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5 juillet 2025 6 05 /07 /juillet /2025 22:55
Comprendre l'incroyable écologie, de Bertrand Alliot

[Bertrand Alliot] a été démis de ses fonctions pour des raisons d'opinion, ce qui est invraisemblable dans un pays comme le nôtre.

 

Dans sa préface, Chantal Delsol dit que cet amoureux de la nature et défenseur de l'environnement dès son plus jeune âge, a été ostracisé parce qu'il mettait en doute la doxa écologiste1.

 

Dans son prologue, Bertrand Alliot dit que l'écologie a été une discipline scientifique et qu'elle est devenue un courant de pensée, un mouvement politique et même un véritable phénomène.

 

Aussi ce livre didactique a-t-il l'ambition de faire comprendre ce qu'est l'écologie et d'expliquer pourquoi et comment elle s'est immiscée dans nos vies.

 

QUELQUES DÉFINITIONS

 

Avant toutes choses, il définit les termes qu'il emploie:

  • L'écologie au sens commun actuel est ce mouvement affirmant que l'humanité se trouve dans une situation "exceptionnelle" de crise et qui, pour en sortir, incite ou propose d'élaborer des actions de "salut public".
  • L'environnement est ce domaine de l'action publique qui, "en temps normal", se développe pour corriger les effets pervers du développement économique.
  • La nature est un bien que l'on souhaite protéger pour des raisons immatérielles: c'est pourquoi on parle communément de "patrimoine naturel".

 

LE SALUT

 

Pour un écologiste correspondant à la définition ci-dessus, face à l'actuelle rupture 2 que connaît l'homo sapiens, due à l'apparition du capitalisme ou à la montée en puissance de l'industrie, le salut public ne peut venir que marginalement de la technologie:

 

L'écologie veut renouer avec un homme du passé, le plus souvent fantasmé, ce qui revient à vouloir forger un homme nouveau. 

 

Le salut public n'exclut pas le salut privé, qui se concrétise, pour simplifier, par un retour à la terre. Une des formes que ce dernier revêt est le survivalisme, sans qu'il relève toujours d'une démarche écologique...

 

Comme sont exclues les voies du progrès ou de l'adaptation, le salut public ne peut venir que de la sobriété, c'est-à-dire d'un retour à la situation antérieure à la crise.

 

L'AUBAINE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE


Un des documents inspirateurs est le fameux rapport du Club de Rome, publié en 1972, Halte à la croissance, dont les douze scénarios, à l'exception d'un seul, prévoyaient un effondrement de la population mondiale...

 

À mi-chemin entre sobriété et croissance, il a existé une écologie amoindrie: le développement durable, une utopie qui conciliait économie florissante, environnement préservé et situation sociale enviable... et qui a permis de minimiser les effets de la croissance sur l'environnement.

 

C'est toutefois le changement climatique, avec l'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre et notamment celle du COqui a permis aux écologistes d'affirmer que l'humanité se trouvait en situation de crise.

 

L'auteur a raison de rappeler qu'il n'y a pas consensus et qu'il existe plusieurs positions sur l'interprétation de ce réchauffement de 1,1°C depuis 1850:

  • L'effet du CO2 et des gaz à effet de serre est négligeable, il y a d'autres paramètres;
  • Il y a toujours eu des changements climatiques;
  • Les causes naturelles et humaines s'emmêlent;
  • Les modèles climatiques ne sont pas fiables;
  • Le changement climatique n'est pas dangereux.

 

L'INSTRUMENTALISATION DES PEURS

 

L'écologie s'est nourrie de crises successives, c'est-à-dire de peurs:

  • La peur de la dégradation généralisée par l'exploitation de la nature;
  • La peur de l'augmentation exponentielle de la population, avec des conséquences sur l'environnement;
  • La peur de l'atome qu'il soit civil ou militaire;
  • L'inquiétude climatique;
  • L'effondrement de la biodiversité. 

 

(Comme l'alarmisme climatique a bien fonctionné avec le GIEC3, créé en 1988, l'IPBESa été créée en 2012 pour propager l'alarmisme en matière de biodiversité...)

 

Le principal avantage du récit climatique est qu'il peut durer indéfiniment: 

L'inaction n'est jamais considérée comme un drame car, si la situation est grave, en considérant l'échelle de temps dans laquelle s'inscrit la crise climatique, il apparaît toujours que le temps de l'action soit possible.

 

L'IMPOSITION DE L'ÉCOLOGIE 

 

Quoi qu'il en soit, l'auteur remarque que le mot "écologie" s'est progressivement imposé partout et, dans le même temps, le mot "environnement" et l'expression "développement durable" se sont beaucoup raréfiés. Ce en France, mais dans beaucoup d'autres pays européens et occidentaux...

 

Comme dit plus haut, les effets du changement climatique ne sont pas par eux-mêmes suffisamment visibles pour passer à l'action spontanément, alors les pays européens utilisent la carotte et le bâton pour atteindre les objectifs de l'écologie:

  • La carotte: primes et crédits d'impôts.
  • Le bâton: normes et interdictions.

 

Mais, comme l'une et l'autre ont des effets pervers et minuscules en matière de climat, les mécontentements grandissent... d'autant que la transition écologique ne se produit pas à l'échelle mondiale:

 

L'écologie se trouve dans une attente inconfortable entre une attente et une espérance: l'attente d'une catastrophe et l'espérance d'une réaction salvatrice.

 

UNE RELIGION SÉCULIÈRE

 

Pour arriver à ses fins, l'écologie pose un diagnostic de crise qui ne correspond pas à la réalité mais qui s'inscrit nécessairement dans une dimension mystique du salut. Autrement dit c'est une religion séculière.

 

Dans cet esprit, l'homme est à la fois détesté et adoré: c'est bien l'homme qui détruit, mais c'est aussi l'homme qui doit sauver la Terre. L'écologie se nourrit des mythes de la catastrophe et de la réaction salvatrice évoquées plus haut:

 

Le récit écologique est adapté à cette époque où l'humanité est devenue, grâce à l'unification du monde et à l'amélioration des connaissances, une communauté de destin.

 

L'écologie se réclame de La Science, mais il ne s'agit pas de l'ensemble des individus utilisant la méthode scientifique pour étudier le monde, il s'agit d'une nouvelle entité ayant les caractéristiques d'une divinité, une divinité dont le rôle est de donner une existence incontestable à la "crise écologique".

 

Dans le monde de l'entreprise, il y a:

  • ceux qui composent avec cette religion dominante pour survivre,
  • ceux qui, enthousiastes, coopèrent avec elle et y trouvent leurs intérêts, notamment grâce aux aides publiques...

 

Chez les puissants de ce monde, il y a:

  • ceux qui, grâce à leurs moyens, lui servent d'amplificateurs,
  • ceux qui - ce sont souvent les mêmes - croient donner un sens à leur vie, 
  • ceux qui sont favorables à la constitution d'un monde politiquement et culturellement unifié.

 

L'ÉCOLOGIE EN PERTE DE VITESSE ?

 

La transition écologique est mise à mal par la problématique énergétique, et s'avère incompatible avec la biodiversité:

  • les énergies renouvelables, éoliennes et panneaux solaires, sont de plus en plus contestées,
  • les batteries électriques nécessitent un besoin accru en métaux,
  • le nucléaire, décarboné, et les OGM, avec des variétés végétales résistant à la sécheresse, apparaissent comme des technologies potentiellement salvatrices pour surmonter la crise climatique.

 

Pour que l'écologie perdure, il faut qu'il n'y ait pas de solutions technologiques aux diagnostics qu'elle pose. Le seul argument que les écologistes emploient alors est un argument d'autorité:

 

La Science a dit que

  • la crise climatique est avérée,
  • l'effondrement de la biodiversité est indiscutable.

 

Cette entité, ayant les caractéristiques d'une divinité, peut être d'autant moins discutée que les travaux de recherche sont aujourd'hui en grande partie déterminés par le pouvoir politique qui fixe les orientations en distribuant les subsides...

 

Cette invocation systématique à La Science est selon l'auteur un signe d'affaiblissement du récit écologique. Les pratiquants et le clergé de cette religion donnant de moins en moins l'exemple de la sobriété.

 

À cela s'ajoute l'appauvrissement économique généralisé que provoquent les politiques écologiques dont sont responsables carotte et bâton évoqués plus haut, sans parler des politiques économiques et monétaires qui conduisent à la banqueroute des États... 

 

CONCLUSION

 

Des mots vont peu à peu disparaître tel qu'écologie. D'autres vont renaître tel qu'environnement. Un mot déjà revient, dans la bouche des gouvernants, celui d'adaptation:

 

Ainsi, les politiques de lutte contre le changement climatique vont peut-être consister à décliner des mesures servant, tout simplement, à se prémunir contre les événements météorologiques extrêmes.

 

Francis Richard

 

1 - Il a perdu son poste de direction qu'il occupait à l'université pour mauvaise pensée écologique.

2 - Les précédentes ruptures sont par exemple la maîtrise du feu, l'apparition de l'industrie lithique, l'invention de l'agriculture...

