrain, un lieu déconcertant où on se promène dans le plus simple appareil, un paradis payant.

 

Dans ce lieu il y a des pièces chaudes, une piscine, au bord de laquelle la narratrice un peu perdue s'est retrouvée. Dans ce secteur, l'invite un personnage aux cuisses duvetées de blond

 

  • AMANDINE participe un jour à une expédition dans un pays lointain, car elle n'en pouvait plus, tant sur le plan professionnel que sur le plan privé. Elle n'en a pas mesuré les conséquences.

 

Sous une tente, en effet, elle s'est retrouvée et sentie bien dans les bras d'une femme plus âgée, sans que ni l'une ni l'autre ait fait le premier pas. En conséquence, elles se sont mises en couple.

 

Tout est allé bien jusqu'à ce que l'enfant parut, après une PMA pratiquée en Belgique. Cela ne pouvait que mal finir et il fallait qu'elle en fasse la confidence à une amie, à une fille bien.

 

  • Le narrateur est un psy. Il raconte le cas étrange de son patient DEP280863, qui a développé un sentiment de persécution et de névrose phobique et n'est pas venu pendant presque un an.

 

Ce patient a un extraordinaire don d'observation, d'autant plus remarquable qu'il est atteint d'un strabisme de naissance. Il est revenu le voir pour lui parler de son père et de sa compagne.

 

Ses parents ont divorcé. Son père est revenu de Namibie avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une black, dont les attitudes le gênent et le font oublier de parler de lui-même.

 

  • Un homme discret, retenu, et son amie graphiste se rendent à l'invitation d'une vague connaissance, un peintre post-abstrait, dans une somptueuse demeure, où ils rencontrent MISS EVA.

 

La graphiste a connue Marianne avant qu'elle devienne plasticienne et adepte des gestes de rupture, et veuille surtout donner à voir le silence éternel des espaces infinis 2 et du hors-temps.

 

Au lieu de perdre son temps avec ce duo sans importance, ladite Miss Eva a des rencontres à faire ici parmi tous ces artistes, galeristes, photographes et autres commissaires d'exposition...

 

  • Lars a vu au cinéma un film où une fille de bonne famille et son petit ami ont un accident de voiture, sont emmenés dans un immeuble louche où le lendemain elle subit des outrages.

 

Le choc qu'il ressent est du même ordre quand il voit entrer dans la salle de cours sur Schopenhauer une étudiante qui lui rappelle l'actrice vue au cinéma et dont il sait attirer l'attention.

 

Ils partent pour l'île aux trois pointes 3 pour donner une forme à leur rêve. Mais, dans un train qui les conduit au pied de l'Etna, l'étudiante, regardant Lars somnoler, déchante: RIDEAU!!!

 

Francis Richard

 

1 - L'après Seconde Guerre mondiale.

2 - Clin d'oeil à Blaise Pascal.

3 - La Sicile.

 

Années Solex, Antonin Moeri, 208 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents:

 

Juste un jour (2007)

Encore chéri ! (2013)

Pap's (2015)

L'homme en veste de pyjama (2017)

Ramdam (2019)

Moi cet autre (2022)

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13 novembre 2024 3 13 /11 /novembre /2024 17:55
Le Prix du livre de la Ville de Lausanne 2025

Le Prix du livre de la Ville de Lausanne a été lancé en 2014 par le Service des bibliothèques & archives, dans le cadre de sa politique du livre.

 

La sélection de cinq romans, publiés dans l'année, est faite par un comité de dix personnes oeuvrant au sein de ce service.

 

Il s'agit avec ce prix de :

  • valoriser et faire vivre la scène littéraire de Suisse romande;
  • faire connaître des autrices et auteurs de Suisse romande dans le monde francophone;
  • encourager la création littéraire en langue française;
  • promouvoir la lecture publique.

 

Les cinq romans sélectionnés cette année sont:

 

Ces cinq romans peuvent être lus gratuitement en ligne sur le site de La Ville de Lausanne ou écoutés sur La Bibliothèque Sonore.

 

Depuis l’édition 2022, ce sont toutes les lectrices et lecteurs de Suisse romande et d’ailleurs qui peuvent donner leur voix en votant via différents moyens.

