Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 décembre 2015 5 11 /12 /décembre /2015 23:55
Duo-duel, Beyrouth mon amour, à Analix Forever, à Genève

"La guerre embrasa la ville, de la même manière que la mort séduit la jeune fille dans cette peinture sinistre de la renaissance allemande." (Wadi Abou Jmil, Le chantier, Gregory Buchakjian)

 

Gregory fait sans doute allusion à la Danse macabre de Berne de Niklaus Manuel Deutsch...

 

La ville, c'est Beyrouth.

 

Depuis hier soir, à Genève, à la galerie Analix Forever, où avait lieu le vernissage de Duo-duel, Beyrouth mon amour, deux visions de la ville se complètent et s'opposent, celle d'un Libanais, Said Baalbaki, qui vit maintenant à Berlin, et celle d'un Français, Emmanuel Régent, qui vit à Villefranche-sur-Mer.

 

De la ville qui n'aura plus jamais le visage qu'elle avait avant la guerre, Said a choisi de montrer avec chaleur orientale le chantier de la reconstruction, Emmanuel avec souffrance occidentale les stigmates de la destruction. L'oubli et la mémoire en quelque sorte. Et les tensions qui en découlent. Said a dessiné sur pierre et Emmanuel sur papier...

Duo-duel, Beyrouth mon amour, à Analix Forever, à Genève
Duo-duel, Beyrouth mon amour, à Analix Forever, à Genève

Duo? Ils aiment tous deux la ville meurtrie, mais résiliente.

 

Duel? L'un, Said, 41 ans, y a vécu jusqu'à ses 28 ans (ses lithographies sont de 2012 et 2014), l'autre, Emmanuel, 35 ans, embarqué à bord de la goélette Tara, y a fait escale en 2014 (ses dessins au feutre à encre pigmentaire ont été réalisés pendant et après son voyage).

 

Duel? Leurs dessins illustrent chacun un livre sur la ville, Said celui cité plus haut, dont les textes sont de Gregory, Emmanuel un ouvrage intitulé Pendant qu'il fait encore jour, dont les textes sont de lui.

 

Duo? La couverture du livre d'Emmanuel représente la maison où Said habitait. Un reverbère (ou sculpture?) a remplacé l'arbre (un palmier?) que ce dernier voyait de chez lui, m'a dit Chiara Bertini, la collaboratrice de la galeriste...

 

Si l'on trace sur une carte une ligne droite reliant Villefranche-sur-Mer à Beyrouth, elle passe par Naples. C'est justement de Naples qu'est originaire Gianluigi Maria Masucci. Lequel a réalisé une vidéo sur des draps qui sèchent aux balcons de sa ville. Il l'a appelée Déclaration d'amour. Le Vésuve et ses flammes contenues ne sont pas loin...

Duo-duel, Beyrouth mon amour, à Analix Forever, à Genève

Ces draps, filmés d'en bas, ont certainement connu l'amour, dont ils gardent le souvenir froissé, même si d'avoir été lavés en a effacé les traces... A un moment donné, le bruit d'une sirène se fait entendre. On se demande pourtant si le bruit ne vient pas de l'extérieur en ce jour où le niveau de vigilance a été relevé à Genève...

 

Cette vidéo, où des draps ont un ciel bleu, saupoudré de quelques nuages, pour toile de fond, est aussi projetée sur le grand mur d'en face de la galerie, en dessous duquel des gens jouent aux boules avec des queues ivoire sur de verts billards... Cette vidéo, tournée à Naples, aurait pu tout aussi bien l'être dans une autre ville méditerranéenne, par exemple à... Beyrouth.

 

La galeriste, Barbara Polla, invitée l'été dernier à Beyrouth par une femme merveilleuse, qui lui a "ouvert les portes de la ville et de quelques uns de ses secrets", en quelques jours, en est tombée amoureuse, comme du Liban. Elle a d'ailleurs invité ses hôtes à poursuivre et terminer la soirée dans un restaurant libanais tout proche, Roudayna, qu'elle avait réservé pour eux seuls.

 

Les salades et les entrées, qui y ont été servies dans des ramequins, n'étaient-elles pas au-delà des mots? Salade de concombre,youghourt et menthe; salade de lentilles vertes à la crème de sésame et ciboulette; salade de blé vert fumé, tomate, oignons rouges, cumin, citron, huile d'olive; hommos (purée de pois chiche) et tabboulé... De même que les kebbeh servis chauds?

