Ce soir,
obturé à l'est par un glacier et à l'ouest par un lac"...
dit en effet de ce Haut Val qu'il est "
Pourquoi Jérôme Meizoz a-t-il écrit ce livre? Parce qu'il a été choqué il y a maintenant vingt-cinq ans par le surgissement de la violence dans son pays qui, en principe, est un Etat de droit, où les arguments devraient s'échanger par des paroles et non pas des coups être donnés.
Or, à l'époque, un brillant et jeune militant écologique de ses amis a été passé à tabac par trois individus qui l'attendaient à l'extérieur de son chalet. Cette agression a alors marqué les esprits, mais la justice n'a pas été rendue pour autant. L'affaire a été classée sans suite, lui laissant un goût amer.
Jérôme Meizoz s'est promis un jour de ne pas laisser cette affaire tomber dans l'oubli. Son livre n'a pas l'ambition de la résoudre. Il se veut surtout tenue d'une promesse, rupture de l'omerta qui enveloppe cette région clanique, où, à la différence de la Sicile, il n'y a pas de repentis...
Jérôme Meizoz n'appartient pas à un clan. Sans en souffrir, il a bien compris que, de ce fait, on ne lui dit pas tout, qu'il est en marge, même s'il est bien de la région. Cette marginalisation, due à son milieu - un milieu de syndicalistes, d'ouvriers, d'employé des CFF -, le prédispose à l'observation.
Dans ce roman inspiré d'un fait réel, l'écrivain, élève de Pierre Bourdieu, observe les structures sociales secrètes de sa région, dominée par ce qu'il appelle le Parti unique et le Quotidien unique. Le "refuge brun", dont l'Eglise s'est faite complice, participe de cette toile de fond valaisanne qu'il tisse.
Près de vingt-cinq ans ont donc passé. Le narrateur prend de la distance. Il tutoie le jeune homme écolo-spiritualiste qu'il a été. Il le fait tantôt avec nostalgie, tantôt avec ironie. Sans se renier, il se fait volontiers ironique quand il considère sa naïveté d'alors, que l'attentat contre son ami a mise à mal.
Lisant un extrait, dans lequel Jérôme Meizoz se met à la place des paysans du Haut Val, Jean-Luc Borgeat prend naturellement l'accent de là-bas, tant le texte de Jérôme Meizoz l'y invite et lui rappelle qu'ils ont tous deux grandi dans le même village, Vernayaz, près de Martigny, où Jérôme Meizoz est né.
Cet accent, ils le perdent, l'un comme l'autre, une fois franchie la frontière du Valais avec le monde extérieur. Il revient tout naturellement dans leur bouche quand ils y retournent. Jérôme Meizaz, qui l'a quitté pour faire des études, dit joliment de l'accent, quel qu'il soit, que c'est du "temps incorporé"...
Jérôme Meizoz a connu à plusieurs reprises "le sentiment océanique", ce court instant de ravissement devant la nature et la beauté des paysages. Son grand-père, qu'il n'a pas connu, pouvait-il avoir le même rapport que lui avec le monde alentour, lui pour qui, vraisemblablement, il était, avant tout, cadre de vie?
Comme le fait remarquer Jean-Luc Borgeat, peut-être que le grand-père de Jérôme Meizoz aurait eu en l'occurrence la même incrédulité que ces pêcheurs de Bretagne qui virent pour la première fois des touristes entrer dans la mer, cette mer qui, pour eux, était un élément redoutable, cette mer qui prend l'homme...
Francis Richard
Derniers livres de Jérôme Meizoz parus chez Zoé:
Séismes (2013)
Haut Val des loups (2015)