3 décembre 2012, l'association littéraire Tulalu organise une soirée de rencontre captivante avec Louise Anne Bouchard, en présence de Marius Daniel Popescu., qui lui fait tant d'effet.
A l'issue de cette séance de lectures, de musiques et d'échanges, une partie des participants, six d'entre eux en fait, termine cette soirée mémorable à boire de l'humagne rouge dans le cadre du Lausanne-Moudon, sis à la place du Tunnel de la capitale vaudoise.
Giuseppe Merrone est l'éditeur de Léman noir. Il est assis en face de votre serviteur et lui tend amicalement un exemplaire de ce livre qui vient tout juste de sortir en librairie.
Un peu moins de deux semaines plus tard je me plonge dans l'ouvrage, tandis que les rives du Léman noir, que j'aperçois à travers les branches des arbres de mon jardin, se blotissent dans le manteau neigeux qui se tisse dans le soir.
Il faut bien ce contraste que m'apporte cette blancheur ouatée pour ne pas sombrer complètement dans les noirceurs que dissimulent le lac tout proche et surtout les textes des auteurs de ce recueil au thème insolite.
Même s'ils ont leur part d'ombre, ceux que je connais parmi ces auteurs sont pourtant plutôt lumineux d'ordinaire. Mais il faut croire qu'il est possible, comme le dit Marius dans son introduction, quand l'occasion se présente, de "faire apparaître, concentrer et cristalliser ce qui était enfoui ou dilué: le non-dit, le secret, l'héritage maudit, les hontes et les rancoeurs".
Le recueil commence par une nouvelle de Louise Anne Bouchard et se termine par une nouvelle signée Jean-Louis Kuffer, qui ont choisi tous deux de faire jouer à leurs personnages des rôles de composition qui ne leur sont pas coutumiers.
Louise Anne raconte en effet l'histoire d'une infirmière anesthésiste, frontalière, enceinte de deux mois, qui lors d'une traversée de Thonon vers la rive suisse, pète les plombs et en criblent tous les passagers qui bougent autour d'elle.
Jean-Louis narre l'histoire de Blacky, un africain, noir de peau, qu'un critique littéraire - avec lequel toute ressemblance avec une personne réelle serait purement fortuite -, aide à passer de la réalité à la fiction en se faisant envoyer par lui ad patres.
Dix-huit autres nouvelles, écrites par dix-neuf autres plumes (l'une d'entre elles est écrite à quatre mains) ne laissent pas davantage respirer le lecteur dans l'intervalle. Elles se passent toutes avec pour toile de fond le lac Léman, dont les eaux semblent dormir, ce qui devraient pourtant susciter la méfiance.
Tentons la gageure de résumer en une phrase chacune de ces nouvelles écrites par des auteurs confirmés, qui se confirment ou qui
viennent de naître, mais qui sont tous connectés à cette région lémanique que j'aime et qui m'a vu devenir homme.
Les mains d'un garde du corps de Mobutu, qui avoue qu'elles ont déjà tué, font des vendanges en Lavaux avec délicatesse (Lavaux-Kinshasa, Daniel Vuataz).
Un braqueur venu de banlieue parisienne pour opérer à Genève s'extasie "devant les plaques d'immatriculation classe comme si chaque Suisse faisait partie du corps diplomatique" (Réinsertion sociale, Jean Chauma).
Deux frères enterrent une deuxième fois leur troisième frère premier né, à la vie écourtée (Frères de sang, Jérôme Meizoz).
A la suite d'une bagarre Tony tue Bruno qui le raillait de se l'être fait mettre et demande à son ami Max de l'aider à l'envoyer dormir avec les poissons du lac (Amis pour la vie, Vittorio Illustrato).
Une âme charitable propose le grand bleu sans retour dans les profondeurs du lac aux vrais désespérés de la vie (La traversée, David Collin).
Chloé et Micha attendent qu'une vieille crève pour occuper son appartement et, le jour venu, Chloé se fait faiseuse d'ange dans sa salle de bains (Parole d'ange, Claire Genoux).
Une adepte des promenades au bord du Rhône, qui s'entraîne dans un club de boxe de quartier, se dispute vraisemblabement avec celui qui partage sa vie, qui se retrouve allongé dans la cuisine, sans qu'elle ne sache ce qui s'est passé (Le fleuve, Anne Pitteloup).
Charlie, fan de tennis, demande à Chantal moribonde ce qu'elle a bien pu faire de sa casquette rouge de Federer...(La casquette rouge de Federer, Virginie Oberholzer).
Catherine Chappuis apprend qu'Alba a tué sa soeur Rosa parce qu'elle était belle et se demande si sa mère n'a pas fait de même avec sa propre soeur (Alba et Rosa, Laure Mi Hyun Croset).
Un détective débutant - c'est l'histoire la moins noire - est couvert de lauriers par ses premiers clients alors que seule une chance improbable et insolente lui a souri (La lumière, Alain Bagnoud).
Une victime d'un vol dans un train se sacrifie pour que son voleur habile se fasse enfin prendre (Le troisième sac,
Pierre Fankhauser).
Une rencontre virtuelle sur internet devient réelle, mais ne correspond pas aux attentes de l'internaute qui, après avoir ébauché une caresse, écrase le larynx de sa correspondante (La valse à trois temps, Dominique Brand).
Cet homme se comporte mal systématiquement partout où il passe, façon de se soulager aux dépens des autres (Hygiène, Noémi Schaub).
Un meurtrier en série sème la peur dans la région et écrase le visage de ses victimes (La brute du Léman, Carole Dubuis et Stéphanie Klebetsanis).
Un échange de lettres entre le grand-oncle et la grande-tante d'Elodie lui révèle que son grand-oncle a protégé sa grande-tante en lui donnant la mort, classée par un non-lieu (Noir Léman, Myriam Moraz).
Réfugié dans un chalet pour y résoudre une énigme du passé, il écrit deux lettres à sa soeur pour lui expliquer sa démarche, puis une lettre à son frère pour lui dire, une fois l'énigme résolue, qu'il pourrait maintenant se réjouir de sa propre agonie (L'homme de pierre, Raphaël Baroni).
Dans un night-club du vieux Lausanne, pendant des heures, Yvan et François jouent au gendarme et au meurtrier, dont la victime serait la femme du second, jeu très révélateur (Le jeu, Fred Valet).
Elle a écrit l'histoire d'un amour qui s'achève mortellement dans une chambre de l'Hôtel du Lac et lui, qui lui a inspiré cette
histoire, se dispute avec elle jusqu'au moment où cette fiction devient réalité (Chambre 204, Sandrine Fabbri).
Marius aime le noir. Mon père ne l'aimait pas. Il ne me déplaît pas, à condition qu'il soit associé à d'autres couleurs. Tout le monde ne réagit pas de la même façon devant le noir...
Quoi qu'il en soit, je comprendrais que devant tant de noirceurs, qui pourraient bien être autant d'exutoires pour leurs auteurs, le lecteur veuille finalement partir à cheval sur le vin, de préférence de l'humagne, avec une âme soeur, pour le pays qui leur ressemble, c'est-à-dire un peu moins sombre, en tout cas au moins un peu plus clair...
Francis Richard
Léman noir, nouvelles indédites réunies par Marius Daniel Popescu, 224 pages, BSN Press