 

"Tous nos mots ne sont que miettes qui tombent du festin de notre esprit." Khalil Gibran

 

Francis Richard

 

Duo-duel, Beyrouth mon amour

du 10 décembre 2015 au 20 janvier 2016

du mardi au vendredi de 14h à 19h

le samedi de 11h à 18h

Analix Forever 2, rue de Hesse, Genève

tél.: +41 22 329 17 09

analix@forever-beauty.com

Partager cet article
Repost0
4 octobre 2015 7 04 /10 /octobre /2015 12:30
Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez

Le 1er octobre dernier, à partir de 18 heures, a eu lieu le vernissage de l'exposition des nouvelles oeuvres de Didier Mouron, à l'espace qui porte son nom. Les oeuvres de ce peintre sont uniques en leur genre puisque, depuis 30 ans, elles sont toutes réalisées au crayon 2B, d'un seul trait d'un seul.

 

L'Espace Didier Mouron occupe une partie de la maison des Mouron. Cette partie qu'ils ouvrent volontiers au public est une manière de village aux murs bruts de pierres. Ce petit village est à la fois lieu de travail et lieu de vie, car il est composé de deux maisonnettes et d'une rue, où se trouvent la terrasse d'un bistrot et la galerie.

 

Le visiteur pénètre donc dans un microcosme inclus dans le monde qu'il vient de quitter. C'est en quelque sorte un premier pas qu'il fait dans un monde recréé de main d'homme, auquel l'art convie et par lequel il témoigne de sa dignité.

Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez

La rue abrite la terrasse d'un bistrot avec ses tables rondes et ses chaises éponymes, mais elle est aussi galerie, dans les deux sens du terme, puisque la prolonge et la surplomble une mezzanine, qui coiffe les deux maisonnettes et à laquelle on accède par un escalier en bois.

 

Didier Mouron, le peintre, oeuvre dans une de ces deux maisonnettes; son fils, Quentin Mouron, le romancier, dans l'autre. Ils peuvent s'y isoler du monde et de leur rue. Mais, quand ils font une pause, ils se retrouvent très naturellement à la terrasse du bistrot. Et cette proximité du père et du fils ne peut pas être sans influences réciproques sur leurs oeuvres.

 

Un coup d'oeil jeté par la fenêtre à l'atelier de Didier Mouron confirme le voyeur qu'il opère sur une planche à dessin et que son atelier est propre en ordre, condition nécessaire pour que les toiles restent immaculées avant que l'artiste ne les peuple de son monde irréaliste et fascinant.

 

Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez

La rue Mouron est un espace d'exposition haut de plafond. Jeudi dernier, comme il faisait cru, des torchères au gaz y étaient allumées et donnaient à ce lieu de vie cette ambiance chaleureuse que connaissent bien les fumeurs en automne et en hiver, sur les terrasses des bistrots où ils sont relégués.

 

Les oeuvres de 2015 sont quelque peu différentes des précédentes. Le titre donné à l'exposition est significatif à cet égard. Si Didier Mouron ne tremble pas quand il dessine, ses dernières oeuvres sont bien des éruptions et des tremblements.

 

Eruptions, elles sont jaillissements de ses rêves et de ses fantasmes, qui offrent, les uns comme les autres, plusieurs niveaux de visions à ceux qui les regardent. Tremblements, elles sont d'un flou artistique et onirique, qui parlent tout autant à l'imagination, comme ce doit être le cas pour l'artiste lui-même.

Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez Tremblements / Eruptions, à l'Espace Didier Mouron, à Giez

Toutes les oeuvres exposées sont protégées par une fine pellicule acrylique. Ainsi les tableaux échappent-ils à la poussière et à tout autre élément extérieur qui pourrait les altérer. Même si ce n'est pas recommandé (cela désacralise), il est toujours possible d'en caressser du doigt la surface.

 

L'encadrement des originaux de Didier Mouron sont désormais lumineux. C'est une nouvelle dimension qui leur est apportée. Cet encadrement en fait ressortir les lignes du dessin et contribue à leur mystère en noir et blanc. Comme, lorsqu'il s'agit de livres, l'objet dans lequel une oeuvre est présentée a son importance.

 

N'est pas non plus gratuit le titre que l'artiste donne à une oeuvre. Il est une indication sur sa signification s'il est toujours loisible de ne pas la suivre. Quoi qu'il en soit, les titres des tableaux de Didier Mouron sont évocateurs et laissent une large place à l'interprétation:

 

Tremblements/Eruptions: Contrariété, Patrimoine, Le Piège, Sens interdit, Héritage ou Rappel de mouvements.