3 - Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

4 - Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

 

Comprendre l'incroyable écologie, Bertrand Alliot, 182 pages, Salvator

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2 juillet 2025 3 02 /07 /juillet /2025 22:00
Il faut parfois trahir, de Kamel Daoud

Kamel Daoud est-il un traître? Telle est la question. À laquelle l'écrivain franco-algérien répond par l'affirmative. Mais ce n'est pas ce que l'on croit.

 

Certes il est l'objet d'un mandat international pour avoir enfreint la loi de réconciliation nationale algérienne1 avec son roman Houris, Prix Goncourt 2024.

 

Comme l'indique le titre de cet essai, Il faut parfois trahir. Dans quel cas? Quand il s'agit de trahir l'immobilité. C'est à cela qu'on reconnaît les héros.

 

Au départ il y a une parole attribuée à un soldat au torse médaillé face à son supérieur, au début du siècle dernier, et qui explique ce qui lui est reproché: 

 

Un Arabe reste un Arabe, même s'il s'appelle le colonel Bendaoud!

 

Naturalisé Français, Bendaoud (1837-1912), élevé au grade de grand officier de la Légion d'honneur, avait été le premier Algérien à être devenu Saint-Cyrien.

 

Il était pour l'éternité le "judas" du nationalisme algérien qui se confond avec l'arabité, i.e. l'image d'une langue imaginaire servant à définir une identité:

 

L'identité arabe, imaginaire et fondée sur la langue, [...] imposa sa loi de pétrification à l'Algérie (et ceux qui en France s'en réclament) et qualifia de trahison toute forme de créativité.

 

Malek Haddad (1927-1978), se sentant coupable de trahison, aurait cessé d'écrire. Car un écrivain algérien trahit s'il écrit dans une autre langue que l'arabe... 

 

Kamel Daoud n'est pas séparé de [sa] patrie par la Méditerranée ni par la langue française. Il reste fidèle à sa volonté, dès l'enfance, d'être un homme libre:

 

Ce qui empêche l'Algérie de naître à elle-même, ce n'est pas la langue arabe ou française. C'est la pratique que l'on fait de l'amalgame entre Dieu, l'arabe et le pouvoir, et le refus de pluralité, le français et la trahison.

 

Kamel Douad veut bien être traître si cela veut dire penser la pluralité face à l'unanimité, imaginer un futur, mener la guerre contre la misère réelle et le pays idéalisé.

 

Il espère que tous les Algériens seront des traîtres un jour: 

  • Ils pourraient s'emparer de l'inconnu et de l'étranger, libérés des castes des interprètes d'un seul livre.
  • Ils seraient libres de lire tout, et d'écrire tout, dans toutes les langues

 

En effet:

  • La trahison représente un élan vers l'universalité.
  • Le contraire de l'universalité, c'est la rancune, c'est le repli et c'est l'anxiété.

 

Kamel Daoud est franco-algérien et est à la fois les deux

Je me sens français malgré certaines personnes. Je suis algérien malgré d'autres. C'est ainsi que je m'invente mes vies.

 

Il est infidèle:

  • à tout ce qui réduit ces deux pays à de l'absurdité et de l'antagonisme,
  • à la rigidité et à la fixité,
  • au livre unique et à la langue unique.

 

En conclusion:

Il n'y a pas d'avenir sans trahison du passé. Et il n'y a pas d'avenir sans fidélité ni sacrifice des semblables, des uns et des autres. Mes semblables m'ont voulu héroïque et libérateur depuis mes manuels scolaires du pays si jeune qu'il en a commis des erreurs. J'ai réussi à me libérer, et je rêve encore d'être un héros.

 

Francis Richard

 

1 - Adoptée par référendum le 29 septembre 2005.

 

Il faut parfois trahir, Kamel Dadoud, 64 pages, Gallimard

 

Livre précédent:

 

Houris (2024)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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18 juin 2025 3 18 /06 /juin /2025 17:05
Pourquoi je serais plutôt aristocrate, de Vladimir Volkoff

Après avoir fait paraître Pourquoi je suis moyennement démocrate, en mai 2002, Vladimir Volkoff a cru bon de lui donner une suite, deux ans plus tard, en mai 2004.

 

Pourquoi je serais plutôt aristocrate précise en effet comment il conçoit le gouvernement des hommes, une conception qui semble très éloignée de celle de l'époque. Encore que...

 

L'auteur tient à s'affubler du qualificatif d'aristocrate par esprit de contradiction. Dans la société où il vivait - et où nous vivons -, il n'y aurait point de salut hors de la démocratie

 

Dans le précédent essai, il avait opéré une censure mesurée de la démocratie, il examine cette fois l'anti-démocratie, son antonyme qu'est l'aristocratie, dont le principe est opposé:

  • la démocratie [...] se fonde sur la quantité des suffrages,
  • l'aristocratie [...] sur la qualité des personnes.

 

Il ne faut pas confondre gouvernement et structure. La démocratie et l'aristocratie sont des modes de gouvernement, la république et la monarchie sont des structures. 

 

La démocratie peut produire une république - qui est une polyarchie - aussi bien qu'une monarchie. Il en est de même pour l'aristocratie. Les exemples fourmillent.

 

Il ne faut pas confondre non plus aristocratie et noblesse. L'aristocratie est affaire de qualité, tandis que la noblesse qui vient de connu en latin, est affaire d'illustration.

 

C'est pourquoi il existe des adeptes de la démocratie aussi bien dans la noblesse que dans le peuple, et inversement d'adeptes de l'aristocratie dans le peuple que dans la noblesse.

 

Si, en grec, le substantif kratos signifie force, domination, puissance souverainearistos est le superlatif de agathos, ce qui évoque: 

  • la qualité,
  • un maximum de qualité,
  • plus de qualité que les autres. 

 

Autre distinction:

  • la démocratie est une utopie: on ne peut être égaux que si l'on est identiques, or, en démocratie 1=1, c'est-à-dire un imbécile égale un génie, et un voyou égale un saint.
  • l'aristocratie est un idéal: il serait bon que les meilleurs soient les plus puissants, et réciproquement.

 

L'auteur remarque:

On n'en finirait pas de faire la liste des hommes politiques sans don ni compétences que publicitaires et qui furent portés au pouvoir par les suffrages d'un peuple abusé.

Suivez mon regard...

 

Qui peut juger de la qualité d'un postulant en une quelconque matière?

  • Les maîtres dans le domaine en question.
  • Les pairs du postulant.
  • Le peuple souverain, c'est-à-dire une majorité ignorante de la spécialité dont il s'agit.

 

Il en résulte que la démocratie aplatit la réalité, tandis que l'aristocratie, éprise de toutes les qualités, exalte toutes les différences.

 

Autre distinction:

  • La démocratie est une idéologie;
  • l'aristocratie est une physiologie.

 

Que les hommes soient différents a pour conséquence, c'est un fait de nature, que d'aucuns sont supérieurs à d'autres dans tel ou tel domaine.

 

Les supériorités existent, ce qui ne veut pas dire que des erreurs caricaturales ne puissent pas être commises au nom du principe de supériorité...

 

L'aristocratie est :

  • un fait de société, que ce soit dans le commerce, dans l'armée, dans le sport;
  • une philosophie: c'est la philosophie de la différence: qui aime la différence ne peut pas aimer l'égalité;
  • une éthiquele pouvoir des meilleurs [...] est non pas un droit mais un devoir, non pas une prétention, mais un service. 

 

Le langage, parce que fondé sur la qualité, est aristocrate; ainsi sont aristocratiques:

  • le vocabulaire,
  • la grammaire,
  • l'orthographe,
  • la prononciation.

 

La tendance moderne est à l'écrasement de la langue...

 

Le christianisme est aristocrate: l'Église du Christ est fortement, peut-être excessivement, structurée.

 

Le couple est aristocrate: L'aristocratie n'est pas l'art d'être supérieur à autrui; c'est l'art d'être soi-même mieux qu'aucun autre ne saurait l'être. Et si on le fait à deux, il y a une chance proprement miraculeuse pour qu'en jaillisse la vie.

 

Vladimir Volkoff reconnaît que l'Histoire a quelquefois justifié, ou en tout cas légitimé, la démocratie:

Je ne songe pas à nier que le serment du Grütli (1291), qui a fondé la Confédération helvétique, ou la Boston Tea Party (1773), qui est à l'origine des États-Unis, n'aient produit des résultats d'importance.

 

Il constate in fine que la démocratie, en étant persuadée que le suffrage universel égalitaire est le meilleur mode de choix des meilleurs candidats et en s'imaginant mettre la quantité au service de la qualité, a une préoccupation aristocratique:

 

Dès qu'on dit "mieux" ou "meilleur", on pose la recherche de la qualité, c'est-à-dire que, peut-être sans le vouloir ni le savoir, on est aristocrate.

