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23 janvier 2020 4 23 /01 /janvier /2020 17:00
Cornélia de Preux et Pierre Fankhauser

Cornélia de Preux et Pierre Fankhauser

Hier soir, Tulalu!? recevait Cornélia de Preux au GRAM, à Renens, qui est à la fois un marché fermier, un restaurant et bien d'autres choses. Le GRAM est un lieu qui convenait bien au dernier livre de l'auteure, puisqu'il est intitulé La fin des haricots... C'est elle, d'ailleurs, qui, pour changer, l'a proposé à l'association littéraire.

 

Pierre Fankhauser, qui anime la rencontre, demande à l'invitée si elle est végétarienne, végétalienne ou autre, et s'attire cette réponse qui le laisse coi: flexitarienne. Qu'est-ce qu'être flexitarienne? C'est être flexible en matière alimentaire, et donc ne pas se contenter de manger des haricots, fussent-ils sur leur fin...

 

Les nouvelles de Cornélia de Preux, qui composent La fin des haricots, sont courtes, voire très courtes. Elle est à l'aise avec ce format qui l'oblige à canaliser la foultitude d'idées qui lui passent par la tête. Quand d'autres en lisent une à haute voix devant elle, elle se demande si elle ne pourrait pas la raccourcir...

 

Il n'est donc pas étonnant, compte tenu de son remarquable esprit de synthèse, que Cornélia de Preux fasse partie des Dissidents de la pleine lune, groupe littéraire non conformiste et détonnant, fondé il y a neuf ans par Sabine Dormond, Hélène Dormond et Olivier Chapuis.

 

Ces dissidents de la littérature se réunissent tous les lundis de pleine lune, se donnent un thème d'écriture déconcertant, tel que, par exemple, La nostalgie de l'avenir, et s'obligent à employer des oxymores ou des contrepèteries, ou encore à ne pas employer de mots avec des accents.

 

Ces écrits, qu'ils se lisent après avec gourmandise, ne doivent pas dépasser 3'000 signes, soit une feuille A4. Autant dire qu'à la contrainte du thème s'ajoute celle de la brièveté. Comme le dit, à juste titre, Cornélia de Preux, la liberté ne vient-elle des contraintes que l'on s'impose volontiers à soi-même?

Cornélia de Preux, Jeanne Perrin, Adeline Mélo et Pierre Fankhauser

Cornélia de Preux, Jeanne Perrin, Adeline Mélo et Pierre Fankhauser

Les participants à la soirée, avant même que Pierre Fankhauser ne s'entretienne avec Cornélia de Preux, ont des aperçus de son écriture, qu'elle considère comme un terrain de jeux, avec la lecture joviale de quelques-unes de ses nouvelles par Jeanne Perrin, accompagnée de la musicienne Adeline Mélo.

 

En tout cas, ses nouvelles sont diverses et variées, même dans leur brièveté. L'auteure les a bien regroupées par genre, Les amoureuses, Les crépusculaires ou Les existentielles, mais elle reconnaît que certaines d'entre elles ainsi classées pourraient tout aussi bien se trouver également dans un autre genre...

 

Comment écrit-elle? Sans se donner de règles, ou, peut-être, celle de maintenir l'envie du lecteur d'aller jusqu'au bout de sa lecture. Plutôt que de chercher à faire des effets ampoulés de style, elle essaie de dire le monde comme il est. Ses personnages étant certes inspirés du réel, mais restant des créations.

 

Comme elle est paradoxale, elle aime concilier les contraires et fait des mariages improbables entre ses personnages. De quoi donner matière à réflexion à ses lecteurs qui n'auraient peut-être pas fait autrement de tels rapprochements. Quoi qu'il en soit, toute oeuvre échappe à son créateur et vit sa vie.

 

La preuve lui en a été administrée par ce qui est arrivé à L'aquarium, son roman publié en 2012. Diffusé jusqu'à Stans dans le canton de Nidwald, ce roman, dont une page a d'abord été traduite par un élève du gymnase Saint Fidelis, a ensuite fait l'objet d'ateliers dans trois classes de ce gymnase.

 

La vie de ce roman ne s'est pas pour autant arrêtée là. Un des professeurs du gymnase, Reto Melchior, aujourd'hui à la retraite, s'est mis en tête de le traduire en portugais et de l'adapter pour le théâtre: cette adaptation scénique a été jouée au Brésil, un cadeau dont Cornélia de Preux s'est réjouie.

 

Pierre Fankhauser, qui sait se montrer taquin, demande à l'auteure experte en concision de résumer son écriture en trois mots, reconnaissant qu'il serait bien incapable de se livrer à l'exercice. Un moment de stupeur vite passé, celle-ci ne se démonte pas et dit: colorée, simple, (un peu) folle (quand même)...

 

Francis Richard

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3 décembre 2019 2 03 /12 /décembre /2019 17:00
Romain Buffat et Pierre Fankhauser

Romain Buffat et Pierre Fankhauser

Hier soir, Tulalu!? recevait Romain Buffat au Cinéma Bellevaux, à Lausanne. D'entrée, Pierre Fankhauser demande à l'invité comment lui est venue l'idée de Schumacher, son premier roman, écrit il y a cinq ans et publié l'an passé.

 

Contrairement à ce qui se raconte, cette idée ne lui pas venue tout soudain en prenant un verre dans un bistro. Elle ne lui a pas non plus été imposée par Michel Layaz, son mentor à l'Institut Littéraire. En fait ce roman est le fruit de ses obsessions: les États-Unis, les origines et l'expérience littéraire.

 

Si Romain Buffat situe son roman à la fin des années 1950, c'est pour parler de cette révolution qu'ont apportée les Américains à l'Europe à cette époque-là, avec le rock'n'roll, le toaster, le frigo ou le bowling. Comment ne pas être fasciné par l'american way of life qu'a connue la génération d'alors?

 

Qui est John Schumacher, son héros? De lui, on ne sait rien et c'est justement ce qui est intéressant. Partir de rien, ou presque, échafauder des hypothèses, spéculer sur ce personnage et faire, à l'instar de Pierre Michon, d'une vie minuscule un récit majuscule, c'est une véritable aventure et une gageure.

 

L'expérience littéraire, c'est expérimenter l'écriture dans ses variations (l'auteur pense à Georges Pérec): imposer par exemple une vision au lecteur avec l'emploi de la première personne et du passé simple ou, au contraire, laisser libre cours à l'imagination de celui-ci en lui donnant juste une direction.

 

Il ne faut pas déduire de ces considérations intellectuelles que Schumacher est un roman cérébral. Certes il l'est, un peu... Mais il y a aussi une intrigue. Par exemple, l'identité du narrateur n'est révélée qu'à la page 82. Par le fond et par la forme, il y en a donc pour tous les goûts et couleurs de lecteurs.

 

L'histoire est en partie autobiographique (quel roman ne l'est pas?), mais cela n'a d'importance que pour l'auteur. Comme il le dit, raconter son histoire aurait pu prendre la forme d'un exécutoire à ses ressentiments, mais il a fait un pas de côté pour mettre de la distance entre lui et son narrateur.

 

Ce narrateur qui ne se dévoile que tardivement est en fait bienveillant, même si, de temps en temps, des traits d'ironie lui échappent, mais c'est pour la bonne cause, celle de soutenir jusqu'au bout l'intérêt du lecteur, qui n'est donc pas volé, et pour rompre une monotonie qui pourrait menacer.

 

Lire ce roman fragile, puisque les éléments de départ sont ténus, est un bonheur de lecture, parce que l'écriture est soignée, fluide. Cela suppose un travail exigeant de retouches et de polissages... qui ne se voit pas. Romain Buffat remercie d'ailleurs ses éditeurs pour leurs réductions à l'essentiel...

 

Ce récit confirme que l'on ne maîtrise jamais complètement son destin et que l'on doit faire face à des abandons, à des amours déçues. Mais cela ne doit pas pour autant empêcher de rêver, d'imaginer tous les possibles et l'expérience littéraire, justement le permet de manière paradoxale:

 

Pouvoirs et impuissance de la fiction...

