Surgi du fond des âges comme un guide ancestral, Jacob m'a accompagnée sur mon chemin, le temps qu'émerge ma force. [...] Jacob nous précède, son histoire nous bouscule aux points sensibles, pose des repères, invite à grandir sans cesse.
Dans cette oeuvre au noir, Laurence Verrey raconte des moments de la vie de Jacob, parallèlement aux siens, tous moments dont elle aura mis plus de vingt ans à écrire le récit, que le désir de fête illumine:
Repris de multiples fois, à des années d'intervalle, laissé en friche, repris à nouveau. Le délaissant pour des poèmes, pour des oeuvres moins prenantes, plus simples peut-être.
Ces temps, elle a éprouvé le besoin de mettre un terme à cette tentative d'écriture: elle a estimé c'était le bon moment de transformer l'essai, sans en être complètement sûre. Le lecteur ne s'en plaindra pas.
L'exemple de sa mère qui a renoncé à la musique, à sa vie d'artiste, par devoir, aura été une leçon secrète pour elle. Aussi n'a-t-elle pas, elle, renoncé à l'écriture, rompant avec sa lignée de femmes soumises:
Le cours de l'Histoire a voulu que Mai 68, le mouvement hippie et de libération de la femme croisent mon chemin à mes quinze ans.
Pour elle, l'écriture, au début, c'était une jouissance, mais ce n'était pas la joie. Car elle a commencé à écrire clandestinement, le cachant, comme des amours secrètes, tremblante d'être démasquée. C'était vital:
Je prends conscience que l'écriture, la lutte pour conquérir la parole est pour moi acte de salut. Qu'il en va de ma vie même.
De l'offense faite par Jacob à Ésaü, de sa propre expérience, elle sait que nous ne naissons pas dans l'égalité, mais dans la différence; de leur réconciliation, qu'il est possible d'être sauvés de l'altération de l'être.
Sans doute son énergie l'a-t-elle puisée dans ces versets de la Genèse où Jacob se bat avec un homme pendant toute une nuit. Lutter avec l'ange - l'homme est en fait un ange1 - lui enseigne ce qu'est la vraie vie:
La vie est une aventure risquée, qui va de lutte en lutte, sans défaite ni victoire parce que toujours recommencée, un incessant corps à corps avec l'adversité.
Mais nous ne sommes pas tous seuls. À condition de ne pas se résigner et de continuer à lutter, une présence nous rend puissants et, dans son cas personnel, lui maintient le désir d'écrire et lui libère la parole:
Le divin est à nos côtés, il est de plein corps dans l'avancée. Saisir sa force est une grâce, nous sommes accompagnés, entraînés avec lui dans la danse sacrée.
Francis Richard
1 - L'ange représente Dieu et donne à Jacob le nom d'Israël qui signifie celui qui lutte avec Dieu.
Lutter avec l'ange, Laurence Verrey, 176 pages, Bernard Campiche Editeur
Un livre précédent:
La beauté comme une trêve, 88 pages, L'Aire (2016)