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17 octobre 2014 5 17 /10 /octobre /2014 16:00
Les demeurées, au théâtre Le Poche, à GenèveLes demeurées, au théâtre Le Poche, à Genève

Paru en 2000, chez Denoël, Les demeurées est un roman fort, écrit dans un style superbe, et poétique, par Jeanne Benameur. Rien, a priori, cependant, ne prédestinait ce magnifique texte à être mis en scène au théâtre.

 

Certes, avant sa création au printemps dernier au Théâtre de Vidy, à Lausanne, dans son adaptation actuelle, il y avait bien eu une installation-spectacle, d'une durée de vingt et une minutes, tirée de ce roman par le Begat Theater, donnée dans huit communes de Haute-Provence, en France, mais le texte n'était pas repris dans sa quasi intégralité.

 

Au Poche de Genève, comme au Vidy de Lausanne, le spectacle dure une heure et quart et peu de coupures du texte, peu d'adaptations ont été effectuées. C'est dire qu'il est on ne peut plus fidèle au roman et à la force des mots vivants employés par Jeanne Benameur. Il y est fidèle à un autre titre. Il garde la forme d'un récit, interprété par les trois comédiennes.

 

Didier Carrier, qui a conçu et mis en scène Les demeurées, a pris ce parti, se refusant à distribuer les rôles des personnages entre les comédiennes, voulant conserver l'effet de surprise originel que procure la progression du récit, dont le début est volontairement lent et confus, comme si l'auteur avait voulu que le lecteur s'installe gentiment dans le livre pour mieux l'habiter.

 

L'idée de reprendre le texte dans sa quasi intégralité vient de l'une des comédiennes, Maria Pérez, séduite par l'engagement de l'auteur, et certainement au-delà de cet engagement par la profondeur humaine que cet écrivain cosmopolite - ce qui est pour moi un compliment - a mis dans ce récit, profondeur qui sublime tous les clivages.

Les demeurées, au théâtre Le Poche, à GenèveLes demeurées, au théâtre Le Poche, à Genève

Les demeurées? Une mère, La Varienne, et sa fille, Luce. Dans leur cas le préjugé s'avère exact: telle mère, telle fille. La Varienne travaille chez Madame parce qu'il faut bien vivre, Luce va à l'école parce que c'est obligatoire: "La mère et la fille, l'une dedans, l'autre dehors, sont des disjointes du monde."

 

L'une comme l'autre ne peuvent pas nommer les choses, elles sont demeurées. Luce va donc à l'école, mais elle se refuse à faire entrer le savoir. Mademoiselle Solange, l'institutrice, celle par qui le savoir arrive, n'en peut mais. Luce demeure abrutie, l'autre mot pour la demeurée qu'elle est, comme sa mère: "Luce n'apprend rien. Luce ne retient rien. Elle fait montre d'une faculté d'oubli très rare: un don d'ignorance."

 

Pourtant, sans qu'elle ne s'en rende compte, les mots pénètrent en elle, malgré elle, et n'en sortiront plus. Luce les chantonne sans en comprendre le sens, mais ils sont là dans un recoin de sa tête, tout prêts le moment venu, à lui faire franchir le seuil du monde, comme le souhaite Mademoiselle Solange.

 

Les choses se précipitent quand cette dernière veut faire écrire par Luce son nom complet, Luce M. Cette tentative se traduit par un échec. Luce s'en va de l'école et n'y retourne plus, au grand désespoir de Mademoiselle Solange, qui ne comprend pas ce qu'elle a bien pu faire:

 

"La Varienne et sa petite Luce peuvent se passer de tout. Même de nom.

Le savoir ne les intéresse pas. Elles vivent une connaissance que personne ne peut approcher.

Qui était-elle, elle, pour pouvoir toucher une telle merveille?"

 

Le pire n'est jamais sûr. Et l'histoire montre finalement que les leçons de Mademoiselle Solange à Luce sont "de drôles de pays restés dans sa tête" et que les mots, même piétinés par Luce sur le chemin de l'école à la maison de rien, où elle habite avec La Varienne, ont "fait leur nid dans sa tête". Le monde va s'ouvrir à Luce sans que  pour autant rien ne puisse la disjoindre de La Varienne.

 

Tour à tour, Maria Pérez et Laurence Vielle font vivre le roman sur scène, dans un décor dépouillé, dans des habits de bure, au mileu d'ustensiles domestiques, susceptibles de résonner (la scénographie et les costumes sont de Florence Magni, la lumière de Danielle Milovic et la réalisation des costumes d'Emilie Revel), et leurs voix ne sont pas désincarnées. Au contraire, leurs voix sont comme un accompagnement musical au chant du texte et aux mouvements très physiques et éprouvants qu'elles ont sur scène.

 

Béatrice Graf, aux percussions, donnant de temps en temps également de la voix, en choeur, ponctue texte, voix et déplacements des deux autres comédiennes en fusion, de notes tantôt dramatiques, tantôt drôlatiques. Car le roman Les demeurées, dans cette interprétation coup de poing, n'est pas que drame, il est aussi rires, quoique parcimonieux.

 

Francis Richard

 

Prochaines représentations jusqu'au 2 novembre 2014:

 

Lundi, vendredi à 20h30

Mercredi, jeudi, samedi à 19h

Dimanche à 17h

Mardi relâche

 

Adresse:

 

Le Poche

Rue du Cheval-Blanc 7

1204 Genève

 

Réservations:

 

www.lepoche.ch

tél: 022 310 37 59

Les demeurées, au théâtre Le Poche, à Genève
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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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