 

Francis Richard

 

Pourquoi je serais plutôt aristocrate, Vladimir Volkoff, 160 pages, Éditions du Rocher

 

Livre précédent:

 Pourquoi je suis moyennement démocrate (2002)

 

Sur l'auteur:

 

Vladimir Volkoff priait Jeanne pour les libertés de boire et de fumer le 8 mai 2005.

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11 juin 2025 3 11 /06 /juin /2025 16:45
Pourquoi je suis moyennement démocrate, de Vladimir Volkoff

Paru en mai 2002, cet essai de Vladimir Volkoff (1932-2005) n'a pas vieilli. L'écrivain français y montre sa liberté d'esprit et son insoumission aux modes, aux conformismes, de tout poil.

 

Par esprit de contradiction, il n'admettait pas que la démocratie lui soit imposée comme une panacée évidente et obligatoire. Il reprochait surtout aux représentants d'être irresponsables et précisait:

 

Le type d'homme à souhaiter être élu n'est pas nécessairement celui qui mérite le plus la confiance de ses électeurs1. 

 

Le vocabulaire est important: une majorité, quelle que soit sa proportion, n'est pas un consensus, la démocratie n'a plus comme antonyme l'aristocratie2, mais le fascisme ou les totalitarismes3

 

De même qu'entend-on par le peuple? C'est, tour à tour, la nation et la plèbe, et on ne sait jamais de laquelle on parle. Son indéfinition lui ôte l'envie d'asseoir dessus un système de gouvernement.

 

Comme il est logique, il récuse la pétition de principe selon laquelle la démocratie est bonne parce que le bien est la démocratie. De même récuse-t-il qu'il en soit fait une religion4:

 

À la démocratie, il manque un élément essentiel à toute religion, vraie ou fausse, la transcendance.

 

Oui mais, les droits de l'homme (abstraction toujours faite de ses devoirs)? 

 

Les droits de l'homme, quoi qu'on en pense par ailleurs, ne peuvent pas dépasser l'homme. Ils sont anthropocentriques par définition...5

 

Il avait beau jeu de dire que la démocratie repose sur l'un ou l'autre de [ces] deux postulats, contradictoires, le premier naïf, le second odieux:

 

le peuple veut spontanément le Bien, et, accessoirement, son propre bien;

- ce que le peuple veut devient aussitôt le Bien.

 

Il reprochait à la démocratie de reposer sur les vertiges du nombre, c'est-à-dire de l'incompétence, et de l'égalité, incompatible avec la liberté et conduisant au nivellement par le bas:

 

[Aujourd'hui], dans la plupart des cas, les démocraties semblent favoriser systématiquement l'égalité, avec toutes les limitations que cela suppose pour la liberté individuelle.

 

Après un rappel historique sur les grandes démocraties, qui montre qu'elles ne marchent jamais vraiment, il nuançait son propos:

 

Je le dis ouvertement: je suis "moyennement" démocrate et je veux bien effeuiller la marguerite démocratique. En Suisse, j'aurais pu l'être passionnément; aux États-Unis, un peu; en France, pas du tout.

 

Déjà il incriminait le rôle des médias où le débat a disparu et où la pensée unique est serinée par les divers organes d'information et de désinformation:

 

Dans un régime de démocratie absolue, on ne peut plus penser que ce que pense l'autorité et, par conséquent, la notion d'obéissance et de désobéissance est dépassée.

 

Enfin il reprochait aux démocraties de ne pas être démocratiques: tricheries électorales, intolérance de penser autrement, atteintes à la liberté de circulation6 ou décisions majeures prises sans consultations...

 

Il n'était pas du tout convaincu que, contrairement aux affaires, où le mérite est mesuré par le bénéfice, il y ait un moyen de le mesurer dans le monde de la politique:

 

Franchement, je suis de plus en plus sûr que ce n'est pas l'urne.

 

À méditer. A fortiori, en ayant présent à l'esprit la dissolution de l'Assemblée nationale française le 9 juin 2024...

 

Francis Richard

 

1 - Toute ressemblance avec un homme politique français actuel serait fortuite...

2 - Le gouvernement des meilleurs.

3 - Les totalitarismes du XXe siècle se réclamaient de la démocratie... dont ils étaient issus.

4 - Toute religion prétend détenir la vérité.

5 - La religion des droits de l'homme brille de plus en plus par un culte de la tolérance qui va jusqu'à une pratique généralisée de l'intolérance. 

6 - Et il n'avait pas connu la Covid...

 

Pourquoi je suis moyennement démocrate, Vladimir Volkoff, 112 pages, Éditions du Rocher

 

Sur l'auteur:

 

Vladimir Volkoff priait Jeanne pour les libertés de boire et de fumer le 8 mai 2005.

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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24 mai 2025 6 24 /05 /mai /2025 19:00
Pourquoi les intellectuels se trompent, de Samuel Fitoussi

Et si la culture, l'intelligence et l'éducation n'étaient pas gages de sagesse, mais prédisposaient à l'erreur?

 

Dans son introduction, Samuel Fitoussi donne les exemples de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Bertolt Brecht, Bernard Shaw, Louis Althusser, Louis Aragon, André Glucksmann, Edgar Morin, Noam Chomski, Martin Heidegger ou Carl Schmitt...

 

LES DEUX RATIONALITÉS

 

Selon l'auteur, l'évolution a doté l'être humain de deux rationalités:

  • La rationalité épistémique: une capacité à adopter des croyances valides.
  • La rationalité sociale: une capacité à avoir une bonne image auprès du groupe auquel il appartient.

 

Or ces deux rationalités ne se recouvrent pas: la vérité objective ne coïncide pas toujours avec la vérité socialement définie.

 

Se tromper:

  • peut être lourd de conséquences dans la sphère économique privée.
  • n'est de loin pas toujours pénalisant chez les intellectuels: persister dans l'erreur peut même s'avérer moins coûteux individuellement que de faire demi-tour, peu importe si cela débouche sur des désastres collectifs...

 

Si la rationalité épistémique est déterminante chez les entrepreneurs, la rationalité sociale est plus importante chez les intellectuels:

 

Les esprits les plus brillants sont ceux qui parviennent à justifier la plus grande gamme de comportements.

 

L'AVEUGLEMENT DE L'INTELLIGENTSIA

 

Au XXe siècle, l'intelligentsia occidentale est longtemps restée aveugle au bilan humanitaire des régimes communistes, malgré l'accumulation d'éléments qui auraient dû la conduire à réviser son jugement.

 

Ils partaient de la certitude, biais de partialité, que le communisme fonctionne et permet l'épanouissement du genre humain. Il était donc impossible que les informations contraires soient exactes. Leurs a priori idéologiques les empêchaient de voir ce qu'ils voyaient:

 

Il est difficile de juger un syllogisme lorsque nous sommes d'accord avec sa conclusion.

 

Le déni, biais de confirmation, permet de rester heureux en évitant les informations qui réfuteraient les idées que nous nous faisons sur le monde.

 

LES DIPLÔMÉS1

 

Il existe [...] des raisons de croire que le monde académique - les sciences sociales en particulier - sont parmi les plus poreux à l'irrationalité:

 

  • Les universitaires sont les plus à même de rationaliser des idées fausses.
  • Les thèmes des sciences sociales favorisent l'irrationalité.
  • Le manque de pluralisme est indéniable au sein des universités occidentales.
  • Il est préférable de rationaliser les erreurs consensuelles que de poursuivre la vérité.

 

Résultats: 

  • Le remplacement de traditions éprouvées, qui n'ont rien d'arbitraire, par des constructions sociales.
  • En raison du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur, nombre d'entre eux vivent sans côtoyer des non-diplômés.
  • Les diplômés surnuméraires en sciences sociales sont formés avant tout aux idées et se radicalisent quand ils ne trouvent pas de postes pour les mettre en application.

 

L'IDÉOLOGIE DE L'INTELLIGENTSIA

 

L'intelligentsia occidentale croit que:

  • Les changements positifs de la société doivent être impulsés par le haut, ce qui leur permet de jouer un rôle: l'orienter vers un avenir meilleur.
  • La réalité est modifiable à souhait si elle est le fruit d'une construction verticale.

(La société capitaliste a été imposée de la sorte.)

  • La société dans laquelle ils habitent est mauvaise et ils sont les seuls compétents pour la changer.
  • Le mal n'est pas dans la nature humaine mais dans une institution, une classe sociale ou un groupe humain: la responsabilité n'est jamais individuelle, mais collective.
  • L'homme ordinaire doit être rééduqué, apprendre à être heureux, à faire bon usage de sa liberté, à échapper aux forces qui le conditionnent...

 

Bref l'intelligentsia occidentale croit détenir le monopole de la connaissance et du bien pour les autres... et ne veut pas voir que les connaissances sont dispersées.

 

De même s'illusionne-t-elle sur le contrôle qu'elle pourrait exercer, puisque, selon elle, les non-occidentaux ne feraient que réagir aux actions de l'Occident...

 

Dans cet esprit, elle a tendance à penser que l'Occident est toujours coupable et ne peut être victime: c'est l'inversion accusatoire permanente.

