Comment le Pacte bourgeois a enrichi le monde.
Tel est le sous-titre de la thèse de Deirdre McCloskey et Art Carden.
Le fait est qu'il s'est produit un enrichissement spectaculaire de l'humanité depuis deux siècles:
Après 1800 environ, un tsunami d'améliorations a déferlé sur l'Occident, puis sur une grande partie du reste du monde.
Cet enrichissement est scientifiquement indubitable:
L'ampleur de l'amélioration [...] se situe entre 1'000 et 10'000% - selon les lieux où elle est mesurée et les critères d'améliorations retenus.
Et il devrait se poursuivre:
Le monde continue de s'améliorer. Laissons-le faire, sans nous laisser envoûter par un pessimisme qui n'a rien de scientifique.
LES FAITS CONTREDISENT LE PESSIMISME
Il y a deux modèles de société:
- Le modèle libéral: il a effectivement rendu les gens riches, libres et respectueux d'eux-mêmes.
- Le modèle étatiste: qu'il soit socialiste, fasciste ou populiste, il se traduit par l'imposition de charges à un groupe pour en faire bénéficier un autre et, en fin de compte, à tout le monde, avec pour conséquence de rendre les gens pauvres et serviles.
C'est le premier modèle, celui du Pacte bourgeois, que défendent les auteurs. Il a permis ce qu'ils appellent le Grand enrichissement. Non seulement celui-ci a multiplié les possibilités de se nourrir, mais aussi les sources d'art et de spiritualité.
Ce Grand enrichissement s'est-il fait au détriment de l'environnement? Non, parce que le bilan environnemental 1 s'est amélioré, grâce à la réglementation et aux progrès du commerce.
Ne s'est-il pas fait au détriment des liens sociaux? Non, les vieux liens [ont été] remplacés par des liens nouveaux, infiniment plus nombreux.
Le monde n'est-il pas moins sûr qu'avant? Non, c'est l'ampleur de la couverture médiatique qui donne l'impression que la criminalité est en hausse à l'échelle planétaire 2.
Le Grand enrichissement ne s'est-il pas fait au détriment des pauvres? Non, ce sont eux qui en ont été les grands gagnants: leur nombre a diminué, l'espérance de vie a augmenté, la mortalité infantile a diminué, l'alphabétisation a été en plein essor, les conditions de vie se sont améliorées sans que syndicats et réglementations y soient pour quelque chose.
[Le Grand enrichissement] n'est pas à l'abri d'un revers inattendu, mais les six grandes crises financières 3 qui se sont produites depuis 1800 n'ont pas empêché qu'il se poursuive. Et les auteurs de verser à l'appui de leurs dires, la règle des 72:
Toute chose [...] qui présente une croissance de 1% par an doublera en soixante-douze ans environ.
Mais, pour qu'il y ait croissance, si minime soit-elle, encore faut-il que les participants du système social adoptent une certaine éthique, à savoir que les échanges soient avantageux pour les deux parties et pour le reste de la communauté:
L'éthique comporte trois niveaux: ce qui est bon pour soi, ce qui est bon pour autrui et ce qui favorise la visée transcendante de la vie.
Quel est le meilleur système éthique? L'innovisme libéral.
LES CAUSES DU GRAND ENRICHISSEMENT
Les causes nécessaires du Grand enrichissement, mais insuffisantes, sont des idées géniales:
- les droits de propriété,
- l'éthique du travail,
- la société de consommation,
- la concurrence.
La médecine moderne et la science, qu'il faut distinguer de la technologie à l'origine du bien-être mondial, en sont les produits.
Les causes du Grand enrichissement ne sont ni l'esclavage ni le système impérial: ils ont été pratiqués par maints peuples sans le produire, ou marginalement; ils ont été des fléaux et n'ont pas apporté de progrès économiques.
La thèse des auteurs est qu'avec le libéralisme chacun s'est senti autorisé à tenter sa chance: des milliers d'améliorations ont alors été rendues possibles; les gens ont adopté la dissidence avec modification.
Cette égalité libérale des personnes, les auteurs l'appellent innovisme, qu'ils préfèrent à capitalisme, connoté avec accumulation.
Ce qui nous a rendu riches, ce sont de bonnes et de nouvelles idées en matière d'investissement du capital, de direction de la main d'oeuvre, d'aménagement du territoire, et non les investissements eux-mêmes, aussi nécessaires soient-ils.