 

Il reste quelque sept semaines, jusqu'au 31 décembre 2024, pour voter:

  • en ligne
  • par courrier après avoir téléchargé et imprimé la carte de vote:
  • en glissant cette carte de vote dans une des urnes prévues à cet effet.

 

Des urnes se trouvent dans les lieux suivants:

- Bibliothèques de la Ville de Lausanne

- Info Cité

- Payot Lausanne

- Université populaire de Lausanne

- BCU Lausanne (site Riponne)

- Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel

- Bibliothèque de Vevey

 

Le prix sera remis à la lauréate ou au lauréat le lundi 20 janvier 2025 de 19h à 20h15 au Théâtre de Vidy, à Lausanne, sur inscription. Un apéritif sera offert à l'issue de la rencontre.

 

Bonnes lectures et bon vote !

 

Francis Richard

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11 novembre 2024 1 11 /11 /novembre /2024 20:50
Tablettes de plomb, de Marie-Noëlle Schurmans

L'histoire se déroule au cours des cinq premiers mois de l'année 2021, c'est-à-dire en pleine pandémie de coronavirus, qui fut propice aux fantasmes, à la peur et à la perte d'esprit critique.

 

Les Tablettes de plomb étaient des tablettes utilisées en Mésopotamie il y a plusieurs millénaires pour adresser des messages ésotériques et néanmoins significatifs à leurs destinataires.

 

Une certaine Charlotte Reignier, retrouvée morte chez elle en janvier, a la main posée dessus l'une d'entre elles, le visage douloureux et le corps calme, un homicide vraisemblablement.

 

Cette tablette porte des inscriptions: Elle est gravée, sur un côté, de signes étranges intercalés avec des sortes de dessins sommaires, presque enfantins. Et on dirait du grec, de l'autre côté.

 

Le commissaire chargé de l'enquête, Rémy Courbier, vient d'être nommé à Lyon. Ayant un grand-père syrien, il s'est justement depuis l'enfance intéressé à la Mésopotamie et en rêve même.

 

Pour ne pas être éloigné des deux commissariats où il va officier, il a trouvé un logement qui lui permet de s'y rendre à pied. La propriétaire, sans qu'il le soupçonne, l'a choisi pour qui il est.

 

Dans sa maison, que Gabrielle Rivière a fait transformer en appartements, vivent déjà deux locataires, un retraité, Auguste Guillond, et une jeune femme, Zoé Monin, qui lui sont proches.

 

Peu de temps après, il s'avère que, d'après un spécialiste du Musée des Confluences, la tablette trouvée chez Charlotte Reignier, est une tablette de défixion, c'est-à-dire d'envoûtement.

 

Ayant appris le décès de Charlotte par la presse, Gabrielle envoie une longue lettre à Rémy Courbier, dans laquelle elle lui fait des révélations qui pourraient lui être utiles pour son enquête.

 

Gabrielle et Grégoire, son frère jumeau - en fait ce sont des hermaphrodites qui ont reçu hormones et subi scalpel pour devenir femme et homme respectivement -, ont fait des découvertes.

 

En effet, enfants, ils faisaient des fouilles dans les sous-sols de la ville en transformation et ainsi avaient mis à jour un dé de bronze auquel ils avaient attribué à raison des propriétés divinatoires.

 

Charlotte, guérisseuse, les avait encouragés à cultiver leur don. M. Kananga, le grand-père maternel de leur camarade Fonan, d'origine ivoirienne, avait reconnu ce don et leur singularité:

 

Comme les autres [jumeaux], nous partagions la même vie, mais nous incarnions la synthèse du masculin et du féminin.

 

Quand Gabrielle reçoit Rémy, elle lui apporte deux précisions:

  • son frère et elle ont découvert un tablette de plomb au fond d'un puits,
  • quand son frère et elle ont découvert le corps de M. Kananga, il y a quarante-six ans, il tenait en main une tablette de plomb.

 

Le lecteur remarquera que neuf sur quatorze des chapitres du polar sont précédés de textes obscurs et incantatoires. À la fin Marie-Noëlle Schurmans lui en livrera l'explication et l'auteur.

 

La résolution de l'énigme de la mort de Charlotte passera par l'examen et l'origine de ces tablettes de plomb. Tout étant judicieusement confondu, surnaturel et rationnel devront être démêlés.  

