Mon père avait raison. Ce sont ces quatre mots qui me viennent à l'esprit quand je pense à mon père mort il y a tout juste trente ans, le 5 novembre 1983.
Mon père avait raison de m'envoyer avec ma mère au Pays-Basque, trois semaines après ma naissance dans le plat pays qui est le mien et celui de Jacques Brel. Il m'a sauvé la vie.
Mon père avait raison de rire en lisant un de mes premiers poèmes, écrit à douze ans et intitulé Le soir. Il m'a permis de comprendre que je serai toujours un piètre poète, incapable d'émouvoir.
Mon père avait raison de me faire quitter à quatorze ans Notre-Dame de Boulogne pour terminer
mes études secondaires au Lycée Henri IV. Il m'a permis de côtoyer l'élite et de subir l'intolérance réservée aux talas par les autres... Ce qui m'a donné de la
graine.
Mon père avait raison en 1968 de m'expédier hors de France, où je m'opposais à tout le monde, et de me permettre de poursuivre des études supérieures à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Il m'a ainsi permis d'acquérir de la rigueur intellectuelle et, longtemps après, de devenir suisse.
Mon père avait raison de m'apprendre la vie professionnelle à ses côtés et de me confronter à la réalité du monde. Il m'a ainsi
permis de ne pas être utopiste.
Mon père avait raison de me donner le goût des belles lettres et du théâtre. Il m'a ainsi permis de continuer à avoir envie de vivre les quelques temps qui me restent.
Mon père avait raison de me faire apprécier les bonnes choses. Il m'a ainsi permis de les distinguer des autres.
Mais mon père n'avait pas raison au sens que Sacha Guitry donne à sa pièce. Il ne m'a pas appris la futilité. Elle fait heureusement partie de ma nature et... il m'en aura plutôt écarté pendant longtemps.
Habitant à côté, rue de Tocqueville, j'ai eu le privilège de voir cette pièce au Théâtre Hébertot, cinq ans avant la mort de mon père.
Paul Meurisse, qui devait mourir sur scène, peu de temps après, en jouant cette pièce, y tenait le rôle de
Bellanger père puis de Bellanger fils. Il était à quelques années près contemporain de mon père. Il lui ressemblait un peu et, surtout, son timbre de voix était similaire.
Charles Bellanger, fils d'Adolphe Bellanger, se rend compte que son père avait raison et que la futilité est encore ce qu'il y a de plus précieux quand on est au soir de sa vie:
"Par raison, par devoir, je n'ai pas utilisé tout ce qu'il y avait en moi... de jeunesse..."
Il compte bien dès lors se rattraper. C'est ce que je m'efforce de faire maintenant à mon tour...
Francis Richard