 

Francis Richard

Romain Buffat lit "Schumacher"

Romain Buffat lit "Schumacher"

Mathias Demoulin l'accompagne à la contrebasse

Mathias Demoulin l'accompagne à la contrebasse

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5 novembre 2019 2 05 /11 /novembre /2019 16:45
Pierre Fankhauser et Valérie Gilliard

Pierre Fankhauser et Valérie Gilliard

Hier soir, Tulalu!? recevait Valérie Gilliard au Broadway av., place du Tunnel, à Lausanne.

 

L'auteure de Nos vies limpides y a fait son show, en lisant plusieurs extraits de ses nouvelles, accompagnée au piano par Davide Di Spirito, qui a composé de la musique spécialement pour chacun d'entre eux.

Davide Di Spirito et Valérie Gilliard

Davide Di Spirito et Valérie Gilliard

Puis, comme c'est le jeu des rencontres de l'association littéraire, Valérie Gilliard a répondu aux questions de Pierre Fankhauser, lequel a trouvé que la teinte dominante de ses textes était le gris.

 

Originaire du Nord, l'invitée aime le gris, mais elle ajoute aussitôt que, dans ses nouvelles, il y a tout de même des échappées et qu'elles ne sont donc pas toutes grises. Certaines même finissent bien.

 

Ses femmes - elle raconte la vie limpide de dix d'entre elles - n'ont-elles pas des problèmes de couple? Oui, mais certains couples ne trouvent-ils pas des échappées? ou, sinon, de nouveaux accords, pour une autre musique?

 

Pierre Fankhauser note les alternances de nouvelles et de poèmes.

 

Valérie Gilliard a voulu s'essayer à ce genre difficile qu'est la nouvelle: il faut arriver en peu de pages à un texte fini, qui se suffit à lui-même (elle fait le geste d'un arrondi).

 

Pour écrire une nouvelle, il lui est donc nécessaire de raboter et de faire des copeaux. Elle a utilisé les copeaux obtenus pour écrire les textes qui s'intercalent entre chacune.

 

Les nouvelles permettent d'aiguiser l'écriture, qui est, pour elle, une voie pour aller de l'avant, vers les autres. Les autres, qu'elle aime regarder, si bien que son regard sur eux, avec le temps, s'est acéré.

 

En 2018, elle a reçu, pour un autre projet (un gros roman), la Bourse à l'écriture du Canton de Vaud. Ce qui lui a permis, enseignante au Gymnase d'Yverdon, de prendre un congé de quatre mois.

 

Elle s'est rendu compte alors qu'il lui était difficile d'écrire quand elle n'était pas occupée... Elle en parlé avec Antoine Jaccoud, qui a vécu la même expérience et est arrivé à la même conclusion.

 

Valérie Gilliard parle-t-elle de ses livres avec ses élèves? Non, elle ne le souhaite pas. Elle tient à garder de la distance, à séparer les deux personnes en elle que sont l'enseignante et l'auteure.

 

Cela ne signifie pas qu'elle ne parle pas dans ses cours d'auteurs romands contemporains, bien qu'elle soit tenue de faire une large place aux classiques (dont Charles-Ferdinand Ramuz ou Corinna Bille).

 

Une année, elle a participé avec ses élèves au Roman des romands. Cela s'est très bien passé, alors qu'il y avait pourtant une belle pile de livres à lire et que cela pouvait les rebuter.

 

Il y a un point commun entre l'enseignante et l'auteure, c'est quand l'enseignante demande à ses élèves d'écrire, d'être auteurs... Elle remarque en passant que ceux-ci la vitalisent, parce que, années après années, ils ont le même âge...

 

A quoi, pour elle, se résume la vie? lui demande Pierre Fankauser. Elle se résume pour elle, à quelques lignes, au regard de l'espace et du temps, tout en étant un véritable microcosme.

 

Francis Richard

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8 octobre 2019 2 08 /10 /octobre /2019 14:00
Nétonon Noël Ndjékéry, invité de Tulalu!?, au Sidewalk Café, à Lausanne

Hier soir, Tulalu!? recevait Nétonon Noël Ndjékéry au Sidewalk Café, à Lausanne, plus précisément dans la cave voûtée de l'établissement, le Vinyl Club, une volée de marches plus bas que la place du Tunnel.

 

Dans ce lieu propice aux confidences, Pierre Fankhauser a mis sur le gril l'auteur du recueil de nouvelles La Minute mongole (La Cheminante, 2014) et du roman Au petit bonheur la brousse (Hélice Hélas, 2019).

Pierre Fankhauser

Pierre Fankhauser

Nétonon Noël Ndjékéry

Nétonon Noël Ndjékéry

L'animateur de l'association littéraire s'étonne que l'auteur parvienne toujours à ajouter une touche d'humour à ses récits qui sont pourtant souvent d'une grande dureté et pourraient autrement affliger le lecteur complètement.

 

Au Tchad, dont celui-ci est originaire, comme d'ailleurs dans toute l'Afrique subsaharienne, les populations mêlent ainsi leurs rires à leurs pleurs. C'est une manière pour eux de supporter les avanies qui ne les épargnent pas.

 

Les maîtres de la parole de là-bas, auxquels Nétonon Noël Ndjékéry se sait redevable, ponctuent ainsi leurs histoires. Ce qui lui est propre, c'est peut-être la douceur qui ressort de ses écrits comme en contrepoint de leur dureté.

 

La condition humaine ne lui est pas étrangère. Il ne s'agit donc pas pour lui d'accabler le lecteur. Il ne se sent pas investi d'une mission, quelle qu'elle soit; il a juste la prétention de raconter des histoires qui puissent intéresser.

 

Ces histoires, largement imaginées, reposent cependant sur du vécu. Ainsi, au Tchad, où les guerres civiles se succèdent, les rebelles un jour se rallient bien un autre au pouvoir en place, leur ralliement étant grassement monnayé...

 

Les fonctions publiques ne sont pas occupées par des gens compétents mais par des détenteurs de dettes. Un mot est utilisé là-bas pour les qualifier: assimilé. Nombre de personnes sont assimilées: techniciens, militaires, etc.

 

Le personnage principal du roman a été élevé en Suisse. Il a pour références tutélaires Guillaume Tell et la Mère Royaume. Ce n'est que lorsqu'il recherche ses parents disparus, qu'il s'autorise à ne plus suivre leur exemple insigne.

 

Pierre Fankhauser souligne que l'histoire du roman est très structurée, comme peut l'être un thriller. Nétonon Noël Ndjékéry ne fait pourtant pas de plan. Il se raconte l'histoire dans sa tête et c'est ainsi que, peu à peu, elle prend forme.

 

Comme elle est structurée, il est surprenant qu'y apparaisse une désinvolture, ce qui n'est pas recommandé dans les ateliers d'écriture... Certes, mais l'invité n'y a pas appris à écrire et la vie n'est-elle pas parsemée de désinvoltures?

 

Nétonon Noël Ndjékéry a lu les classiques français, mais il s'est aussi nourri des maîtres de la parole africains, de leur langue imagée, qui se retrouve dans sa manière d'écrire. Il n'est pas fortuit que l'amour de la langue sauve son héros...

 

Hier soir, c'est l'amour de la langue de Nétonon Noël Ndjékéry qu'Audrey Cavelius a transmis, avec une émotion visiblement contenue et contagieuse, en lisant des extraits tirés de ses deux livres, extraits qui n'étaient pas tous réjouissants...

 

Les intermèdes musicaux, de Gofefo Konaté, au balafon, et de Sankoum Cissokho, à la kora, ne pouvaient que transmettre d'autres émotions et achever de conquérir un public transporté une soirée durant en Afrique subsaharienne.