 

Francis Richard

 

Tablettes de plomb, Marie-Noëlle Schurmans, 242 pages, Plaisir de Lire

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9 novembre 2024 6 09 /11 /novembre /2024 20:20
Monsieur Hubert - Un chauffeur (très) particulier, de Serge Heughebaert

Il est curieux que l'enfant abusé sexuel soit jugé, adulte, pour abus de confiance. Tu ne trouves pas? L'abusé devient abuseur. La vie, pour lui, n'est qu'une comédie. Hubert, c'est un comédien avant tout. Il veut qu'on le remarque. Et que ce qu'il a vécu, désormais, serve à quelque chose. Quoi? On n'en sait rien.

 

Serge Heughebaert s'adresse à Pierre Avvanzino, qui, à ses yeux, peut le mieux raconter la vie de Monsieur Hubert, Un chauffeur (très particulier).

 

Romancier, il pense que cet ami chercheur est plus à même que lui d'écrire la biographie d'Hubert, tout en lui conseillant de l'écrire en romancier.

 

Hubert, sa vie le montre, a besoin de reconnaissance. Mais Pierre tire sa révérence avant de se mettre à l'ouvrage et le devoir d'écrire échoit à Serge.

 

La vie d'Hubert est un roman, qui commence mal, qui connaît des hauts et des bas et qui ne se termine pas trop mal, parce que le personnage sait rebondir.

 

Où et quand son histoire commence-t-elle? Hubert naît en 1947. Son père est jardinier et sa mère à l'office du Plongeon, vaste demeure au bord du lac.

 

Cette demeure est celle de grandes familles de l'est de la France qui vivent de la soie, ce qui fait dire à l'auteur qu'Hubert y fut porté aux fonts baptismaux.

 

Les enfants de ce monde, resté en France, sont placés dans une école catholique à Fribourg et les parents d'Hubert Meyer s'en occupent les week-ends.

 

Tous, parents et enfants, se retrouvent au Plongeon pendant les vacances. Les parrain et marraine d'Hubert appartiennent d'ailleurs aussi à ce monde.

 

En 1950, les temps sont durs, son père seul est licencié. Il retrouve un emploi dans une demeure austère, où le petit Hubert perd tous ses repères affectifs.

 

En effet, chaque jour, sa mère retourne sans lui au Plongeon. Petit dernier il vit à l'écart de ses frères aînés. Le remède à son problème sera pire que le mal.

 

En 1955, l'été venu, son père le place à l'Institut catholique de La Salette à Bouleyres, où il est abusé. Au retour, sa mère ne le croit pas: le pervers c'est toi...

 

Le reste de sa jeunesse il sera replié sur lui-même mais son caractère et sa connaissance du grand monde lui permettront de séduire et de surmonter ses avanies.

 

Ainsi fera-t-il des études à l'École hôtelière de Lausanne, sera-t-il  au service de grandes familles, comme celles connues enfant et apprendra à conduire.

 

Il conduira sans permis de luxueuses automobiles, dont il fera, sans vergogne, un usage personnel. À chaque fois que le vent tournera, il s'échappera.

 

Comme il ne peut pas gagner à tout coup, il se retrouvera à plusieurs reprises derrière les barreaux, où cet homme distingué ne restera jamais longtemps.

 

Ce n'est pas pour rien que l'auteur parle de Monsieur Hubert. Monsieur exprime à la fois le respect qu'il lui voue et celui qu'il inspire de par son allure.

 

L'auteur se demande s'il est important que l'histoire d'Hubert serve à quelque chose. Il y a pourtant une leçon que le lecteur pourrait en tirer, à mon sens.

 

Hubert a prouvé, en grandissant, qu'il ne restait pas dans une attitude victimaire, qu'il allait certes abuser de biens mais jamais de l'intégrité de personnes.

 

Il est frappant dans ce récit, que ceux dont il a abusé de la confiance ne lui en veulent pas, ou pas outre mesure, parce qu'il a de l'élégance innée et acquise...

 

Cette élégance le conduit, dans l'épilogue, où il dit se reconnaître dans ce récit, à exprimer ses regrets, à demander des excuses à certains de ses employeurs:

 

Je voudrais aujourd'hui leur donner six mois gratuits. Leur faire les plus belles fêtes qu'un maître d'hôtel, qu'un chauffeur, qu'un majordome, puisse offrir à ces gens-là.