 

Que les idées de l'intelligentsia soient absurdes n'est pas rédhibitoire. Au contraire, elles permettent de distinguer ceux qui sont loyaux. Le signal envoyé est le suivant:

 

Je suis plus fidèle au groupe qu'à la réalité.

 

L'intelligentsia a enfin des croyances de luxe, celles que seule l'élite peut se permettre d'adopter:

 

Certaines politiques publiques, par exemple, imposent des coûts qui pèsent davantage sur les classes populaires.

 

L'INFLUENCE DE L'INTELLIGENTSIA SUR L'OPINION

 

Cette influence est grave:

  • parce qu'elle est disproportionnée,
  • parce que, quand elle diffuse une idée fausse, elle n'est pas considérée comme fausse,
  • parce qu'elle contrôle l'information,
  • parce qu'elle est répétitive,
  • parce qu'elle émane de l'arbitre des élégances,
  • parce qu'elle émane de l'élite, donc de ceux qui ont le statut social le plus élevé.

 

Cette influence est d'autant plus grave que l'opinion est malléable:

 

Les idées de certains intellectuels deviennent [...] de plus en plus populaires à mesure qu'elles sont appliquées...

[...]

Nous nous rangeons aux évolutions qui nous sont imposées.

 

CONCLUSION

 

L'idée selon laquelle les élites intellectuelles pourraient rendre service à la société en imposant à l'ensemble de la population leurs critères de vérité - mais, cette fois-ci, les bons critères - est une idée qui postule à tort la supériorité des intellectuels du présent sur ceux du passé, fait fi de la nature humaine, et oublie que ni l'intelligence, ni l'appartenance à l'élite, ni la volonté de combattre l'erreur ne protègent de l'erreur.

 

Francis Richard

 

1 - Ce n'est pas parce que l'on a fait les meilleures études que l'on est le plus intelligent et le plus à même de prendre des décisionsCharles Gave

 

Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, 272 pages, Éditions de l'Observatoire

 

Livre précédent:

 

Woke fiction, 384 pages, Le Cherche Midi (2023)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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17 avril 2025 4 17 /04 /avril /2025 22:55
La terreur violette, de Pablo Ladam

Le danger ne réside [...] pas dans le féminisme lui-même, mais dans la conviction que lutter pour la cause des femmes passe nécessairement par l'invisibilisation, la stigmatisation ou la déconstruction de l'homme...

 

C'est la conviction du néoféminisme, qui a la couleur violette du féminisme, l'apparence du féminisme, mais n'est plus du féminisme.

 

À Sciences Po, Pablo Ladam a lui-même été victime de La terreur violette, c'est-à-dire de celle exercée par des néoféministes de l'institut.

 

Comment cette terreur a-t-elle pu s'installer? Grâce à la complaisance de son énarque de directeur, Mathias Vicherat, nommé en 2021:

 

Il fit de la lutte contre [les] violences [sexistes et sexuelles] [VSS] sa "priorité absolue".

 

Cela se retourna contre lui puisqu'il fut l'objet d'une campagne de haine après avoir été mis en garde à vue pour violences conjugales 1.

 

Pour les néoféministes:

  • Le privé est politique 2.
  • Un homme est toujours présumé coupable.
  • Une femme doit être crue et soutenue aveuglément.

 

Devant le blocage organisé par cette minorité agissante, la majorité suivit en silence pour ne pas être rangée dans le camp des "fachos".

 

Et Mathias Vicherat ne voulut pas faire appel à la force publique comme le Code de l'éducation le lui permettait pour lever le blocage.

 

Sa soumission ne servit de rien et il dut démissionner le 13 mars 2024... Sa compagne et lui seraient tous deux condamnés pour violences 3...

 

Le cas personnel de Pablo Ladam est édifiant. Le 22 septembre 2023, il prononça dans le cadre de Sciences Polémiques 4 un discours.

 

Dans ce discours 5, il se mettait d'abord à la place d'un prédateur sexuel d'une certaine élite masculine [...] pour le dénoncer ensuite sans ambiguïté.

 

Il provoqua un tsunami dans l'assistance. Une néoféministe le traita de violeur, de macho; une autre l'accusa d'avoir fait l'apologie du viol...  

 

Dès lors son sort était scellé:

  • Un cordon sanitaire se forma autour de lui: il devenait infréquentable et toutes ses amitiés furent rompues.
  • Son couple fut attaqué et sa petite amie, prenant sa défense, subit le même sort que lui.
  • Il fut exclu de toutes les associations étudiantes et sportives.
  • Toutes soirées étudiantes lui furent interdites.
  • Il fut l'objet de calomnies anonymes et de dénonciations mensongères.
  • Il fut banni du gala de fin d'année.
  • Il fut harcelé sur les réseaux sociaux.

 

Comment expliquer ce déchaînement? Il y voit ce que Gustave Le Bon nomme l'âme collective, dont tout esprit critique est exclu et qui commande d'agir:

 

Les militants woke et néoféministes de Sciences Po, sûrs de l'impunité que leur confère leur nombre, ne se sentent concernés par aucune limite, ni morale, ni légale...

 

Et l'institution? Sciences Po s'est avérée complice des néoféministes:

  • Après avoir signalé tout ce qu'il avait subi, il fut convoqué sur Zoom devant la Cellule d'enquêtes internes préalables, CEIP, créée par Mathias Vicherat... et composée uniquement de femmes, tout à la fois juges d'instruction, enquêtrices et procureures.
  • Pendant deux heures, les deux enquêtrices, refusant de lui donner le motif de l'entretien, l'assénèrent avec violence de griefs fantaisistes et grotesques. Et passèrent au crible sa vie privée avec un voyeurisme et une impudeur obscènes.
  • Tous les témoignages produits par les deux enquêtrices étaient à charge, notamment celui d'une ex avec laquelle il avait rompu parce qu'elle s'était montrée violente à son égard et qui se vengeait d'avoir été éconduite...
  • Bref la CEIP s'est montrée arbitraire, partiale et sexiste.

 

Un autre legs, consenti aux néoféministes par Mathias Vicherat, est l'automaticité des mesures conservatoires contre les étudiants mis en cause, c'est-à-dire:

 

L'exclusion préventive et systématique de tout étudiant accusé de VSS et faisant l'objet d'une enquête disciplinaire.

 

Pablo Ladam fut donc exclu trois mois avant d'être traduit devant la Section disciplinaire, composée d'un triumvirat néoféministe de la Terreur violette, qui applique le logiciel:

  • présomption de culpabilité,
  • sacralisation de la parole des femmes et dénigrement de celle des hommes,
  • absence de gradation (une main aux fesses vaut un viol; une gifle vaut un féminicide),
  • instructions à charge et condamnations sans preuve.

 

Pour ne pas aller à l'encontre de l'instruction de la CEIP, la Section disciplinaire décida son exclusion d'un mois de l'Institut d'études politiques de Paris:

 

La décision concédait que le dossier était dénué de toute preuve matérielle, et qu'aucun comportement relevant des violences sexuelles ou sexistes n'avait été établi. [...] C'était [sa] "difficulté au cours de l'instruction à comprendre la portée" de ce qui [lui] était reproché qui justifiait [sa] sanction...

 

À la fin de l'ouvrage, Pablo Ladam produit quatre témoignages d'étudiants qui ont subi les mêmes mauvais traitements que lui sans que l'institution intervienne...

 

Dans la conclusion de son essai, il reprend, en les résumant, toutes les injustices dont se rendent coupables à Sciences Po

  • les militants woke,
  • les militants néoféministes,
  • les directeurs de campus,
  • les enquêtrices de la CEIP,
  • le triumvirat de la Section disciplinaire.

 

Il termine par cette adresse:

 

J'implore enfin tous les étudiants écoeurés par les délires d'une minorité bruyante d'affirmer avec moi leur refus du sectarisme et de la violence politique, et de défendre face aux extrémistes la cause la plus essentielle, celle dont dépendent toutes les autres: la justice.

 

Francis Richard

 

1 - Le 4 décembre 2023 à 14h43, une notification du Monde afficha la nouvelle sur les 14'000 smartphones des étudiants de Sciences Po...

2 - En Suisse, la sphère privée est garantie par la Constitution...

3 - Par la 10e chambre du Tribunal correctionnel de Paris, le 24 octobre 2024.

4 - Une association d'éloquence.

5 - Il figure en annexe.

 

La terreur violette, Pablo Ladam, 176 pages, Éditions de l'Observatoire

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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13 avril 2025 7 13 /04 /avril /2025 22:50
Drôle de justice, de Jean-Marie Rouart

Ce livre comprend deux parties.

 

Dans la première, intitulée Justice, ma cruelle illusion, Jean-Marie Rouart écrit, en guise d'introduction:

Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n'ont cessé de me troubler. En réalité, tous mes ouvrages et l'essentiel de mes articles sont reliés étroitement à cette question.

 

C'est en particulier l'affaire Omar Raddad, en 1991, qui l'a mobilisé:

Pourquoi une famille très honorable acceptait-elle de faire porter la responsabilité d'un crime à un innocent manifeste plutôt que de risquer d'être compromise en laissant la justice suspecter l'un de ses membres?