 

Francis Richard

Audrey Cavelius

Audrey Cavelius

Gofefo Konaté, au balafon, et Sankoum Cissokho, à la kora

Gofefo Konaté, au balafon, et Sankoum Cissokho, à la kora

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16 juin 2019 7 16 /06 /juin /2019 19:15
Pierre Fankhauser et Mélanie Chappuis

Pierre Fankhauser et Mélanie Chappuis

Hier soir, à la Ferme des Tilleuls, à Renens, l'association littéraire Tulalu!? recevait Mélanie Chappuis. La rencontre, à laquelle l'assistance avait dû se rendre en bravant une tempête lémanique, fort venteuse et pluvieuse, était animée par Pierre Fankhauser.

 

Mélanie Chappuis a écrit dernièrement un roman, La Pythie, et un recueil de nouvelles, Ô vous, soeurs humaines (un roman eût été impossible en raison de ce pluriel) dont le titre est le féminin du livre-testament d'Albert Cohen, l'écrivain qui lui a donné envie d'écrire.

 

En épigraphe de ce recueil, Mélanie Chappuis a mis une citation tirée de Ô vous, frères humains: Je cherche l'amour du prochain, dites, sauriez-vous où est l'amour du prochain? Dans ce livre, Albert Cohen raconte le cadeau qu'il a reçu pour ses dix ans.

 

Cadeau est une façon terriblement ironique de dire les choses. Car, ce jour-là, 16 août 1905, le petit Albert apprend par un camelot (qu'il admire) qu'il est juif, donc qu'il est mauvais comme la gale, qu'il est un salaud, qu'il est une sangsue du monde.

 

Ce jour-là, celui de ses dix ans, il apprend qu'il est criminel d'être né, que son péché est d'être né, que les frères humains, qu'il aime tendrement, tout en jouant à aimer leur prochain, ils continuent à haïr. Depuis ce jour de son enfance, il vit avec sa mort.

 

La citation choisie par Mélanie Chappuis s'adresse en fait aux antisémites, âmes tendres... En conclusion de son livre, Albert Cohen qui aime la France, et les écrivains français qui l'ont nourri, écrit que ne plus haïr importe plus que l'amour du prochain...

 

Aussi, quand Mélanie Chappuis écrit son livre consacré à ses soeurs humaines, n'est-ce pas par amour du prochain qu'elle le fait. En toutes ces femmes dont elle parle, elle a cherché les parts d'humanité et, par honnêteté, ces parts sont aussi bien des qualités que des défauts.

 

Elle avait eu la même démarche quand elle avait, dans le quotidien Le Temps, tenu une chronique hebdomadaire intitulée Dans la tête de... pendant les années 2013 et 2014. Alors elle s'était même mis dans la tête de monstres et trouvé leurs parts d'humanité.

 

Dans sa jeunesse, Mélanie Chappuis, fille de diplomates, a beaucoup voyagé: Brésil, Nigeria, Argentine, New-York etc. Dans ses nouvelles sur ses soeurs humaines, ce sont ces ailleurs qu'elle convoque et qu'elle complète par un travail minutieux de journaliste.

 

C'est justement une part d'elle-même à laquelle elle ne veut pas renoncer. Elle est journaliste dans l'âme. Lorsque ses expériences ne suffisent pas à dresser des portraits aimants, mais sans concession, de ses soeurs humaines, elle enquête et remercie Internet d'exister.

 

Mélanie Chappuis est écrivain, mère, propriétaire d'un chien et... journaliste. Une fois les enfants partis à l'école, elle descend dans son bureau. Si elle n'est pas inspirée, par exemple, elle part se balader en forêt en emportant son téléphone pour prendre des notes.

 

Dans son dernier roman, La Pythie, Mélanie Chappuis parle sans fard, mais sans vulgarité, du plaisir féminin et du sexe. Elle a l'art et la manière d'en parler avec naturel et simplicité, si bien que le lecteur, ou l'auditeur, n'en retient que la beauté bien humaine.

 

Dans ce roman également, elle explore le phénomène de la transe, qu'elle a elle-même expérimenté sans avoir pour autant les visions prémonitoires de son héroïne Adèle. Pour raconter Adèle, elle a entrepris la même démarche qu'elle pour rationaliser ce phénomène.

 

Elle a pris contact avec Corine Sombrun, laquelle, lors d'un reportage en Mongolie, a appris qu'elle était chamane et a publié une étude scientifique sur le chamanisme mongole. Corine Sombrun a démontré récemment que la transe était une capacité de tout cerveau humain...

 

Pour illustrer ses propos, Mélanie Chappuis lit des extraits de ses deux derniers livres, accompagnée au violoncelle par sa cousine Céline Chappuis. La voix de l'invitée, menue comme elle-même, et les notes de l'instrument transmettent une réelle émotion à l'auditoire subjugué...

 

Francis Richard

Céline Chappuis et Mélanie Chappuis

Céline Chappuis et Mélanie Chappuis

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14 mai 2019 2 14 /05 /mai /2019 16:20
Pierre Fankhauser et Jean-Michel Olivier

Pierre Fankhauser et Jean-Michel Olivier

Hier soir Tulalu!? recevait Jean-Michel Olivier, au Bellevaux, à Lausanne.

 

La rencontre animée par Pierre Fankhauser tournait autour de son roman Passion noire, qui, pour mettre tout de suite, l'invité sur le gril, cite d'emblée l'épigraphe du roman:

 

Né mâle et célibataire dès son plus jeune âge...

Possède sa propre machine écrire et sait s'en servir.

William Faulkner

 

Cette citation introduit bien le propos de l'auteur qui, dans Passion noire (la passion de son protagoniste pour la littérature), dresse le portrait d'un écrivain, la machine à écrire étant naguère l'attribut de celui qui écrit.

 

Évidemment, aujourd'hui, cela peut paraître anachronique, à l'époque des smart-phone, des tablettes ou des ordinateurs, où les ratures ont disparu. A succédé à la civilisation de l'écrit celle de l'écran.

 

Simon Malet vit à Pully, ville qui n'a pas été choisie fortuitement par l'auteur puisqu'il s'agit de la ville où a vécu et où est mort Charles-Ferdinand Ramuz, dont le rayonnement est resté longtemps régional.

 

L'écrivain romand (dont le style était controversé par des écrivains français: l'un d'eux disait même qu'il fallait le traduire en français) y possédait en effet une maison, La Muette, et y fut enterré.

 

Dans Incarnata de Jacques Chessex, le personnage principal, Manuel Sorge, un écrivain raté et jaloux, vient, lors de l'enterrement de Ramuz, baver sur la tombe de celui qu'il appelle le saint homme...

 

Jean-Michel Olivier a bien connu Chessex, cet homme-livre et cet homme libre. Il a même plusieurs fois été son ami. Plusieurs fois, parce qu'il était difficile de rester longtemps ami avec L'Ogre.

 

(Pierre Fankhauser remarque que Simon Malet rime avec Jean Calmet, le protagoniste de ce roman célèbre de Chessex)

 

Jean-Michel Olivier parle dans Passion noire de La beauté sur la terre, un livre prémonitoire de Ramuz, où l'héroïne, Juliette, représente à la fois le rejet d'une étrangère et les passions que suscite la beauté.

 

Il n'est pas d'année, quand Jean-Michel Olivier était enseignant, où il ne parlait de ce livre à ses élèves, qui, avec Aline, roman à portée universelle, figure dans le panthéon de ses oeuvres qu'il aime.

 

Comme le héros de Passion noire est écrivain, on pourrait penser que c'est autobiographique. Mais non. Certes il se dédouble d'abord en Simon, mais, celui-ci, peu à peu, acquiert son indépendance.

 

Avant d'écrire ce roman, il en a imaginé le début et la fin, qui est surprenante: il s'est donc surtout efforcé de rendre plausible le passage de l'un à l'autre, tout en le nourrissant de souvenirs mêlés à des fictions.

 

Comment écrit-il? Il écrit d'abord silencieusement, puis il lit à haute voix pour éprouver la musicalité de son texte. C'est flaubertien, comme sa volonté de combattre les idées reçues en faisant un peu de provocation...