 

Ses patrons ont dû sentir qu'il les aimait, même s'il est difficile de le penser, puisqu'il partait avec leur voiture, leur carte de crédit ou leur carnet de chèques...

 

Cette élégance se manifeste encore à l'égard de ses parents, à qui il pourrait en vouloir. Il aimerait que son père soit fier de ce qu'il a été et qu'il n'a pas connu.

 

À sa mère, il aimerait enfin pouvoir dire: Quelle belle vie on a passé ensemble. Quels bons souvenirs nous avons eus ensemble. [...] On s'est aimés et on a ri.

 

Francis Richard

 

Monsieur Hubert - Un chauffeur (très) particulier, de Serge Heughebaert, 144 pages, Cabédita

 

Livre précédent à L'Âge d'Homme:

Traces (2017)

 

Livre précédent chez Slatkine:

L'ombre de Sissi (2022)

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5 novembre 2024 2 05 /11 /novembre /2024 22:05
Smoothie, de Stéphanie Glassey

- Je pense que tu t'en rends compte toi aussi, nous sommes trop différents, on n'a pas la même philosophie de vie! le temps est trop précieux, je vais m'en aller.

 

La narratrice avait pris rendez-vous sur Tinder avec Clélio. Elle l'avait fait avec l'intention de se remettre de sa rupture deux mois plus tôt avec Adrian, qu'elle connaissait depuis huit ans et avec lequel elle avait vécu pendant six.

 

La rupture avec Adrian était due peut-être à la routine, que le confinement n'avait pas améliorée, plus certainement au fait qu'il avait rencontré quelqu'un d'autre, en l'occurrence une blondeur insolente, qu'elle croisa peu après.

 

Tandis qu'Adrian travaillait dans l'aménagement du territoire, elle faisait des études en philosophie et avait commencé, après un master, une thèse de doctorat, dans laquelle elle se disait embourbée depuis au moins quatre ans.

 

Entre un athlète tel que Clélio, ne pensant qu'à entretenir son corps, et une intellectuelle telle que la narratrice, férue de Schopenhauer, il y avait un abîme que leur rencontre devant un Smoothie1 ne risquait pas de combler.

 

Comme on n'apprend que de ses échecs, la narratrice se demande ce qu'elle peut bien faire pour séduire comme elle le faisait naguère encore, avant de connaître Adrian, et s'adresse à sa très franche amie Mélodie, pour l'éclairer.

 

Celle-ci lui explique que le monde a changé pendant qu'elle filait l'imparfait amour avec Adrian et, éternelle étudiante, vivait dans sa bulle, en dehors du véritable bouleversement sociétal qui s'est produit. Elle lui mentionne:

 

L'écoanxiété, la crise du logement, l'inflation, la perte de sens et de confiance, la solitude, la difficulté de trouver ou de garder un travail, les relations de consommation et surtout le cynisme omniprésent.

 

Face à ce bouleversement, qu'ont fait les gens? Ils ont commencé à prendre soin d'eux. Intérieurement comme extérieurement. Ils ont abandonné l'idée d'avoir le moindre contrôle sur le monde alentour ou sur leur trajectoire de vie.

 

En résumé, il fallut qu'ils positivent, comme on dit. Intellectuelle un jour, intellectuelle toujours, elle fait des recherches sur Internet et prend la ferme résolution de prendre soin d'elle, comme tout le monde le fait maintenant.

 

Mais elle ne se contentera pas de prendre soin d'elle, ne trahira pas Arthur 2. Elle donnera un sens à sa nouvelle manière de vivre, conciliera son droit de souffrir et de se questionner, tout en essayant d'aller bien, ou pas trop mal.  

 

Francis Richard

 

1 - Boisson crémeuse d'origine américaine à base de fruits entiers et de légumes frais, mélangés à des jus de fruits...

2 - Schopenhauer.

 

Smoothie, Stéphanie Glassey, 80 pages, OKAMA

 

Livres précédents aux éditions Plaisir de lire:

 

Confidences assassines (2019)

La dernière danse des lucioles (2021)

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3 novembre 2024 7 03 /11 /novembre /2024 20:45
Le français, parlons-en !, de Boualem Sansal

Ce petit manuel est destiné aux personnes qui ont le tort de ne pas s'interroger sur l'étrange inclination des hommes à se satisfaire de ce qu'on leur apprend dans le but premier d'aggraver leur ignorance et de les maintenir dans la servitude heureuse.