 

Pendant trente ans, avec ses avocats successifs, il a combattu et combat encore pour que les magistrats révisent sa condamnation. Ce qui lui a valu d'être accusé, puis condamné pour diffamation...

 

Ce n'était pas la première fois qu'il se posait la question du bien-fondé des décisions de justice: il avait dans Le Figaro, en 1969, prit la défense de Gabrielle Russier1. Ce ne serait pas la dernière...

 

En dehors des erreurs judiciaires, il s'est intéressé à des affaires où des magistrats fermaient les yeux sur les turpitudes du pouvoir, et dut démissionner du Figaro à cause de l'une d'entre elles.

 

Une expérience, à l'âge de 14 ans, lui fit découvrir une des plus mystérieuses ambiguïtés de la justice et dont seule la littérature rend compte. La part de responsabilité de la société dans le crime:

Ce que montre la littérature, c'est qu'avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu'elle veut perdre.

 

Des exemples? Voltaire défendant Calas, Sirven ou le chevalier de La Barre, Balzac défendant le notaire Peytel, Zola défendant Dreyfus etc. Ce qui apporte le témoignage de leur humanité:

Cette humanité inséparable de la forme la plus élevée de la littérature.

 

Dans le domaine de la fiction, l'auteur prend l'exemple d'un des pathétiques héros de Marcel Aymé dans sa nouvelle, La rue de l'Évangile, qui figure dans son recueil Derrière chez Martin:

Marcel Aymé et son pitoyable héros, Abdel Martin, réussissent le miracle de nous permettre d'accéder à ce versant noir de la vie sans pour autant, miracle de la littérature, nous désespérer.

 

Si nous accordons tant de prix à la vérité des romans, c'est qu'ils répondent à une exigence plus profonde qui n'est pas forcément consciente. Ils sont là pour réparer un sentiment d'injustice plus général:

Ainsi ce qui indigne d'abord, réaction primaire, ce sont bien sûr les entorses faites à la loi. Mais ces lois elles-mêmes quelle est leur légitimité?

 

Autrement dit:

  • D'où vient l'ordre juste, ou admis comme tel? D'un vainqueur
  • D'où celui-ci tient-il sa légitimité? D'une mystérieuse ordalie... 

C'est ainsi que s'est édifié l'État moderne constitué sur une bureaucratisation ubuesque de contraintes et de réglementations.

 

La littérature représente pour nous un refuge, le seul asile qui puisse nous aider à affronter une dictature sociale, qu'elle touche à la politique ou à nos moeurs: une croyance dans un ordre inverse:

Qui n'humilie pas nos voeux secrets, mais les respecte. C'est ce qui nous pousse à adhérer à travers elle à tout ce qui se rattache à cette liberté épousant la loi naturelle, et que nous pressentons au fond de nous-mêmes comme un bien inaliénable.

 

Des écrivains, tels Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Flaubert, Baudelaire, Valéry, Giono, ou Mauriac, sont le véritable antidote à cette "servitude volontaire" 2 dénoncée par La Boétie. 

 

À leur suite, dans la deuxième partie, Jean-Marie Rouart propose une pièce de théâtre, en trois actes, intitulée Drôle de justice, qui prêche d'exemple pour illustrer ce qu'il écrit dans la première.

 

Francis Richard

 

1 - Gabrielle Russier avait été condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir eu une liaison avec un de ses élèves et... s'était suicidée.

2 - Voir mon article du 11 mars 2014.

 

Drôle de justice, Jean-Marie Rouart, 180 pages, Albin Michel

 

Livre de Jean-Marie Rouart précédemment chroniqué, chez Gallimard:

 

Une jeunesse perdue (2016)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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5 avril 2025 6 05 /04 /avril /2025 22:00
La Face cachée de Wikipédia, de Michel Sandrin et Victor Lefebvre

Enquête sur les dérives de l'encyclopédie libre.

 

Tel est le sous-titre du livre de Michel Sandrin et de Victor Lefebvre. Le premier étant un ancien contributeur, le second, un ancien journaliste au Figaro, puis à Factuel.

 

Dans l'avant-propos, Michel Sandrin explique qu'il a été contributeur de l'encyclopédie autoproclamée libre pendant quinze ans, jusqu'en 2021, qu'il a été bloqué indéfiniment, avant d'en être banni pour avoir osé la critiquer.

 

On ne peut pas dire qu'il soit rancunier pour autant. Il considère en effet qu'elle reste l'outil de connaissance le plus efficace de la Toile et que le problème posé aujourd'hui est de nature conjoncturelle plutôt que structurelle:

 

Il ne faut pas changer les règles de fonctionnement de Wikipédia.

 

Comment ça marche.

 

La première partie du livre explique comment Wikipédia marche:

  • Le contrôle est fait a posteriori.
  • Wikimedia Foundation est l'hébergeur, sous licence libre.
  • Wikimédia France est une association 1901, qui est financée par la Fondation et reçoit des subventions de l'État.
  • Wikipédia serait fiable pour ce qui concerne les sujets scientifiques ou les sciences de la nature1.
  • Le wikipédien (ou contributeur) est un homme, diplômé ou très diplômé (bac + 4 minimum), âgé d'une trentaine d'années.
  • Les 4 principaux contributeurs de la Wikipédia en français sont des bots (comptes automatisés qui vérifient et corrigent actes de vandalisme, erreurs, fautes de frappe ou d'orthographe).
  • Les admins jouent le rôle de modérateurs: ils protègent une page ou la supprime, peuvent bloquer un utilisateur qui ne respecte pas les règles. Ils peuvent être secondés par des patrouilleurs, contributeurs qui assurent la veille en temps réel. Ils sont placés sous la tutelle des bureaucrates, au nombre de 7, pour ce qui concerne la Wikipédia en français
  • Les checkusers vérifient l'identité des contributeurs.
  • Les forums de discussion permettent aux contributeurs de délibérer entre eux.
  • Un utilisateur peut être sanctionné s'il enfreint les règles.

 

Les 5 principes fondateurs de la communauté sont:

  • La pertinence encyclopédique.
  • La neutralité de point de vue.
  • Le libre contenu.
  • Le savoir-vivre.
  • Wikipédia n'a pas d'autres règles fixes.

 

Comment ça déraille.

 

Dans la deuxième partie, les auteurs parlent des dérives:

  • Les sources doivent être secondaires et considérées comme fiables: seuls les médias dits de droite, voire d'extrême-droite 2, tels que Causeur, Valeurs actuelles, Le Journal du Dimanche ou CNews ne le sont pas 3.
  • Des journalistes considérées de même, telles Eugénie Bastié ou Sonia Mabrouk, ne peuvent pas obtenir la correction de fausses informations publiées sur leur page (il faudrait qu'elles intentent un procès, et encore...).
  • Il ne fait pas bon de contrevenir à la doxa progressiste érigée en loi coutumière sur Wikipédia.
  • Il ne fait pas bon non plus de critiquer publiquement Wikipédia.
  • Il y a des sujets qui ne doivent pas être abordés: les auteurs en donnent des exemples concrets et édifiants. Et d'autres qui sont caviardés...
  • Le cherry picking est un biais récurrent: on accorde une importance disproportionnée à un point de vue, ou un traitement de faveur à certaines personnalités de la mouvance décoloniale ou de la théorie de genre, rebaptisée études de genre...  
  • Au sein de la communauté, l'association des sans pagEs veut sensibiliser la population générale au biais de genre (le wikipédien est un homme en grande majorité) et créer le maximum de pages sur les femmes, les LGBT et les racisés.
  • Wikipédia française est, par des militants, l'objet d'entrisme pour modifier des pages ou de rameutage pour en supprimer.

 

Conclusion

 

Malgré les exemples donnés, les auteurs affirment: Il ne s'agit pas de dire que la Wikipédia française est aux mains d'une secte d'utilisateurs woke, indigénistes ou racialistes. Mais ce risque existe bel et bien.

 

Si elle n'est pas encore aux mains d'utilisateurs d'une secte woke, indigénistes ou racialistes, la Wikipédia francophone n'est déjà pas aussi fiable que les auteurs, candides, le prétendent ou le croient. 

 

Celui qui la consulte a donc intérêt à exercer son esprit critique et, avant de s'appuyer sur ses notices, pour affirmer quoi que ce soit, à recouper les informations qu'elle diffuse 4.

 

Francis Richard

 

N.B.

 

N'étant pas suffisamment notoire, je n'ai pas droit à une notice: Dieu m'en garde !

 

1 - La preuve: l'OMS a signé avec la Fondation un accord de partenariat en octobre 2020...

2 - C'est-à-dire à droite du Figaro.

3 - Considéré par les auteurs comme complotiste, l'étiquette qui tue, Le Courrier des Stratèges, par exemple, ne serait pas fiable non plus...

4 - Comme Le Monde n'est plus un journal de référence, cette encyclopédie est désormais controversée, pour reprendre un qualificatif qui y apparaît souvent.

