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2 novembre 2017 4 02 /11 /novembre /2017 23:55
Camus - Dire Noces, avec Michel Voïta, à l'Oriental-Vevey

Dire Noces, d'Albert Camus, avec Michel Voïta, est un spectacle, soutenu par la Fondation Marcel Regamey et créé les 28 et 29 janvier de cette année au TKM, qui l'a coproduit avec le Théâtre Adélie 2. Ce soir, à 20 heures, le théâtre Oriental-Vevey le redonnait, après l'avoir mis à l'affiche les 25 et 26 février.

 

Michel Voïta est seul sur scène pendant un peu plus d'une heure. Et il dit donc des textes tirés du recueil Noces, écrits en 1936 et 1937 par Albert Camus, édités à petit nombre d'exemplaires en 1938 à Alger, puis un texte de 1940, enfin un autre de 1952, deux textes qui ne font pas partie du recueil mais en prolongent l'esprit et l'actualisent.

 

Le décor est simple: une chaise et une table. Michel Voïta est habillé d'un imperméable beige qu'il met en entrant, qu'il enlève pendant la plus grande part de son monologue et qu'il remet à la fin. Sinon il porte un élégant pantalon gris aux plis impeccables, une cravate de même couleur et une chemise blanche au col déboutonné.

 

Peut-être faut-il dire que Michel Voïta vit ces textes plutôt qu'il ne les dit, parce qu'il donne l'impression qu'Albert Camus ne les aurait pas mieux dits que lui. C'est au fond comme s'il s'identifiait vraiment à l'auteur de L'Homme révolté et faisait sienne sa philosophie de la vie, ce qui, après tout, n'est pas exclu.

 

Michel Voïta vit tellement ce qu'il dit que, par exemple, lorsqu'il parle de la mer dans laquelle Camus plonge à Tipasa, le spectateur le voit comme s'il y était, aidé dans sa visualisation de la scène par les mouvements que Voïta imprime à ses bras, tel un crawleur en train de fendre l'onde, avec bonheur:

 

Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque...

 

Le même spectateur le voit tout autant quand il s'attable avec des amis dans la salle pleine d'ombre d'un petit café au bord du port:

 

Le visage mouillé de sueur, mais le corps frais dans la légère toile qui nous habille, nous étalons tous l'heureuse lassitude d'un jour de noces avec le monde.

 

On mange mal dans ce café, mais il y a beaucoup de fruits - surtout des pêches qu'on mange en y mordant, de sorte que le jus en coule sur le menton.

 

Certes les textes de Camus suffiraient amplement au spectateur pour imaginer ce qu'il lui évoque, mais les gestes unis à la parole les renforcent. Il en est ainsi du vent à Djémila, où l'acteur fait tournoyer son bras droit pour en reproduire les effets sur lui:

 

Comme le galet verni par les marées, j'étais poli par le vent, usé jusqu'à l'âme.

 

Parler du vent et du beau temps chez le jeune homme Camus n'est pas fortuit: Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. Et cela se traduit chez lui par quelque chose de profond: Et je n'ai jamais senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde.

 

Le jeune homme Camus, autre exemple, s'étonne de la pauvreté de nos idées sur la mort. Lui, après avoir touché des chiens qu'il a vu mourir, peut dire: Je pense alors: fleurs, désirs de femmes, et je comprends que toute mon horreur de mourir tient dans ma jalousie de vivre.

 

Même si l'on n'adopte pas la philosophie de Camus, on ne peut rester insensible à ce qu'elle révèle de l'homme et de sa passion de vivre. Dans le dernier texte de Noces, Le désert, il éprouve une vérité dans le coeur même de sa révolte.

 

Dans les rues de Florence il a vu, un dimanche matin, des femmes, les seins libres dans des robes légères et les lèvres humides. Dans le cloître d'un couvent de franciscains, à Fiesole, il a vu des petites roses tardives. Dans les cellules des moines, il a vu leurs petites tables garnies d'une tête de mort :

 

Cette splendeur du monde, ces femmes et ces fleurs, il me semblait qu'elle était comme la justification de ces hommes. Je n'étais pas sûr qu'elle ne fût aussi celle de tous les hommes qui savent qu'un point extrême de pauvreté rejoint toujours le luxe et la richesse du monde...

 

Francis Richard

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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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