 

Boualem Sansal exprime cette intention dans ce qu'il appelle Note de cadrage, puis, En guise de préambule, à la fin d'une interview qui n'a pas eu lieu, il la résume par cette pensée télescopique:

Il n'y a de peuple que dans une culture et une langue, de culture et de langue que dans la liberté, de liberté que dans le courage et l'honneur, de courage et d'honneur que dans l'amour de son pays et des siens. La rupture de la chaîne signe la mort du peuple et la dislocation du pays.

 

Que constate-t-il?

  • Que les démocraties ne sont plus ce qu'elles étaient: la liberté y est désormais rationnée, confinée, contingentée, masquée, coupable.
  • Que nos lointains ancêtres communiquaient avec les dieux par le langage de la pierre et que nous sommes plus modestes: notre histoire est purement terrestre, douloureuse et éphémère, celle de l'écriture sur papier et de la parole portée par le vent et les ondes hertziennes.
  • Que la moitié de ce qui se dit dans les rues de France et le quart de ce qui se lit dans les journaux, papier et électronique n'est pas du français certifié. Il s'entend et se comprend, mais de moins en moins.
  • Que la surdité qui en résulte ne vient pas que des oreilles, elle vient des maladies de la langue et des yeux, elle vient aussi des dérives sociétales et des méfaits du gouvernement dont la maladie est l'incompétence chronique.

 

Comment en est-on arrivé là?

L'accoutumance à l'insignifiance fait que l'on ne se voit pas glisser dans la trappe de l'ignorance. À l'inverse de la colonisation culturelle par le haut, imposée par les armes, qui est une agression à laquelle naturellement on résiste, la colonisation par le bas est une pénétration en douceur.

 

La conséquence pour l'auteur, Algérien vivant en Algérie, quand il se rend en France?

Ce qui me reste de mon bon français m'handicape, je commence à me sentir étranger en France, ce que je suis officiellement. C'est désagréable.

 

Il n'y a pas si longtemps, la France et l'Algérie révolutionnaire acharnée mais francophone, pratiquaient le même français, à l'accent près... Mais l'Algérie s'est arabisée et la France américanisée. Et l'esprit de Babel souffle à nouveau sur le monde...

 

Pourtant, en matière de grandeur, la langue est la clé, elle est magique, elle ouvre toutes les portes, de la terre et du ciel, elle est la pierre philosophale qui révèle, nomme, exalte, enclenche les processus de libération qui mènent à la sapience et à l'éternelle jouvence.

 

D'où vient le français? L'auteur évoque les différentes origines possibles: latine, grecque, gauloise, franque, etc. Mais il reconnaît humblement qu'on ne sait pas d'où vient le français. Il émet encore les hypothèses royale ou céleste, mais avoue que le français comme le Sphinx garde son secret.

 

Pourquoi le français recule-t-il dans le monde? Par peur de la sanction et de la moquerie:

Son art du contournement disruptif et du dysfonctionnement impromptu fait de lui le langage/la langue le/la plus difficile au monde.

 

En France même, le français cède devant des parlers hautement débilitants:

  • le globish de quincailler,
  • le wesh-wesh des quartiers,
  • la langue inclusive qui exclut tout, n'inclut rien,
  • le langage binaire de l'informatique,
  • le bilinguisme élyséen à somme nulle,
  • la langue européenne.

 

Qui sauvera le français?

Notre langue sera grande quand nous-mêmes, ses enfants, serons grands. Mais n'exagérons pas notre influence sur elle, elle est grande sans nous. elle ne parle pas qu'aux hommes, nouveaux venus dans le vaste univers, elle parle aux anges, aux esprits et aux oiseaux du ciel 1.

 

Et la France?

Plus un pays maîtrise sa langue et l'entretient avec la passion du jardinier amoureux de ses plantes, mieux il respire la force, nourrit ses neurones, aiguise son regard et son intelligence, son imaginaire et son flair, et au bout fortifie sa personnalité et la télépathie qui interconnecte les individus.

 

Francis Richard

 

1 - L'auteur se dit athée, mais non apostat car il est né libre de religion et l'est resté contre vents et marées...