 

La Face cachée de Wikipédia, Michel Sandrin et Victor Lefebvre, 224 pages, Les éditions du Cerf

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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30 mars 2025 7 30 /03 /mars /2025 18:50
Les #gueux, d'Alexandre Jardin

Alexandre Jardin, dans ce texte, prend la défense de ceux qu'il appelle les Gueux. Il s'y intéresse aux conséquences sociales de la mise en place des ZFE, un acronyme comme les affectionnent les bureaucrates français, toujours très inventifs.

 

ZFE? Il s'agit des zones à faibles émissions mises en place, en vertu de la loi Climat et résilience du 22 août 2021, à partir du 1er janvier 2025 pour interdire l'accès aux véhicules anciens dans les agglomérations de plus de 150'000 habitants

 

La justification de ces zones serait la pollution générée par les automobiles, classées selon des normes, également chères aux bureaucrates français, qui ne tiennent compte que de la première année de mise en circulation et de la motorisation:

Les #gueux, d'Alexandre Jardin

Or, comme l'indique Vincent Bénard, dans un article du 7 janvier 2025 paru sur le site de l'IREF, les dernières données disponibles (2022) du Citepa, financé et agréé par le ministère de l'Écologie, montrent que, grâce aux progrès techniques:

 

L’automobile est devenue un acteur mineur de la pollution atmosphérique, tous polluants inclus (CO, NOx, SO2, COVNM, particules fines).

 

De plus, Vincent Bénard rappelle dans cet article que:

 

Tous les véhicules de plus de 4 ans ont l’obligation de passer tous les 2 ans un contrôle technique, une vignette attestant leur droit à circuler. Les véhicules exclus des ZFE selon une norme étatique sont donc souvent considérés comme parfaitement conformes par une autre norme édictée par le même État. Inutile de chercher de la cohérence, il n’y en a pas.

 

Mais revenons au texte d'Alexandre Jardin. Quelles sont les personnes touchées par la mise en place des ZFE? Il interroge Google et ChatGPT pour le savoir:

  • 12 à 13 millions de véhicules.

Soit

  • 22 à 26 millions de gens.

 

La vérité est là, commente-t-il: en triant les voitures, on trie les gens.

 

Sur X, il tweet le 31 décembre 2024:

 

À partir de demain, 2,2 M de gueux ne pourront plus utiliser leur véhicule là où ils vivent. Pas si grave, c’est des gueux. Le système ZFE est remarquable: vous ne savez jamais exactement si vous êtes dans la légalité. Le citoyen devient un suspect.

 

Ce tweet enregistre dès le lendemain 515'000 vues et une avalanche de commentaires:

 

Aucun n'est contre la planète, ça va de soi. Mais tous sont contre l'écologisme qui interdit aux gueux de vivre, les manants incapables de trouver 35 000 €  pour acheter une R5 électrique. Ils n'ont rien contre les phoques ou la biodiversité. Ils sont contre le tri humain. Tous ont compris que quand on trie les voitures, on trie les gens.

 

Il faut lire ce texte qui met en cause tous les partis qui se sont succédé à la tête du pays:

 

  • Les vignettes Crit'Air sont apparues sous Hollande en 2015.
  • La Loi d'orientation des mobilités a été votée sous Macron en 2019.
  • La loi Climat et résilience toujours sous Macron en 2021.

 

L'Union européenne et son Green deal n'est pas de reste:

 

On a [...] gentiment glissé vers une Europe bureaucratique qui peut désormais TOUT OSER contre le citoyen-gueux en enrégimentant les écolotechnocrates du continent puisqu'elle défend le Bien.

 

Comment ne pas être d'accord avec l'auteur quand il écrit: Le milieu technopolitique choisit toujours la sécurité contre la liberté, la trouille contre l'envie... ?

 

Pour abroger les ZFE qui sont des atteintes à la dignité des classes populaires, les gueux vont devoir se battre. Ils auront pour alliés les maires et les conseillers municipaux des 36'000 petites et moyennes communes (La déconnexion n'a frappé que certains maires de très grandes villes.Une quinzaine d'aberrants.):

 

Tout le monde sait désormais que la révolte gronde. D'un côté le peuple exclu ne peut changer de voiture et doit bien aller travailler. De l'autre, les partis mouillés jusqu'au cou ne peuvent renoncer.

 

Il faudra bien que la France populaire combatte, car d'autres délires s'amoncellent:

 

  • Les DPE [diagnostics de performance énergétique] empêchent les gens de se loger.
  • Le régime d'autoentrepreneur [est] menacé régulièrement.

Etc.

 

Pour cela il faut qu'elle reprenne la parole, par les référendums, dont le premier aurait pour objet le droit à provoquer un référendum d'initiative populaire à chaque niveau: national, agglomération, communal.1

 

En effet, la démocratie représentative représentant mal, la démocratie directe doit et peut reprendre ses droits.

 

En attendant, l'association 40 millions d'automobilistes a lancé une pétition pour abroger les ZFE, qui peut être signée sur leur site ici ou sur celui de l'Assemblée nationale 2.

 

Francis Richard

 

1 - Comme en Suisse.

2 - Au moment où paraît cet article, 27'904 signatures ont été récoltées depuis le 14 mars 2025 sur les 100'000 requises d'ici le 19 juin 2029 (sic).

 

N.B. L'auteur a un site: Alexandre Jardin. com

 

Les #gueux, Alexandre Jardin, 48 pages, Michel Lafon

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Laissez-nous faire!, Robert Laffont (2015)

Le roman vrai d'Alexandre, Éditions de l'Observatoire (2019)

Française, Albin Michel (2020)

Frères , Albin Michel (2023)

 

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27 février 2025 4 27 /02 /février /2025 20:20
L'ère de la flemme, d'Olivier Babeau

L'effort n'intéresse plus. Il n'est plus donné en exemple, ni inscrit au nombre des valeurs qui compte. On lui préfère les vertus égalitaristes de l'humilité et de la passivité. On ne salue plus le héros mais la victime.

 

Plus loin, dans son introduction, l'auteur donne un exemple significatif:

Si l'on écoute les grands débats sur les impôts ou la retraite, on a parfois l'impression que le but essentiel de tout citoyen est de parvenir à capter les prébendes généreuses de la redistribution, durant la vie active ou la retraite. Chacun compte sur le travail des autres beaucoup plus que sur son propre travail.

 

Une dernière phrase que n'aurait pas désavoué Frédéric Bastiat qui disait déjà dans Les harmonies économiques (1850):

L'État, c'est la grande fiction par laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde.

 

Olivier Babeau définit l'effort en ces termes:

C'est le moyen par lequel on change. L'effort est la solution à la tension entre le nécessaire et l'idéal. Autrement dit, entre ce qui suffit et ce à quoi on aspire.

 

Ceux qui nous ont précédé sur Terre ont fait des efforts prodigieux pour accomplir les progrès techniques dont nous bénéficions aujourd'hui.

 

Pourquoi les ont-ils fait? Pour satisfaire à trois catégories de besoins qui peuvent se résumer à trois verbes: 

  • survivre (le monde est hostile), 
  • appartenir (l'homme ne vit pas seul), 
  • s'accomplir (tout n'est pas utile).

 

Or aujourd'hui:

  • survivre n'est plus un exploit, grâce à l'industrialisation, qui a, notamment, permis une baisse du temps de travail, de la précarité et de la pénibilité,
  • appartenir n'est pas difficile, grâce à l'État-providence, qui permet le moindre effort,
  • s'accomplir n'est plus de mise, grâce aux addictions (l'image tue le texte et le temps long) et à l'hédonisme, qui ont substitué le laisser-aller au savoir-vivre: toutefois plus la vie est facile, plus les difficultés qui restent nous semblent insurmontables...

 

Un autre pas risque d'être franchi dans la facilité avec l'intelligence artificielle générative... Ce qui est à craindre alors, c'est que le choix des machines remplace le nôtre.

 

C'est surtout, d'après l'auteur, depuis une vingtaine d'années que, à l'issue d'un long processus, l'effort a perdu sa place centrale qu'il occupait dans la société.

 

Il en rend également responsables:

  • La perte des grands buts collectifs d'hier, tels que les préceptes divins et le service de la patrie, ce qui a favorisé l'extension d'un individualisme farouche 1,
  • Les récits de la déconstruction qui ont délégitimé les hiérarchies,
  • L'inversion des exigences, la société devant s'adapter à toutes les lubies, aux moindres sensibilités.

 

Olivier Babeau se livre cependant avec réticence à un discours de déclin. Mais il est réaliste, ce qui ne l'empêche pas d'être optimiste:

Si l'Histoire nous apprend quelque chose, c'est bien qu'il n'y a pas de fatalité à la mort des civilisations.

 

C'est pourquoi il conclut son livre ainsi:

Si nous le voulons, l'histoire de la fin de l'effort n'est pas écrite.

 

Francis Richard

 

1 - L'État-providence, à mon sens, en est à l'origine, avec ses redistributions qui détruisent les solidarités naturelles.