 

Avant d'être écrivain, il a d'abord voulu être footballeur - il porte d'ailleurs ce soir les couleurs de son club -, puis a été musicien, a écrit des chansons et même enregistré un disque, aujourd'hui oublié: heureusement, dit-il.

 

Quand il a reçu le Prix Interallié pour l'Amour nègre. Il a, bien sûr, était heureux parce qu'il savait que la durée de son livre serait d'au moins un an, un an et demi, mais il savait qu'un prix peut tuer ou faire perdre la tête.

 

Jacques Chessex en fait la douloureuse expérience. Après avoir reçu le Prix Goncourt, il a une longue traversée du désert qui ne s'achève qu'avec la parution du Vampire de Ropraz et d'Un Juif pour l'exemple.

 

Aujourd'hui la durée de vie d'un livre est très courte et il y a de moins en moins de compte-rendus de livres: La censure est le silence critique. L'écrivain, depuis les années 1980, avec Apostrophes de Bernard Pivot, fait partie du spectacle...

 

Avant on ne connaissait les écrivains que par leurs photos. Maintenant il y a des images, éphémères. L'écrivain, qui a obtenu un prix est invité sur les plateaux de télévision du monde entier et... il n'a plus le temps d'écrire.

 

Sur les plateaux, il est invité avec des gens qui ne le connaissent pas et qu'il ne connaît pas, et, même parfois, avec des gens qui savent à peine écrire et lire, a fortiori des auteurs romands, cela dit sans méchanceté...

 

D'être empêché d'écrire est l'un des thèmes d'ailleurs de Passion noire. Simon Mallet l'est par sa mère, Mégère, par sa chatte Pénélope, par les femmes que sa notoriété fait tourner autour de lui ou qui lui écrivent.

 

(le lecteur en quête de récits croustillants n'en trouvera pas dans Passion noire: le désir y est plus important que l'acte...)

 

La littérature est une affaire de femmes. Le monde des livres est un monde de femmes: hôtesses d'accueil des salons, journalistes, éditrices, lectrices. Ce qui n'est pas pour déplaire à Jean-Michel Olivier.

 

Mais cela déplaît à Simon Malet, qui en est agacé, surtout quand elles lui écrivent. Là, l'invité s'est inspiré des Jeunes filles de Montherlant. Dans ses relations épistolaires avec elles Malet a quelque chose de Costals...

 

Comme pour en administrer la preuve, Anne-Frédérique Rochat et Jean-Michel Olivier lisent ensemble des extraits de la correspondance entre la mystique Marie-Ange Lacroix, domiciliée à Publier (sic) et Simon Malet.

 

Francis Richard

Anne-Frédérique Rochat et Jean-Michel Olivier

Anne-Frédérique Rochat et Jean-Michel Olivier

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7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 21:15
Sabiha Berisha Makolli et Shemsi Makolli

Sabiha Berisha Makolli et Shemsi Makolli

Hier, la rencontre organisée à La Datcha par Tulalu!? avec Shemsi Makolli s'inscrivait dans le Printemps de la Poésie.

 

Dans son introduction, Miguel Moura, fondateur de l'association littéraire, souligne la richesse du mélange des cultures.

 

Shemsi Makolli, d'origine albanaise, se prête alors à un échange avec Sima Dakkus Rassoul, membre du comité, d'origine afghane.

Miguel Moura

Miguel Moura

Cet échange consiste à demander au poète ce que lui inspire un mot choisi par l'animatrice.

 

Après quoi, Shemsi Makolli fait une lecture d'un poème en français, tandis que Sabiha Berisha Makolli le lit en albanais, en arrière-fond sonore.

 

(ses poèmes en albanais ne sont pas une traduction de ses poèmes en français; ils sont une création parallèle, parce qu'il est impossible de traduire des poèmes...)

 

Les poèmes qu'il lit sont tirés de son recueil L'anatomie du rêve paru à l'automne 2017.

Sima Dakkus Rassoul, Shemsi Makolli et Sabiha Berisha Makolli

Sima Dakkus Rassoul, Shemsi Makolli et Sabiha Berisha Makolli

Voyage: ce n'est pas seulement un déplacement d'un point à un autre, mais l'occasion de rencontres qui ne sont pas dues au hasard. Ou alors il fait bien les choses...

 

Dans la forêt de mes pensées

Je rassemble mes os exténués

Pour un nouveau voyage

Mais cette fois je repartirai sans mon ombre

Sinon c'est elle

Qui partira sans moi

 

(quand Shemsi Makolli a quitté Pristina pour se rendre à Zurich il y a quelque trente ans, il était prêt à tout perdre, sauf ses cahiers de poésie, son bien le plus précieux)

 

Poésie: ce n'est pas un genre littéraire mystérieux réservé à une élite, mais un moyen de communiquer avec les autres grâce à l'harmonie et la musicalité des mots, un genre destiné au fond aux enfants honnêtes.

 

Tu t'arrêtes tu cherches

Tu voudrais découvrir

D'où tu viens où tu vas

Sans t'émerveiller ni te désespérer

Car c'est ainsi que tu seras poète

Et mon poète

 

Réalité: elle n'est parfois pas supportable, alors il faut s'efforcer de la changer pour qu'elle le devienne.

 

Tout ce que je peux partager avec vous

C'est une bouchée de pain

Que je laisse au coin de ma table

Pour l'enfant affamé

 

Rêve: personne n'est jamais capable d'expliquer un rêve, mais il est nécessaire pour vivre.

 

Toi qui m'est venu comme une brise

Comme une mélodie dans mon sommeil

Je te connaissais depuis des siècles

Sans savoir où te trouver

Ailleurs que dans mes rêves

 

Amour: c'est ce qu'il y a de plus important dans la vie; la haine conduit à l'autodestruction.

 

(le poète préfère dire enamourer plutôt que tomber amoureux...).

 

La mélodie de notre amour

Que cette terre la nourrisse

La renouvelle et l'apprenne par coeur

La rende légère et fluide

Tel le sang dans nos veines

Quand nous demeurons face à face sans parler.

 

Une des personnes de l'auditoire demande si Sabiha Berisha Makolli veut bien lire un poème en albanais. Elle lit Voyage dans cette langue musicale qui viendrait de l'étrusque. Et sa voix mélodieuse lui donne la profondeur d'un chant antique intemporel...

 

A l'automne prochain, paraîtra un nouveau recueil, intitulé L'élégie d'automne. On se réjouit de le lire après avoir entendu un poème, lu par le poète, qui en est extrait...

 

Francis Richard

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5 mars 2019 2 05 /03 /mars /2019 23:55
Thomas Flahaut et Pierre Fankhauser

Thomas Flahaut et Pierre Fankhauser

Hier soir Tulalu!? recevait Thomas Flahaut, au Bellevaux, à Lausanne. Le jeune écrivain, 27 ans, était mis sur le gril par Pierre Fankhauser au sujet de son premier roman, Ostwald.

Miguel Moura

Miguel Moura

Dans sa mise en bouche, Miguel Moura a souligné que d'être issu d'un milieu ouvrier n'a pas empêché Thomas Flahaut de s'intéresser à l'art.

 

Après avoir étudié le théâtre à Strasbourg, Thomas Flahaut a suivi le cursus de l'Institut littéraire de Suisse, à Bienne, cette pépinière de jeunes écrivains.

Thomas Flahaut

Thomas Flahaut

Thomas Flahaut ne cache donc pas ses origines ouvrières. Il sait très bien que les classes sociales existent et qu'il appartient par la naissance à celle des ouvriers, qui doivent se soumettre et n'en sortent pas indemnes.

 

Il ne peut que voir la différence, au même âge, entre son grand-père et son éditeur, Olivier Cohen. Le premier est bousillé physiquement, le second paraît en pleine forme, dans sa chemise Lacoste.

 

(Thomas Flahaut a voulu être édité à L'Olivier, et pas ailleurs, parce qu'il voulait que son livre côtoie dans le catalogue de la maison, La Route, le livre mythique de Cormac McCarthy...)