 

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal, 192 pages, Les éditions du Cerf

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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2 novembre 2024 6 02 /11 /novembre /2024 19:00
La vie des choses, de Marc Agron

Il avait oser rêver de gloire en dépit d'une voisine qui lisait dans le marc de café et lui avait rappelé que la gloire était une notion post-mortem, à ne pas confondre avec la célébrité.

 

Yann Mendelec était un écrivain célèbre. Tous ses livres s'étaient bien vendus. Son éditeur et complice, Louis Van Berg, avait fait fortune grâce à eux.

 

À l'origine professeur d'histoire, Louis s'était laissé convaincre par Yann d'être son éditeur. Longtemps, les deux larrons n'avaient pu que s'en féliciter.

 

Seulement le dernier livre de Yann n'avait pas eu de succès. Les critiques l'avaient éreinté et considéré comme mauvais. Yann en avait été meurtri.

 

Pendant trois ans, Yann s'était alors isolé dans sa propre maison, ne s'occupant plus guère de sa femme, Rosemarie, et de ses jumeaux, Jean et Yvan:

 

Il avait passé son temps à écrire et à dormir.

 

Un jour, toutefois, il avait rendu visite à Louis, un manuscrit sous le bras, à l'hôtel particulier, devenu maison d'édition, acquis grâce à ses livres.

 

Yann avait apporté à Louis La vie des choses et celui-ci lui avait dit, comme à n'importe quel auteur, qu'il le soumettrait au comité de lecture.

 

Yann ne s'attendait pas à un tel traitement. Il partit. Prisonnier de son désir et conscient de la folie qui le menaçait, il poussa un long cri de rage...

 

Ce livre ne devait pas être si mauvais que ça puisque Louis, un jour, l'appela. Mais la communication fut coupée. Il lui fallut donc le rappeler:

 

On l'informa insolemment que son texte présentait certaines qualités. On lui fixa un entretien.

 

La vie des choses ne ressemblait à aucun de ses livres précédents. Il n'y avait pas de personnages, mais des objets, qui avaient donc une âme.

 

Ce livre était si différent que Louis ne le publierait qu'à une seule condition, ne pas être signé du nom de Mendelec, désormais synonyme d'échec.

 

Quelques semaines plus tard, Yann reçut en lettre recommandée le contrat d'édition, où une somme importante lui était proposée, à donner le tournis.

 

Le jour de la signature venu, ce contrat fut relu à Yann par Louis, un notaire et un avocat, et Yann accepta cette convention léonine sans discuter:

 

La convention était à la fois un acte de naissance et un certificat de décès: Yann s'engageait à ne plus apparaître en tant qu'auteur et à ne jamais divulguer sa paternité de La vie des choses.

 

Il respecta cet engagement, disparut avec la coquette somme qu'il convertit en liquidités. Son double connut la célébrité, et peut-être la gloire...

 

L'histoire ne s'arrête pas là. Marc Agron, imagine un possible et diabolique retour de l'auteur, dont le lecteur ne saura qu'à la fin s'il se réalisera. 

 

Francis Richard

 

La vie des choses, Marc Agron, 224 pages, La Veilleuse

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

 

Mémoire des cellules (2017)

Carrousel du vent (2018)

Rêver d'Alma (2020)

 

N.B.

Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteur aura lieu le 14 décembre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription.

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25 octobre 2024 5 25 /10 /octobre /2024 16:30
Houris, de Kamel Daoud

Dans la lumière, j'apparais comme une femme élancée, exténuée, à peine vivante, et mon immense sourire figé ajoute au malaise de ceux qui me croisent. Ce sourire, illimité, large, presque dix-sept centimètres, n'a pas bougé depuis plus de vingt ans. Il est un peu plus bas que le bas de mon visage et étire mes mots, mes phrases.

 

Cette jeune femme a vingt-six ans. Elle s'appelle Fajr dans sa langue extérieure, Aube dans sa langue intérieure. Dehors, elle est muette. Dedans, elle parle, à sa fille qu'elle porte dans son ventre.

 

Que s'est-il passé il y a vingt ans? Le 31 décembre 1999, à la fin de la décennie noire que l'Algérie a connue, elle a été égorgée sans être achevée, emmenée dans une ambulance jusqu'à Oran.

