Ce soir, pour sa première rencontre du lundi soir de l'année 2016,
dans la clinique lausannoise, Sylvie Blondel y a passé neuf jours aux soins intensifs. Neuf jours? Comme le nombre de jours d'agonie du héros de son roman, Jean-Philippe Loÿs de Cheseaux. La différence de taille est que, fort heureusement, elle n'y est pas restée et... qu'elle est restée parmi nous.
Cette expérience récente, elle l'a vécue avec calme, avec sérénité. Elle a demandé à sa douleur d'être sage, de manière toute baudelairienne. Elle a pris de la distance avec elle-même. A aucun moment elle ne s'est dit qu'elle allait mourir. Pour elle, mourir dans une heure, dans un mois, dans un an, dans cinquante, cela n'est pas important: il n'y a pas de temps.
Si Sylvie Blondel, aux multiples facettes, s'est mise dans celle d'un homme, qui plus est un astronome, c'est qu'elle s'est renseignée. Un roman a plus de chance de succès si son héros est masculin et la règle vaut a fortiori si l'auteur est une romancière. Et puis quelqu'un lui a fait remarquer que ses nouvelles du
étaient exclusivement des histoires de femmes...
A-t-elle donc eu du mal à se mettre dans la peau d'un homme (il faudrait même dire de deux hommes)? Non pas. Il faut dire qu'aussi bien Hector Lenoir, l'écrivain désoeuvré, en mal de sujet de roman, que Cheseaux, le savant du XVIIIe, sont des personnages à forte part féminine, d'une grande sensibilité et qu'ils n'ont rien, ni l'un ni l'autre, du macho.
Hector Lenoir, voilà un nom de fiction tout trouvé pour quelqu'un qui, dans le roman, s'intéresse à la nuit, dont Cheseaux a exploré l'immensité dès le plus jeune âge. Sylvie Blondel a appris récemment qu'Hervé Guibert, compagnon de Michel Foucault, se cachait sous ce nom d'Hector Lenoir dans son autofiction A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie. Elle précise que c'est pure coïncidence.
L'une des nouvelles du
se passe en Argentine, chère à Pierre Fankhauser. L'héroïne a été inspirée à l'auteur par une amie colombienne, laquelle a connu des affres similaires dans son pays et vit aujourd'hui en Espagne. En décidant de transposer son histoire en Argentine, qu'elle connaît et où elle a séjourné, Sylvie Blondel s'est rendu compte que c'est au fond à cette amie qu'elle doit son entrée en écriture.
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Sylvie Blondel a beaucoup voyagé quand elle avait vingt ans, notamment en Inde. Là-bas, au contact de la misère, elle a connu ce qu'elle appelle une dissolution de son ego. Elle a réalisé qu'elle était une petite chose et que, sur cette terre, il lui fallait faire preuve d'humilité. Mais, elle a appris assez vite, par la suite, qu'il était possible à partir d'une petite chose d'en faire de grandes, du moins de tenter de les faire.
A vingt ans également, elle s'est trouvée dans l'impossibilité de dire oui à une demande de mariage de la part de celui qui se prénomme Stavros dans l'une de ses nouvelles. Si elle lui avait dit oui, sa vie aurait certainement été toute autre. Elle aurait peut-être tenu un restaurant sur une île grecque. Elle aurait peut-être été mère de famille. Elle n'aurait pas écrit... Mais elle pensait que d'autres opportunités se présenteraient, qu'elle avait toute la vie devant elle.
Quoi qu'il en soit, Cheseaux, le héros de son roman, est en quelque sorte son double imaginé. Comme elle, il est pédagogue: il essaie de faire partager ses lumières en matière d'astronomie aux paysans du coin; elle a enseigné à des adolescents pendant plus de trente-cinq ans. Comme lui, elle est en quête de vérité: l'important n'est d'ailleurs pas de trouver la vérité, mais de la chercher... Pour cela, il faut distinguer croyance et savoir.
Comme Cheseaux, comme ses neveux et nièces, comme les enfants quand on leur permet de s'exprimer, elle se pose des questions métaphysiques, des questions toutes simples auxquelles il est difficile de répondre telles que: "Que faisons-nous sur terre?", "Avons-nous demandé à naître?", "Qu'est-ce qui est important dans la vie?", "Faut-il vivre peu de temps mais intensément, comme la comète Cheseaux, mort à 33 ans, ou, au contraire, vivre longtemps, gentiment?" etc.
Elle se les pose ces questions et, devenue écrivain, elle sait que c'est le moyen qu'elle se donne pour explorer tous les possibles. N'est-ce pas, finalement, la mission de l'écrivain?
Dans Le fil de soie, la dernière nouvelle se termine par ce passage, que cite Pierre Fankhauser en conclusion:
Blaise 1a dit: quand tu aimes il faut partir.
Maintenant j'aime et je ne veux plus partir.
Dans mon bain tiède aux huiles essentielles, je me dis qu'un jour, je ne voyagerai plus ou alors je partirai mieux.
Le vrai voyage est à venir.
Voyager et m'en souvenir quand je serai bien vieille. Puis un jour, il sera temps de lever l'ancre. Je ne m'emporterai pas avec moi.
Francis Richard
1 Blaise Cendrars, qui a moins bourlingué qu'il ne le prétend...