 

Bien des commentateurs d'Ostwald ont mis l'accent sur l'accident nucléaire de la centrale de Fessenheim qui se produit au début du récit. Mais le mythe nucléaire n'est pas celui qui tient le plus à coeur de l'auteur.

 

Ce mythe est certes vendeur et parle à l'imaginaire, avec des mots comme Hiroshima, Tchernobyl ou, plus récemment, Fukushima. Mais il est d'autres mythes dont l'auteur s'est nourri pour écrire ce roman.

 

Le mythe biblique est présent avec l'Apocalypse, le livre. Pierre Fankauser relève que les noms du trio de personnages, Marie, Félix et Noël, ne peuvent leur avoir été donnés fortuitement.

 

Thomas Flahaut ne pense pas que son roman soit un roman de science-fiction. Pour lui il serait plutôt un roman social, où l'atmosphère lourde qui y règne est l'expression de son angoisse personnelle.

 

L'événement déclencheur de l'histoire est la fermeture d'une usine où travaillent les parents du narrateur et qui sonne comme un avertissement au lecteur parce qu'il est placé dans le prologue.

 

Thomas Flahaut donne raison à Fredric Jameson: Il est plus facile d'imaginer la fin du monde que celle du capitalisme. (Cité par Jean-Claude Michéa, dans Notre ennemi, le capital)

Antoine Flahaut

Antoine Flahaut

Après la fermeture d'Alstom, la cellule familiale explose. L'accident nucléaire n'est donc que l'ultime apocalypse de l'histoire, c'est-à-dire, étymologiquement, son ultime dévoilement.

 

Parce que Thomas Flahaut voit de la noirceur tout autour de lui, il a besoin de plonger dans ses propres profondeurs. Il aimerait bien pourtant écrire une jolie histoire d'amour, bien mièvre, comme il sait qu'il peut l'être...

 

Ce roman à l'eau de rose ne verra pas le jour tant que des usines fermeront, tant que des hommes et des femmes seront jetés à la rue et devront encore suivre une formation, comme ses parents, à 55 ans...

 

Comme tout être humain, Thomas Flahaut est pétri de contradictions. Pour avoir travaillé en usine, notamment chez Sonceboz, il se demande si ce ne serait pas un bien que les usines ferment...

 

Est-ce parce que son livre l'alourdit qu'il a voulu l'alléger? Toujours est-il qu'il l'a d'abord écrit au passé composé puis l'a réécrit au présent. Le texte s'est ainsi allégé de quelque 20'000 caractères...

 

Il a également omis tous les panneaux de signalisation tels que les tirets annonçant les prises de parole de ses personnages. Ce qui donne un souffle à son texte et incite le lecteur à en avoir à son tour...

 

Ce souffle il l'incarne quand il lit lui-même son texte accompagné à la guitare électrique par son frère Antoine. Ils se livrent les deux à une véritable performance, toute chargée de sens et pas seulement du mythe ouvrier...

 

Quand Thomas Flahaut a écrit un texte, il éprouve la nécessité de le lire à voix haute pour en tester les sonorités, la fluidité. Quand il le lit en public, il ne s'interdit pas de le modifier et d'improviser. Son texte est une matière vivante...

 

Francis Richard

Antoine et Thomas Flahaut

Antoine et Thomas Flahaut

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5 février 2019 2 05 /02 /février /2019 23:15
Sabine Dormond et Pierre Fankhauser

Sabine Dormond et Pierre Fankhauser

Hier soir Tulalu!? recevait Sabine Dormond, au Bellevaux, à Lausanne. La Présidente de l'Association vaudoise des écrivains était soumise à la question par Pierre Fankhauser au sujet de ses deux derniers livres Ma place dans le circuit (2018) et Les parricides (2017). Pierre ne fut pas trop piquant...

Miguel Moura

Miguel Moura

Dans sa désormais rituelle mise en bouche, Miguel Moura souligne que l'invitée commet surtout des textes courts et percutants. En l'occurrence il s'agit de parler ce soir avec elle d'un recueil de nouvelles et d'un micro-roman.

Sabine Dormond et Pierre Fankhauser

Sabine Dormond et Pierre Fankhauser

La nouvelle est son genre de prédilection (n'est-ce pas dans son ADN?). Elle part d'une idée, qui peut être une phrase ou une émission qu'elle a vue à la télévision. Et cette idée, elle a hâte de la développer avant qu'elle ne lui échappe.

 

Une fois qu'elle se met écrire, une phrase pousse l'autre. Combien de pages va-t-elle écrire? Elle n'en sait rien a priori, mais ce qui lui importe, c'est d'aller au bout de son idée et de ne pas laisser d'autres idées interférer avec elle.

 

Elle donne la parole indifféremment à un narrateur ou à une narratrice. Elle n'a pas de difficulté à se mettre dans la peau d'un homme ou d'une femme. Et ses hommes ne sont pas nécessairement durs, ni ses femmes douces...

 

En fait elle a une grande empathie pour ses semblables. Sans doute est-ce parce qu'elle a la fibre sociale (son père était socialiste et des réunions du parti se déroulaient à la maison): elle traite surtout de sujets sociétaux.

 

Pour elle, la liberté et l'engagement vont de pair. En effet la liberté, c'est de pouvoir choisir. Or il ne s'agit pas pour elle de choisir de ne rien faire, mais, au contraire, de faire quelque chose, c'est-à-dire de s'engager.

 

Il y a plusieurs façons de s'engager. C'est cependant dans l'écriture qu'elle a trouvé sa voie, l'écriture qui, depuis toute petite, est son moyen d'expression. Elle peut en tout cas, grâce à elle, exprimer son impuissance devant l'injustice.

 

Elle est parfois surprise que l'écriture l'ait menée aussi loin dans la satire. Elle croit être caricaturale alors que la fiction qu'elle a imaginée se révèle en-deça de la réalité. Et sa façon de la dire est toujours assortie d'humour...

 

Naguère les chutes de ses nouvelles étaient plutôt du genre brutal. Elles le sont certes moins aujourd'hui, mais elles font bien une fin à ses histoires brèves, qui ne supposent donc pas de suites.

 

Quand elle écrit, elle tient compte des remarques que lui fait son entourage, celles notamment de sa soeur Hélène ou de son ami Olivier, ou d'autres lecteurs et lectrices.

 

Elle trouve toutes remarques pertinentes. Elles lui permettent de ne pas avoir à mettre son texte de côté pour le reprendre après l'avoir laissé un temps en quelque sorte reposer.

 

En quête donc d'observations, elle remanie son texte et l'améliore si elles sont suffisamment précises. Malheureusement tous les éditeurs ne font pas ce travail avec leurs auteurs et elle le déplore.

Muriel Jeker, Olivier Chapuis et Sabine Dormond

Muriel Jeker, Olivier Chapuis et Sabine Dormond

Sabine Dormond et Olivier Chapuis

Sabine Dormond et Olivier Chapuis

Muriel Jeker

Muriel Jeker

Les rencontres de Tulalu!? laissent une large place aux lectures et à la musique. Hier soir l'assistance aura bénéficié des deux modes d'hommage aux textes de l'auteure.

 

Les lectures ont été faites à trois et à deux voix, la musique à une voix et à plusieurs instruments, parfois très techniques, ce qui ne nuisait pas pour autant à leurs réelles qualités artistiques.

 

Pour l'occasion, Muriel Jeker a composé des chansons en lien avec les textes des deux livres dont il a été question, qui plus est en français, pour changer de l'anglais qui est sa langue d'artiste.

 

Aussi était-ce une belle soirée de promotion de la littérature romande, qui tient tant à coeur à Sabine Dormond et dont elle est actrice à plus d'un titre: auteure elle-même ou présidente de l'Association vaudoise des écrivains.

 

Cette soirée était aussi une reconnaissance de la part d'une association littéraire, Tulalu!?, dont c'est également le but, dont elle avait fait le rêve d'être un jour l'invitée, sans que jamais il ne se réalise...

 

Cette soirée était enfin une histoire courte, trop courte, avec une chute, puisqu'il aura suffi de tirer sur le ruban de cette idée de rencontre pour qu'elle devienne un beau jour réalité et se termine en applaudissements...