 

Depuis la loi de Réconciliation, s'il est interdit de parler de la guerre imprécise de 1990 à 2000, la sienne, il est licite de parler de la guerre de libération, du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962.

 

Khadija, cinquante-huit ans, trouvée le 5 juillet 1962 dans un berceau à la porte d'une mosquée à Alger, est sa mère depuis le 1er janvier 2000. Aube est née ce jour-là, Fajr morte la veille. 

 

Khadija est partie en Belgique à la recherche d'un chirurgien pour opérer Aube. Elle ne sait pas qu'elle attend une Houri 1, elle ne sait pas non plus qu'elle veut retourner sur les lieux du crime.

 

Fajr Djama habitait en haut du village de Had Chekala. Dans un hangar, elle et sa soeur Taïmoucha ont été égorgées, mais elle seule a survécu, après avoir fermé les yeux, comme morte.

 

Elle retourne sur place pour demander que faire à son Houri de soeur, décider si elle et son Houri d'enfant doivent vivre. Houris est le récit de ce périple, semé d'embûches, riche en rencontres.

 

La rencontre avec Aïssa, autre survivant, sera décisive. Il suffit de lui donner un chiffre pour qu'il raconte un massacre de la décennie dont le nombre de victimes correspond à ce chiffre.

 

Elle est pour lui un signe, la preuve, qu'il n'a pas inventé ce qu'il raconte sur les massacres des terroristes islamistes, faute de savoir en faire un livre. Sur place, elle comprendra, parlera enfin:

 

Tu es tombée du ciel un jour de l'Aïd et ce n'est pas pour être égorgée mais pour témoigner, lui dira Aïssa.

 

Francis Richard

 

1 - Houri, nom féminin: beauté céleste du paradis d'Allah (Larousse)

 

Houris, Kamel Daoud, 416 pages, Gallimard

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21 octobre 2024 1 21 /10 /octobre /2024 20:55
Au coeur de la bête, de Lorrain Voisard

- Sutter abattoirs.

- Oui, bonjour, Arthur Jolissaint. Euh, je vous appelle pour savoir si vous avez encore besoin de main-d'oeuvre.

- Du boulot, il y en a. C'est toi qu'es venu faire une journée à l'essai?

- C'est ça, le printemps passé.

 

Arthur va travailler six mois, à partir du début février, dans ces abattoirs moyens, passer par tous les postes.

 

Arthur rentre dans les détails de ce métier, où il est du bon côté, celui des vivants, et où les bêtes meurent.

 

Pour l'essentiel il s'agit de cochons qui sont menés à l'abattoir, mais il y a aussi des bovins et des ovins.

 

Compte tenu de sa dimension, cette usine ne fonctionne pas tous les jours et le travail commence dans la nuit.

 

Au début, les gens qui y bossent pensent qu'ils ne s'habitueront pas, mais peu à peu ils ne réagissent plus.

 

Arthur raconte leur vie de gens tout à fait ordinaires et qui, il le dit sans ambages, souffrent avec les bêtes.

 

Il est venu pour travailler, mais aussi pour savoir, et pouvoir raconter ce [qu'il aura] vécu, pendant six mois.

 

Quand, dehors, il raconte l'abattoir, les gens, ça les dégoûte, sachant que c'est nécessaire si on mange de la viande.

 

Alors il défend ceux qui y travaillent parce qu'il sait qu'ils font leur maximum pour que les bêtes ne souffrent pas.

 

Avec eux, certes il baigne dans l'horreur et le froid mais malgré tout ils s'amusent, ils sont tous vraiment ensemble:

 

Une bonne journée est une journée sans vagues. Un bref signe de tête suffit à se comprendre. On limite le mouvement, on limite l'émoi. On causera à la pause.

 

Ils perdent de vue le tableau qu'ils doivent donner à ceux qui, dehors, veulent de la viande sans se salir les idées... 


Alors Arthur se place Au coeur de la bête et raconte ce qui se passe dans les abattoirs, i.e. comment c'est vraiment:

 

Tout le monde devrait savoir, pour manger des bêtes, savoir ce que ça fait à ceux qui les tuent.

 

Francis Richard

 

Au coeur de la bête, Lorrain Voisard, 216 pages, Éditions d'en bas

 

N.B.

Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteur aura lieu le 7 décembre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription .

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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