 

L'ère de la flemme, Olivier Babeau, 288 pages, Buchet-Chastel

 

Livre précédent:

La tyrannie du divertissement (2023)

 

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9 janvier 2025 4 09 /01 /janvier /2025 23:30
L'enfant est l'avenir de l'homme, d'Aziliz Le Corre

Après Louis Aragon, Jean Ferrat chantait La femme est l'avenir de l'homme. Une jeune mère de deux enfants, Aziliz Le Corre, chante, elle, aujourd'hui, L'enfant est l'avenir de l'homme.

 

Elle n'est pas dans le tempo de l'époque: L'humanité n'a plus le coeur à la fête. Car l'humanité ne se voit plus d'avenir et ne voit pas de raisons de se reproduire. C'est du moins ce que l'auteure constate en France.

 

Pourquoi ne plus engendrer?

  • Pour sauver la planète.
  • Parce que les ressources de la terre sont limitées et qu'elle risque d'être surpeuplée.

Ce qui ne signifie pas abstinence sexuelle... mais sans que l'enfant paraisse.

 

D'aucuns, des hommes, sont même favorables à l'instauration d'un permis de procréer, qui se traduirait par un contrôle social à la chinoise et par une atteinte de l'État aux libertés individuelles.

 

Quoi qu'il en soit, pour un certain nombre de femmes qui ne veulent tout simplement pas enfanter, le sauvetage de la planète permet de se donner bonne conscience. L'une d'elles a confié à l'auteure:

Tant mieux si ça sert cette cause.

 

Pour l'auteure la maternité n'est pas une aliénation. Elle renvoie dos à dos les féministes universalistes et les nouvelles égéries:

  • Les premières parce qu'elles voient dans la maternité une construction sociale et qu'elles veulent déconstruire le donné naturel et abolir la différence des sexes.
  • Les secondes parce qu'elles rejouent le mythe de la ménagère moderne, en apparence parfaite, dévouée à leur famille sans jamais s'oublier.

 

En connaissance de cause, elle dit que la maternité est faite de joies et d'émerveillement, qu'elle n'est pas pour autant un chemin bordé de roses.

 

La société est devenue liquide, c'est-à-dire une société où il n'existe plus de structures solides, où le mouvement perpétuel a pris le pas sur le durable:

Tout doit être soumis au choix.

 

Et aux désirs:

La famille a été l'une des structures les plus malmenées par cette volonté de transformer le réel selon ses désirs.

 

Mais dans une telle société, où il n'existe plus de relations d'interdépendance, la relation parent-enfant demeure un des seuls attachements qu'on ne peut briser.

 

L'auteure rappelle que:

  • Être une femme, c'est avoir la capacité d'engendrer dans son propre corps. Quand l'homme engendre dans le corps d'autrui.
  • Être femme est à la fois un donné biologique, mais aussi phénoménologique: transformation du corps tout au long de la vie, révélation de l'autre sexe, apogée de la maternité.

 

Il y a donc bel et bien une différence des sexes. On ne devient d'ailleurs pas parent au même moment:

  • On devient mère dans sa chair avec la grossesse.
  • On devient père par reconnaissance de la mère, avant de reconnaître l'enfant.

 

Dans le cas de l'auteure, le père de ses enfants est associé à l'aventure et à la découverte du monde, tandis qu'elle demeure la matrice accueillante.

 

Pour les deux parents, l'enfant est un surplus de vie! Il [leur] permet de renaître à [eux-mêmes] pour devenir profondément libres.

 

Mieux, l'enfant est le trait d'union entre ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous serons. Il est la seule possibilité d'une renaissance.

 

Elle ajoute: C'est seulement parce que nous pouvons craindre la disparition de l'humanité que s'impose à nous l'évidence de la préserver.

 

Comment exercer cette responsabilité? En transmettant ce cadeau [de la vie] que nous avons reçu - sans le commander.

 

Comment le transmettre, sinon par l'éducation qui ne doit être ni spartiate, ni positive:

Tout parent est un éducateur. Il n'est pas là pour tirer le meilleur de son enfant, mais pour faire jaillir la vie sans la réprimer. Il est celui qui accueille: il répond à l'appel de son enfant et le prend en charge en acceptant de répondre de sa vie.

 

Tout parent doit donc faire de son mieux et apprendre de cette vie qu'il contribue à faire grandir: Éduquer c'est aussi s'éduquer

 

Aziliz Le Corre n'oublie pas ceux qui ne peuvent avoir d'enfant: La fécondité ne se limite pas au fait d'être parent. Elle réside dans le soin et l'attention portés à l'autre: l'accompagnement des jeunes enfants, des personnes âgées, l'éducation, la transmission des savoirs et des savoir-faire.

 

La fécondité peut aussi être spirituelle, en transmettant la vie de l'âme et de l'esprit. Ce n'est pas un "lot de consolation" pour celles qui n'ont pas d'enfant: elle est simplement d'un autre ordre. Et nécessaire. Pour nous tous. À tout âge.

 

La fécondité est indissociable de l'amour, comme l'amour conjugal l'est de l'amour parental:

L'amour est "un". La cellule familiale est ce lieu exemplaire où s'éprouve la communion des personnes, où se conjugue le "Je" et le "Nous". Mais elle n'est pas un absolu, ni un espace clos. Elle est ce lien entre le particulier et l'universel. Aimer, c'est aussi avoir le monde en partage. Anthropologiquement, la cellule familiale est la matrice de notre civilisation.

 

Après avoir rappelé que la famille relève de la nature, plus encore que de la culture, elle conclut:

C'est à nous, désormais, qu'il incombe de perpétuer la civilisation de l'amour que l'Occident a érigée.

L'avenir nous regarde.

 

Francis Richard

 

PS

En fait le livre se termine par une Lettre à une amie qui ne veut pas d'enfant et qui ne sera peut-être jamais mère, mais qui est féconde et se réalisera sans doute autrement.

 

L'enfant est l'avenir de l'homme, Aziliz Le Corre, 256 pages, Albin Michel

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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3 janvier 2025 5 03 /01 /janvier /2025 23:45
La vertu dangereuse, de Julia de Funès

"Vice" signifie pour Mandeville "tout ce que, sans égard pour l'intérêt public, l'homme commet pour satisfaire un de ses appétits [,et] vertu [...] toute action dans laquelle l'homme allant contre l'impulsion naturelle s'efforce de faire du bien aux autres ou de vaincre ses passions par une ambition rationnelle d'être un homme de bien".

 

Le sous-titre du livre est éloquent: Les entreprises et le piège de la bien-pensance. Il s'adresse aux acteurs des entreprises françaises, mais pas seulement.

 

Julia de Funès déjoue ce piège en trente-cinq chapitres. Comme elle en avertit le lecteur, chacun d'entre eux est une dialectique en trois temps:

 

  • Le temps de la doxa.
  • Le temps de l'analyse critique.
  • Le temps d'une suggestion libératrice.

 

Dans son introduction, elle explique ce que son livre propose:

 

Il ne s'agit pas de critiquer pour s'opposer, mais de libérer pour sortir du politiquement correct et éviter de substituer à la réflexion l'expression vindicative de l'opinion majoritaire.

 

Les thèmes, qui sont abordés dans l'ouvrage et qui caractérisent la bien-pensance, donneront une idée de la libération à laquelle elle invite le lecteur; celui-ci les reconnaîtra, s'il travaille dans une entreprise atteinte par la moraline ambiante:

 