 

Francis Richard

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13 novembre 2018 2 13 /11 /novembre /2018 23:55
Pascal Rebetez et Pierre Fankhauser

Pascal Rebetez et Pierre Fankhauser

Hier soir Tulalu!? recevait Pascal Rebetez, au Bellevaux, à Lausanne. L'ancien journaliste de Radio Fréquence Jura puis de RTS était mis par Pierre Fankhauser sur la sellette, en l'occurrence un tabouret haut sur pieds, pour répondre de la commission d'un livre intitulé Poids lourd.

Miguel Moura

Miguel Moura

Le fondateur de l'association littéraire, Miguel Moura, fait, comme c'est devenu un rite, en guise de mise en bouche, une présentation toute en finesse de l'invité, tandis qu'un diaporama défile derrière lui:

- un mur sur lequel sont gravés des mots

- des barbus de la Gruyère

- le père de l'invité

- François d'Assise parlant aux oiseaux

- le "Che" cigare au bec

 

Ces photos symbolisent des moments de la vie de Pascal Rebetez, dont certains ont la vie dure et d'autres pas...

 

Ces photos-clés représentent peut-être des mots-clés, qui feront apparition au cours de la rencontre:

- écriture

- bonne vie

- dissidences

- bon type

- révolte

 

A propos de mots, Pascal Rebetez, journaliste et éditeur, doute de la légitimité de pouvoir se dire lui-même écrivain, d'autant plus qu'il s'édite lui-même...

Pascal Rebetez et Pierre Fankhauser

Pascal Rebetez et Pierre Fankhauser

Poids lourd est un récit autobiographique. Il correspond à un moment révélateur de la vie de Pascal Rebetez: il est devenu un poids lourd... physiquement, proche des cent kilos. Il s'en rend compte alors qu'il se rend en Australie voir son frère qui est pâtissier là-bas.

 

Pourtant personne ne lui a jamais reproché sa bedaine, même pas la gent féminine. De lui-même donc, incidemment, il prend conscience qu'il est en train de ressembler à ses deux grands-pères, qui l'un comme l'autre étaient des gros pères.

 

Il est temps pour lui de faire des efforts pour réduire son poids, et par conséquent son volume, ou vice-versa. Et les premiers efforts qu'il fait, bien que coûteux à l'entendre, ou plutôt à le lire, semblent dérisoires en considération de l'objectif à atteindre.

 

Aujourd'hui, il ne sait pas combien exactement il pèse, parce que ce n'est pas un obsédé du pèse-personne. Il sait seulement - ce n'est pas difficile à constater - qu'il est moins enveloppé qu'auparavant.

 

On dit que l'occasion fait le larron. C'est bien le cas avec ce livre. En Australie, il parcourt de longues distances en voiture, seul. Alors, pour s'occuper, il écrit. D'une curieuse manière.

 

En effet, en y réfléchissant bien, il passe souvent, dans ce livre, du coq à l'âne. Il faut cependant réfléchir pour s'en rendre vraiment compte, parce qu'il le fait avec une grande fluidité, mine de rien.

 

Pascal Rebetez aime faire des liens, un mot en amenant un autre, si bien que le point d'arrivée peut se trouver, sans que le lecteur s'en aperçoive en cours de lecture, fort éloigné du point de départ.

 

Pascal Rebetez pense que cette tournure d'esprit lui vient de son métier de journaliste qui impose de faire des enchaînements, de faire des liens, en quelque sorte.

 

Ce qui a frappé l'animateur de Tulalu!?, en lisant le dernier opus de Pascal Rebetez, c'est sa désinvolture: ce poids lourd tend naturellement vers la légèreté. Sans doute est-ce pourquoi il a de la peine à se considérer comme un écrivain.

 

Il faut dire qu'il est non seulement désinvolte mais ironique. S'il n'épargne pas certains, il ne s'épargne pas non plus et se met dans le même sac qu'eux. En fait il aime gratter le globe, pour reprendre l'expression d'un vigneron de sa connaissance.

 

Bon, c'est vrai, il a maintenant dix-sept livres à son compteur, en tous genres. Mais il ne les a jamais commis avec la prétention de faire une oeuvre. Il ne s'est pas dit: d'abord le Goncourt, puis le Nobel. S'il est parfois narcissique, c'est quand il met sa casquette d'éditeur...

 

Dans ce métier (il a fondé en 1997 les éditions d'autre part), il a pu récemment être flatté dans son ego. Il a en effet publié Schumacher de Romain Buffat, qui a obtenu le Prix littéraire chênois 2018. Or ce roman a bien failli être publié par un autre éditeur, parisien de surcroît, qui s'est finalement dédit...

 

Pascal Rebetez aime écrire, c'est tout. Depuis longtemps. En écrivant, il s'allège, en quelque sorte. Il ne se donne pas de l'importance. La célébrité ne l'intéresse pas, même si, quand il était journaliste de télévision, on le reconnaissait parfois dans la rue...

 

Peut-être qu'il aime le liant, parce que c'est le signe qu'il ne vieillit pas: c'est aux jointures que le vieillissement se manifeste. En tout cas il jouit d'une bonne santé puisque son embonpoint passé ne l'a pas du tout affectée...

 

Pascal Rebetez a beaucoup voyagé à travers le monde. Mais l'envie lui est passée. Il trouve que tous les endroits se ressemblent aujourd'hui et sont à portée d'avion. A 19 ans, il a pris l'avion pour la première fois quand il a dû être rapatrié d'Afrique... Il n'ira donc plus en Patagonie...

Jean-Luc Farquet

Jean-Luc Farquet

Jean-Luc Farquet lit des extraits de Poids lourd, qui illustrent parfaitement ce qui est dit de son auteur: plein de vie, ironique, sautant allègrement du coq à l'âne, avec désinvolture. Sa voix en lisant est sur la même longueur d'onde que l'auteur et en transmet les émotions qui l'ont parcouru en écrivant.

 

La dernière lecture est tirée d'un livre précédent, Les prochains, paru en 2012 et composé de vingt-cinq portraits. Le portrait en question est celui de Camille, un personnage attachant qui a élu domicile dans le parking des Grottes, à Genève. Il nettoie les saletés des autres. C'est un franciscain qui s'adresse à ses frères détritus et à ses soeurs poubelles...

 

Francis Richard

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9 octobre 2018 2 09 /10 /octobre /2018 22:55
Marina Skalova et Pierre Fankhauser

Marina Skalova et Pierre Fankhauser

Hier soir Tulalu!? recevait Marina Skalova, au Bellevaux, à Lausanne, où cette association littéraire a migré il y a quelque temps déjà, abandonnant le Lausanne-Moudon à son triste sire...

 

Tulalu!? n'a pas perdu au change. Car l'hôte des lieux de Bellevaux, Gwenaël Grosfeld, cet homme-orchestre, est à ses petits soins: il tient le bar, il règle le son et les lumières, il prépare de l'eau pour les intervenants etc.

 

Gwenaël est également prévenant à l'égard des spectateurs. Pour que leurs oreilles apprécient pleinement paroles et musiques, il leur conseille de ne pas occuper les deux premiers rangs... Ce qui ne gâte rien, il a beaucoup d'humour, pince-sans rire.

Miguel Moura

Miguel Moura

Miguel Moura, fondateur de l'association, après avoir réalisé une vidéo apéritive sur l'invitée, diffusée sur Facebook, parle d'elle à la troisième personne, avec beaucoup de finesse, comme à l'accoutumée. L'intéressée en est surprise, même si Miguel a juste remplacé ses je par des elle.

 

Défilent derrière lui des photos qu'elle a choisies et qu'elle aime, telle cette reproduction du portrait de Marzella d'Ernst Ludwig Kirchner (1909), qui apparaît en arrière-plan sur la photo ci-dessus et qui, dit Miguel, est le logo de son ordinateur...