Comment en est-on arrivé là en Occident (Nord-ouest de l'Europe et États-Unis)? Les auteurs l'expliquent par quatre facteurs, qu'ils qualifient de heureux hasards:
- la lecture largement diffusée,
- la Réforme rendue possible par la lecture,
- la révolte de la Hollande contre l'Angleterre entre 1568 et 1648,
- la révolution, qu'elle soit anglaise, américaine ou française, en élevant les idées politiques radicales sur la liberté et l'égalité au rang de nouvelle idéologie.
Ni les ressources en elles-mêmes, ni les moyens de transport, ni le commerce, ni les droits de propriété, ni les contrats, ni les lois, ni la frugalité, ni l'accumulation de capital, ni l'école, ni la science (ils ne sont pas particuliers à l'Europe du nord-ouest, ni plus généralement à l'Occident) n'expliquent le Grand enrichissement:
Ce sont l'accumulation d'améliorations et la généralisation de l'ingéniosité humaine, lesquelles sont dues à ce qu'Adam Smith définissait comme un vaste et noble plan d'égalité, de liberté et de justice.
L'élite technique à l'origine de cette accumulation et de cette généralisation se composait de gens ordinaires libérés de la répression qui étouffait alors leurs espoirs:
Cette libération constitue le seul moyen d'obtenir une masse de personnes techniquement qualifiées qui ne visent pas des luxes rares ou des victoires militaires mais des biens ordinaires, utiles en temps de paix au commun des mortels.
CONCLUSIONS
Le Pacte bourgeois est une pièce en trois actes:
Acte I: permettre aux gens ordinaires d'acheter à bas prix, de vendre à prix fort, d'imaginer des améliorations.
Acte II: permettre à d'autres acteurs d'investir le marché et de faire concurrence.
Acte III: constater, une fois le calme revenu, le Grand enrichissement de tous.
Il a au cours des siècles été en concurrence avec quatre autres pactes:
- Le Pacte aristocratique, ou extorsion contre protection,
- Le Pacte bolchevique, ou chacun selon ses besoins, i.e. remise de tous les biens au Parti qui décide de leur distribution,
- le Pacte bismarckien, ou État-providence, i.e. invitation à renoncer à être adultes pour devenir enfants de l'État,
- le Pacte bureaucratique, ou amélioration avec autorisation, i.e stagnation technologique due aux milliers de pages de règlements.
Il leur a répondu: Mêlez-vous de vos affaires!
Le Grand enrichissement est finalement dû aux quatre facteurs rappelés ci-dessus, qui ont induit des changements d'éthique, de rhétorique et d'idéologie, et ont conduit à la Revalorisation bourgeoise, i.e. la revalorisation du commerce et de l'amélioration.
[Le Pacte bourgeois] s'est lentement étendu à toutes les classes sociales, et a été protégé en partie des autres pactes - l'aristocratique, le bolchevique, le bismarckien et le bureaucratique - par le libéralisme et l'innovisme chez les roturiers.
Les auteurs recommandent, à raison, de lire la Théorie des sentiments moraux, la théorie éthique d'Adam Smith:
Sur les sept vertus principales que sont le courage, la justice, la tempérance, la prudence, la foi, l'espérance et l'amour, il retient les trois premières et un soupçon de la dernière.
Le lecteur comprend alors que le libéralisme n'est pas ce qui en est dit: il est la théorie de l'âge adulte, tandis que le nationalisme, c'est le père, et le socialisme, c'est la mère.
Ils concluent:
Nous devrions tous aspirer à être des adultes libres - des adultes éventuellement protégés par un État modéré (contre une invasion du pays voisin, par exemple, ou contre une épidémie de Covid-19 4), des adultes éventuellement taxés (en vue de financer, par exemple, un filet de sécurité efficace aidant les pauvres et handicapés), mais, par-dessus tout, des adultes laissés libres d'entreprendre. Ce qui est, après tout, la définition même du Pacte bourgeois.
Francis Richard
1 - Les auteurs ne mettent pas en doute, à tort, que le réchauffement climatique soit d'origine anthropique, mais sont convaincants quand ils disent que, si la réduction des émissions de carbone se traduisait par une réduction de 20% du revenu mondial par tête, il y aurait encore une jolie somme à dépenser pour améliorer nos émissions, et transformer la vie des pauvres à l'échelle de la planète.
2 - Le monde est peut-être plus sûr à l'échelle planétaire, mais la sécurité se dégrade en certains lieux, et ce n'est pas un sentiment.
3 - 1848, 1916, 1933, les années 1970, les années 1990, 2008.
4 - Dans bien des pays, l'État ne s'est pas montré modéré pendant cette épidémie et leurs habitants en payent toujours les conséquences ...
Laissez-moi faire et je vous rendrai riche, Deirdre McCloskey & Art Arden, 312 pages, éditions markus haller (traduit de l'anglais par Patrick Hersant)