  • la précaution: elle conduit à l'inaction;
  • le consentement: c'est un mot ambigu;
  • la lutte contre les discriminations: elle peut devenir inquisitoriale;
  • les lois: ce sont les tas... de lois;
  • l'égalité: elle est dévoyée en égalitarisme;
  • la réforme des retraites: si elle est rejetée massivement, le manque de reconnaissance y est pour quelque chose;
  • la procédure: elle dérive en bureaucratisation;
  • l'intelligence collective: le collectif relève du sentiment, non pas de la raison;
  • l'écriture inclusive: la langue y est réduite à un enjeu identitaire;
  • les moments "fédérateurs": ils ne peuvent reposer sur l'identité, mais sur la liberté;
  • la bienveillance: en refusant la confrontation, elle n'aboutit à aucune idée vraie;
  • la transversalité: l'autorité ne soumet pas, mais élève, n'assujettit pas, mais grandit;
  • la visibilité: il faut remplacer la transparence par la confiance;
  • les "éléments de langage": il faut renoncer aux expressions convenues qui sclérosent les esprits;
  • le sens du travail et celui de l'entreprise: le travail et l'entreprise ne sont pas des buts en soi;
  • la transition écologique: l'écologisme n'est pas l'écologie, c'est une idéologie, dont les activistes refusent d'entendre que c'est une chose d'exister, mais un art que de vivre;
  • la post-vérité: le réel existe, il n'est pas un point de vue, n'en déplaise aux relativistes;
  • le manifesting: la seule volonté n'oriente pas la vie, mais souvent une perception involontaire;
  • le développement personnel: les recettes ne permettent pas d'être autonome, ni authentique, au contraire de la compréhension de son environnement qui libère et permet de se rendre actif;
  • les biais cognitifs: la décision authentique, personnelle, singulière, provient rarement de causes rationalisables.
  • le bien-être: il ne précède pas l'action, il en est la conséquence;
  • l'empathie: il faut la remplacer par l'exigence (qui n'est pas incompatible avec la sensibilité), l'effort, le travail;
  • la pensée positive: il faudrait, comme toutes les croyances, qu'elle soit ajustée pour devenir salutaire;
  • le slashing (art de cumuler plusieurs activités professionnelles): le tous azimuts peut donner l'impression d'une grande liberté: mais cette liberté n'est qu'éparpillement;
  • les "talents": on ne reconnaît pas des talents, mais des collaborateurs autonomes;
  • les tests et autres "outils d'aide à la décision": l'analyse ne peut remplacer la rencontre réelle;
  • l'entretien annuel d'évaluation: il ne permet pas d'évaluer qualitativement;
  • les soft skills (agilité, capacité à gérer ses émotions, à travailler en équipe, disposition à gérer les conflits): ils ne doivent pas l'emporter sur l'expérience, l'expertise, le savoir, le savoir-faire;
  • la parité: le problème des femmes n'est pas les quotas ou l'égalité d'accès aux fonctions les plus hautes, mais le cumul de leurs vies professionnelle et domestique;
  • la "posture": l'autorité ne s'enseigne pas, il faut se rappeler que seule la liberté permet d'affirmer une singularité et qu'elle passe par le courage d'être soi-même;
  • les fresques (elles abordent, sous forme de jeux de cartes, les sujets sensibles du moment): plutôt que de chercher à prévoir à partir de diagnostics sous forme de modélisations, il est préférable de s'adapter en privilégiant l'intelligence d'action, le bon sens, le pragmatisme
  • le coaching "professionnel": il ne faut pas prendre les qualités pour des compétences;
  • la gamification: sans tomber dans le management juvénile, il est possible de se confronter avec le réel (ce qui suppose un travail, des lectures, un partage d'expérience etc.) dans la gaieté et la bonne humeur;
  • le sport: il est encensé par la bien-pensance depuis les J.O. alors qu'il incarne tout ce qu'elle réprouve: discipline, rigueur, travail, effort, compétition, temps long, hiérarchie, mérite...

 

L'auteure fustige donc à raison la complaisance coupable du monde professionnel envers cette bien-pensance, ces bons sentiments, cette moralisation.

 

Elle invite à désobéir à ces idées dominantes, à ne pas se soumettre à l'air du temps, à faire preuve d'intelligence critique pour parvenir à plus de liberté, de dignité, de justice.

 

Que Simon Blin ait exprimé sa déception, dans un article du 27 octobre 2024 de Libération, est un bon signe: elle n'a pas raté sa cible...

 

Francis Richard

 

La vertu dangereuse, Julia de Funès, 224 pages, Éditions de L'Observatoire

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14 décembre 2024 6 14 /12 /décembre /2024 00:00
Manifeste pour un érotisme existentiel, de Véronique Caye et Barbara Polla

L'érotisme existentiel cultive l'énergie érotique. Il permet de vivre l'instant, de trouver un état de félicité au sein du réel, quel qu'il soit.

 

Quand on parle d'érotisme, le mot est connoté à la sexualité. Mais les deux auteures entendent par érotisme existentiel un érotisme qui consiste à transposer l'énergie sexuelle - l'énergie du désir - dans chaque instant de la vie quotidienne.

 

Cet érotisme est ancré dans le réel. Il ne s'agit pas de changer le réel, mais de l'accepter tel qu'il est, de l'interpréter chacun à sa façon, mais avec la volonté de lever le voile sur ce qu'il a d'aimable, en faisant appel à l'ensemble de ses sens.

 

L'érotisme existentiel est donc incarné et est amour par essence, dans toutes ses dimensions, puisqu'il s'applique aux êtres, aux choses, aux actions, qu'il se partage avec toute présence et même l'absence, qu'il est en somme ouverture au monde:

 

Il n'aime pas tout du monde, il aime au monde.

 

Ce qui meut l'érotisme existentiel? Le désir:

Il est la vie, il est l'éros qu'il faut aller chercher dans les plus modestes choses, les gestes les plus élusifs, les plus indistincts, à chaque instant.

 

Ce qui s'oppose à l'érotisme existentiel? La norme:

[Il] favorise la désobéissance et en découle; il contient la formidable énergie libérée par la désobéissance; il refuse tout mot d'ordre[...] [Il] ne répond à aucune prescription si ce n'est l'auto-prescription.

 

Ce que permet l'érotisme existentiel? La joie:

La joie n'est pas donnée. Elle est une question de choix, de travail, de décision, de volonté et de posture, au quotidien.

 

Qu'est-ce au fond que l'érotisme existentiel?

  • Une manière de vivre qui exige une réflexion et une évaluation constantes sur nous-mêmes.
  • Un accueil de l'existence de l'autre dans tout ce que le réel de l'autre a d'imprévisible, d'inconnu, de mystérieux, de non-dit.
  • Une philosophie dont le langage est la poésie, qui n'impose rien, qui est ouverture, qui n'est pas l'instrument d'un message autre que lui-même.
  • Un constat que le corps de chacun est son pays, un pays qui accueille qui il veut quand il veut, sans qu'aucune norme ne puisse définir ni contraindre celui qui l'habite: J'existe et je suis un corps au monde, un corps dans le monde.

 

Comment vivre en érotisme existentiel?

  • En faisant un pas de côté pour être dans le mouvement de la vie et pour maîtriser nos fluctuations mentales.
  • En pivotant pour regarder les tragédies qui sont les nôtres sous un angle légèrement différent.
  • En se mettant en mouvement pour parcourir le monde: le voyage est le mouvement de la vie et l'érotisme existentiel, un mouvement perpétuel, en nous et dans le monde, avec des allers-retours du micro au macro, de l'atome au cosmos, du singulier au pluriel, de l'intime à l'infini.
  • En écoutant, ce qui veut dire oui: Si nous ne pouvons rien faire dans l'instant présent, nous pouvons en revanche agir sur ce que nous en ferons dans l'instant d'après.
  • En esquivant, ce qui veut dire non: L'esquive n'est pas lâche. Elle est survie.
  • En abandonnant les choses, autant que faire se peut.
  • En se dissolvant dans le cosmos.
  • En s'accordant à une forme de mystique ancienne, d'avant la religion.

 

Bref l'érotisme existentiel choisit l'émerveillement:

Lorsque l'on prend conscience d'être vivant, alors l'émerveillement devient possible parce qu'il n'est rien d'autre que la reconnaissance du privilège de vivre, dans une gratitude profonde envers la nature, envers la vie et sa puissance, quoi qu'elle nous réserve.

 

Il est difficile de ne pas éprouver un tel émerveillement. Aussi l'érotisme existentiel me paraît-il une condition de vie nécessaire mais pas suffisante pour le chrétien que je suis, qui n'en est pas resté à la mystique païenne à laquelle ce manifeste invite à s'accorder.

 

Dans sa Lettre aux artistes du 4 avril 1999, le pape Jean-Paul II disait de même:

Devant le caractère sacré de la vie et de l'être humain, devant les merveilles de l'univers, l'unique attitude adéquate est celle de l'émerveillement.

 

Mais il ajoutait:

La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance.

 

Et c'est cette absence de transcendance, et de sens, qui me rend aride l'érotisme existentiel.

 

Emmanuel Macron, semble-t-il touché par la grâce, a dit, incroyable mais vrai, lors de La cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024:

Notre cathédrale nous dit combien le sens, la transcendance, nous aident à vivre dans ce monde.

 

Francis Richard

 

Manifeste pour un érotisme existentiel, Véronique Caye et Barbara Polla, 80 pages, BSN Press

 

Livres précédents de Barbara Polla:

Victoire, L'Age d'Homme (2009)

Tout à fait femme, Odile Jacob (2012)

Tout à fait homme, Odile Jacob (2014)

Troisième vie, Editions Eclectica (2015)

Vingt-cinq os plus l'astragale Art & Fiction (2016)

Femmes hors normes, Odile Jacob (2017)

Le nouveau féminisme, Odile Jacob (2019)

La favorite, BSN Press (2022)

 

Livres précédents de Barbara Polla avec Julien Serve:

Ivory Honey, New River Press (2018)

Moi, la grue, éditions Plaine page (2019)

Paul pris dans l'écriture , La Muette - Le Bord de l'Eau (2020)

 

Collectifs sous la direction ou la coordination de Barbara Polla:

Noir clair dans tout l'univers, La Muette - Le Bord de l'Eau (2012)

L'ennemi public, La Muette - Le Bord de l'Eau (2013)

Éloge de l'érection, La Muette - Le Bord de l'Eau (2016)

F... moi la paix..., La Muette - Le Bord de l'Eau (2024)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

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