 

Parmi ces photos, elle aime celle d'un jeune homme enjambant le Mur, à Berlin, prise par Raymond Depardon, le 11 novembre 1989, celle d'une femme vue de dos, séparé en deux par une longue cicatrice, une longue couture. L'une est frontière franchie, l'autre semble infranchissable.

Pierre Fankhauser commence par lire un extrait d'Exploration du flux.

 

L'auditeur est tout de suite dans le sujet: un flux de mots s'empare de lui et lui parle de flux qui parcourent le corps humain, de flux humains qui parcourent terres et mers. L'auteure s'est toujours intéressée aux liens qui existent entre l'intérieur du corps et l'extérieur du monde.

 

Dans ce livre poétique, qui porte bien son titre, Marina Skalova explore le flux, sous toutes ses formes, parce qu'elle aime la vie et que la vie est mouvement, flux. Quand le flux s'arrête, la mort est là, celle du corps ou du monde.

 

Marina Skalova prend des notes à la main, écrit ses textes à la main, avant d'en éprouver la sonorité à l'oral, avant de transcrire le résultat obtenu sur son ordinateur par l'intermédiaire du clavier qui se substitue au stylo.

 

Marina Skalova, d'origine russe, peut écrire aussi bien en allemand qu'en français. Son premier livre, Atemnot (Souffle court), d'ailleurs, est bilingue, mais les deux suivants sont écrits en français, peut-être parce que finalement elle s'y sent plus à l'aise.

 

Elle a pris de la distance avec les réseaux sociaux, qui prennent du temps. Or elle en a besoin, pour écrire. A côté de la création littéraire, elle fait des traductions. Ces deux activités sont au fond complémentaires: l'une est égotique, l'autre ouverture sur les autres. Et puis, quand elle n'arrive plus à écrire, elle peut toujours traduire, ce qui est une façon d'écrire autrement.

 

Ses thèmes, récurrents, sont justement l'altérité et l'exil. Il n'est donc pas étonnant qu'elle se soit intéressée aux flux. D'autant qu'une expérience personnelle (quand il s'est agi pour elle de renouveler son permis de séjour), même si elle s'est bien terminée pour elle, l'a incitée à réagir. Il lui fallait dire sa colère. Elle ne pouvait pas se taire.

Dans Exploration du flux, elle emploie le mot de forteresse. Ce mot est ambivalent et significatif de la contradiction humaine. Sous sa plume, elle parle en effet de la forteresse du corps, de la forteresse tout court qui pourrait bien être l'Europe, de la forteresse dans la forteresse qui pourrait bien être la Suisse.

 

Dans ce texte parodique, qui ne se veut pas argumentatif, mais invite à la réflexion, ce mot de forteresse signifie aussi bien refuge, protection, que territoire interdit: tout dépend si on se trouve à l'intérieur ou à l'extérieur (naguère des pays empêchaient leurs ressortissants de sortir, aujourd'hui d'autres empêchent des étrangers d'entrer).

 

Une forteresse abrite des principes, mais ceux-ci prennent froid facilement ou, tout simplement, ne sont plus dedans... Il n'est pas étonnant que Marina Skalova, dans ces conditions, ne se sente pas enfermée dans une seule patrie et que ce concept de patrie soit pour elle pluriel, c'est-à-dire source de richesses, mouvant, c'est-à-dire flux.

Simone Aubert

Simone Aubert

Marina Skalova

Marina Skalova

Marina Skalova lit, Simone Aubert chante et joue de la musique. Alternativement, ou de concert... Si bien que leur duo ressemble à une performance et est performance, si bien que l'auditoire est suspendu aux mots et aux notes, si bien qu'en lui se grave des passages comme celui-là (où la contradiction humaine éclate crûment aux yeux), tiré d'Exploration du flux, publié dans la mythique collection Fiction & Cie du Seuil, (ce qui n'est pas une assurance sociale pour la suite):

 

Une frontière, c'est ce qui permet de séparer une chose d'une autre chose, il faut séparer pour faire une différence, pour pouvoir dire que l'un est l'un et que l'autre est l'autre, et que même si on peut bien s'aimer l'un l'autre, l'autre ne peut pas rester auprès de l'un tout le temps, l'un ne peut pas garder l'autre indéfiniment, dans les mathématiques, on dit bien un plus un, et pas un plus autre, parce que malgré tout, même si on peut franchir des frontières pour se rencontrer, l'un reste l'un et l'autre reste l'autre. On ne mélange pas les serviettes et les torchons, les moutons restent des moutons, les cochons restent des cochons.

 

Francis Richard

Marina Skalova, invitée de Tulalu!?, au cinéma Bellevaux, à Lausanne
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8 mai 2018 2 08 /05 /mai /2018 21:00
Marc Agron et Pierre Fankhauser

Marc Agron et Pierre Fankhauser

Hier soir, l'association littéraire Tulalu!? recevait Marc Agron, au Bellevaux, à Lausanne. C'était en quelque sorte une rencontre au sommet de polymathes.

 

L'hôte des lieux, Gwenaël Grosfeld, dirige le Bellevaux, y tient le bar, y règle le son et les lumières, y prépare de l'eau pour les intervenants, y prend les photos, que sais-je encore.

 

Marc Agron est libraire et galeriste à Lausanne, à l'enseigne de l'Univers, il est écrivain depuis un bon moment, mais il vient seulement l'an passé d'être publié.

 

Quant à l'animateur des rencontres de Tulalu!?, il anime aussi des ateliers d'écriture et il écrit, bien sûr.

 

Miguel Moura a fondé Tulalu!?, dont il a animé jadis les rencontres, mais il est aussi vidéaste et sait présenter les invités avec finesse et sensibilité, en guise d'amuse-bouche aux rencontres.

Miguel Moura

Miguel Moura

Hier soir, en présentant Marc Agron (prononcez Agrone), il a précisé qu'il travaille avec sa femme Michelle, et il a dit combien deux activités humaines sont indispensables aux hommes, en créant du lien social entre eux, sans avoir pour but d'être rentables: la culture et le sport...

 

Marc Agron, en tant que libraire et galeriste, est un de ces acteurs de la culture qui crée des liens, mais il l'est désormais aussi en tant qu'écrivain: la première édition de son roman, Mémoire des cellules, est épuisée et une deuxième a déjà paru.

 

Il avait fait une blague dans la première édition. Elle était du même niveau que lorsque, parlant des quatre évangélistes, on cite rapidement, sans y toucher, Mathieu, Marc, Luc et... Bernard. En l'occurrence il ne fallait pas confondre La Belle au Bois dormant et Blanche Neige...

 

Marc Agron aime donc l'humour et s'amuse intérieurement quand l'un de ses traits n'est pas relevé. Il aime particulièrement l'humour d'Albert Cossery, et recommande, conseil avisé de libraire, à ceux qui ne l'auraient pas encore lu, son roman intitulé Les Fainéants dans la vallée fertile...

Jean-Luc Borgeat

Jean-Luc Borgeat

Marc Agron, de par son métier, lit beaucoup et rédige des notes techniques sur les livres qu'il vend, des notes qui peuvent comporter de dix lignes à plusieurs pages, des notes de bibliophile éclairé... Il a ainsi remarqué combien le Zadig de Voltaire avait emprunté au Gil Blas de Lesage...

 

Pierre Fankhauser remarque que Maximilien, le héros de Mémoire des cellules, est érudit et qu'il a toujours une référence à placer. L'auteur ne pense pas qu'il s'agisse pour lui de faire étalage d'érudition: il vit en dehors du monde et ses références sont seulement pour lui une manière d'être.

 

Pierre Fankhauser souligne que ce roman a été considéré comme une charge contre l'art contemporain. Mais Marc Agron ne le pense pas. Son livre est plutôt une suite d'étonnements devant le spectacle que donnent ceux qui en sont les organisateurs en feignant d'en être les créateurs...

 

Il faut dire que l'art contemporain rapporte à un tas de gens. N'est-ce pas lors d'une vente consacrée à l'art contemporain, qu'une peinture sur bois de Léonard de Vinci, Salvator Mundi, glissée parmi d'autres oeuvres, a atteint récemment le record mondial de ventes aux enchères?

 

Dans son livre, Marc Agron fait donc preuve d'un humour décapant au détriment de ce petit monde qui gravite autour de l'art contemporain et les extraits que lit le comédien Jean-Luc Borgeat, qui sait si bien passer d'un personnage l'autre, font inévitablement mouche dans l'assistance...

Marc Agron et Pierre Fankhauser

Marc Agron et Pierre Fankhauser

Les participants à la rencontre en sont tout réjouis. Par exemple, quand Marc Agron raconte des histoires sur des catholiques que seul un catholique peut se permettre de raconter, comme les histoires juives les plus cruelles ne sont supportables que dites par un juif.

 

Son premier roman publié n'est cependant pas uniquement un livre sur l'art contemporain. Il lui fallait un terrain et c'est ce terrain connu de lui qui sert d'écrin à son intrigue. Qui n'est rien d'autre qu'une histoire d'amour - y en a-t-il d'autres? - dont le protagoniste est incapable de saisir les occasions, par timidité, et par lenteur à la détente.

 

Pour Marc Agron, comme un corps humain a plusieurs fonctions, un livre peut en avoir également: il peut être tout à la fois essai, peinture de moeurs, relation amoureuse etc. Il peut être drôle un instant, et, l'instant d'après, mélancolique, comme lui peut l'être: il ne s'en cache pas.

 

S'il fallait qu'il dise quelles sont les influences littéraires qui l'ont façonné, il dirait qu'elles sont slaves ou d'Europe centrale; il citerait Dostoïevski, Kundera ou Cioran, mais il ne cherche pas à écrire comme eux, il s'efforce d'être lui-même, c'est-à-dire singulier: quelqu'un qui pense dans plusieurs langues et n'écrit que dans une seule, le français.

 

Francis Richard 

Jean-Luc Borgeat, Gwenaël Grosfeld, Marc Agron et Pierre Fankhauser

Jean-Luc Borgeat, Gwenaël Grosfeld, Marc Agron et Pierre Fankhauser

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17 avril 2018 2 17 /04 /avril /2018 21:15
David Bosc et Pierre Fankhauser

David Bosc et Pierre Fankhauser

Hier soir, l'association littéraire Tulalu!? recevait David Bosc, au Bellevaux, à Lausanne. Il était mis sur le gril indolore de Pierre Fankhauser, son animateur charismatique.

 

L'invité d'hier soir est un invité qui cumule, puisqu'il est à la fois écrivain et éditeur: depuis quinze vingt ans, il travaille aux éditions Noir sur Blanc qui publient beaucoup de traductions de livres de l'Europe de l'Est.

 

Il passe donc toute la journée avec la phrase, devant un écran et un clavier, et, le soir, il retrouve la phrase quand il écrit à son tour, à petites doses, des paragraphes de six à quinze lignes, qu'il mûrit, se fiant à son oreille pour les parfaire.

 

Dans la journée, il corrige des textes, à la recherche du mot juste, et ses outils sont des dictionnaires. Mais il n'a pas de contact avec les choses, avec le faire. Or ce qui l'intéresse ce sont les petites choses et les faire, auxquels il veut donner de l'importance et qu'il ne se lasse pas de voir...

 

Il n'est pas surprenant dans ces conditions qu'il s'intéresse aux artistes qui sont en rupture avec ce que leurs prédécesseurs ont fait pendant des siècles, et qui magnifient les êtres et les choses les plus simples, que les hommes peuvent côtoyer tous les jours.

Miguel Moura

Miguel Moura

Dans sa présentation introductive, Miguel Moura rappelle ces grands traits de l'auteur, avec beaucoup de sensibilité, tandis que défilent derrière lui des photos de l'invité, de montagnes enneigées, d'un jury qui lui a décerné un prix, d'un tableau de Gustave Courbet pour lequel il éprouve une grande dilection.

 

Dans la façon de parler de David Bosc, l'auditeur retrouve l'emploi qu'il fait du mot juste à l'écrit. Il n'est pas étonnant qu'en littérature, il préfère aux livres dont les intrigues sont bien ficelées ceux qui le comblent d'images, de langages, de mouvements de l'âme. Des livres, en quelque sorte, semblables aux siens.

 

Dans ses écrits, plus particulièrement dans son dernier livre de nouvelles, Relever les déluges, il sait très bien faire parler les gens avec les mots de leur époque, désignant des choses aujourd'hui disparues, mais, dans le même temps, il les fait voir au lecteur avec les yeux d'aujourd'hui.

 

Si David Bosc aime l'alexandrin et son rythme, il le traque et l'empêche de surgir sous sa plume, si bien que le mot de rupture correspond à ce que l'auditeur comprend de son art d'écrire, guidé en cela par ses réflexions sur le langage, bien sûr, mais aussi par le ton qui est le sien.

Daniel Perrin et Franck Semelet

Daniel Perrin et Franck Semelet

Un autre mot apparaît très naturellement dans ce qu'il écrit et dans ce qu'il dit: le mot de liberté. Il l'associe aussi bien au mot de solitude qu'à celui de communauté et si, pour lui, l'une comme l'autre peuvent être atroces à vivre, il aime le va-et-vient de l'une à l'autre et inversement.

 

Il cite Gilles Deleuze pour qui aimer quelqu'un c'est l'arracher à une communauté. N'est-ce pas en quelque sorte trahir celle-ci? Mais le traître n'est-il pas le héros comme le dit le philosophe? David Bosc pourrait faire sien le développement qu'il en fait: Traître au monde des significations dominantes et de l'ordre établi...

 

David Bosc cite aussi l'adage italien: traduttore, traditore, traducteur, traître. Il est justement traducteur, de deux livres de Jonathan Swift, un que ce dernier aurait aimé publier de son vivant - un fort volume de correspondance de quelque 600 pages - et un autre, singulier, le Journal de Holyhead; d'un livre du poète italien Dino Campana, incompris par les Français, parce qu'ils voient en lui, à tort, un pâle imitateur de Rimbaud...

 

En tout cas, plusieurs des personnages de Relever les déluges n'aiment pas l'ordre établi, sont même des anars: exilés en France à la fin de la Guerre d'Espagne ou prenant d'assaut il y a quelques années, un navire dans le port de Marseille et y faisant flotter le drapeau noir des pirates...

 

Chez David Bosc être traître au monde des significations dominantes, ce serait au fond, peut-être, refuser, comme il le dit, d'être actionné par le langage, ce serait, au contraire, actionner le langage: l'auditeur retrouve là encore la rupture qui lui est chère...

 

Si l'expression: tu ne perds rien pour attendre signifie une menace dans le langage dominant, David Bosc en renverse le sens, car, pour lui, l'attente fut un jour heureuse, au point que, dans ce sens-là, il voulait donner, à une histoire amoureuse autobiographique, ce titre pourri (selon son éditeur): rien perdu pour attendre...

 

Jean-Baptiste Corot, lui, disait: Il ne faut pas chercher; il faut attendre...

 

Franck Semelet, accompagné par Daniel Perrin au bandonéon, lit des extraits de Relever les déluges. En les écoutant, mis en valeur ainsi par sa voix et par l'instrument emblématique du tango argentin, l'auditeur ne peut que se rendre compte de l'érudition de l'auteur, qui a toujours le mot pour bien dire ce qu'il veut donner à voir et à entendre.

 

Le mot de la fin de la soirée est laissé à Courbet qui, au mur de son atelier à Paris, avait affiché une liste de règles, reproduite par David Bosc dans La claire fontaine et lues par Pierre Fankhauser:

1. Ne fais pas ce que je fais

2. Ne fais pas ce que les autres font

3. Si tu faisais ce que faisait Raphaël tu n'aurais pas d'existence propre. Suicide.

4. Fais ce que tu vois et ce que tu ressens, fais ce que tu veux

 

Francis Richard

 

Derniers livres de David Bosc parus chez Verdier:

Mourir et puis sauter sur son cheval (2016)

Relever les déluges (2017)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

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