 

Originaux: Eruption (l'affiche en est la reproduction), Energie, Ligne de vie ou Duel.

 

Francis Richard

 

Exposition:

 

Du 2 au 18 octobre 2015, de 16 heures à 20 heures, ou sur rendez-vous.

 

Adresse:

 

Espace Didier Mouron

Chemin des Bruannes, 3

1429 Giez

 

Contact:

 

http://www.totm.ch/

 

Trailer de Dreams of Mouron:

Partager cet article
Repost0
3 septembre 2015 4 03 /09 /septembre /2015 22:55
Exposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/MontreuxExposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/Montreux

Dans le cadre somptueux de la Villa Murillo, où s'est installée la Plexus Art Gallery, à Clarens/Montreux, a lieu ce soir, dès 18 heures 30, le vernissage de l'exposition de Sergej Aparin, ce peintre russe, né en 1961, aujourd'hui en pleine maturité.

 

Comme le rappelle Slobodan Despot dans son magnifique texte du catalogue de l'exposition:

Il était, voici une vingtaine d'années, l'un des astres les plus brillants de la constellation réunie par le regretté Etienne Chatton dans son Musée d'art fantastique du château de Gruyères.

 

Etienne Chatton avait du mérite. Car Sergej Aparin avait le tort de s'être trouvé au mauvais moment au mauvais endroit: il avait immigré en 1991 en Yougoslavie, à Zemun, un faubourg de Belgrade...

 

A Gruyères, passant outre les barrières culturelles, aggravées par la crise politique, Chatton avait maintenu l'un des rares vrais points d'échange et de dialogue entre l'est et l'ouest du continent.

Exposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/MontreuxExposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/Montreux

Vingt ans après, Sergej Aparin écrit une autre partie de son traité, sans que pour autant il soit moins exigeant (il aura toujours le regard levé plus haut, vers les grands maîtres et vers le ciel):

Les oeuvres exposées à Montreux sont très éloignées de celles qui l'ont fait connaître. N'était la patte, on pourrait croire à un reniement.

 

Dans la brève présentation que Slobodan Despot fait ce soir, aux côtés de l'artiste, il souligne de plus que la plupart des oeuvres exposées (il y en a plus d'une trentaine) ont été exécutées au cours de l'année écoulée... et dans des registres si différents qu'il semble incroyable qu'il ait pu passer de l'un à l'autre avec une telle facilité.

 

Il y a même un exemple de sculptures minutieuses auxquelles Aparin s'est livré: les trois têtes de cheval de l'exposition ont été sculptées dans trois matières différentes, métal, résine et plexiglas, et aucune d'entre elles n'a été obtenue à partir du moulage d'une autre...

Exposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/MontreuxExposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/Montreux

Dans la série Lavaux, on ne retrouve pas le symbolisme ou le surréalisme dalinien de la série Gruyères.

 

Ainsi les chemins à travers les vignes des deux toiles intitulées Labyrinthe ont quelque chose de cubiste, de géométrique, d'agnostique, même si, sur l'une d'elles, la couleur bleue d'un des chemins, qui se fond dans le ciel, finit par se confondre avec la couleur de celui-ci.

 

Ainsi toutes les scènes de genre dans les vignes, qu'il s'agisse de leurs vendanges, ou de leurs traitements, sont peintes en noir et blanc, pour signifier qu'elles se déroulent dans un autre temps (pas très éloigné pourtant), mais dans des lieux encore aujourd'hui reconnaissables.

 

Dans le tableau baptisé, Nous sommes au même endroit, Aparin juxtapose une partie gauche en couleur à une partie droite en noir et blanc, pour mieux nous faire ressentir le vertige de ce gouffre qui s'est creusé, en seulement deux générations, entre la civilisation d'alors et celle d'aujourd'hui. 

 

Comme le dit Slobodan Despot, la beauté de Lavaux résulte, comme nulle part ailleurs, d'une interaction entre Mère Nature - immuable - et l'Homme - l'architecte du Temps. Ce que rend très bien la peinture d'Aparin, par les voies pourtant dissemblables qu'il emprunte pour rendre compte de l'une et de l'autre.

Exposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/MontreuxExposition Sergej Aparin à la Plexus Art Gallery de Clarens/Montreux

Sur certaines toiles, Aparin a fait des collages métalliques, comme signes, peut-être d'une invasion de la technique dans son monde onirique... Une de ces oeuvres est baptisée Horizon de fer.

 

Sinon, Aparin a osé ajouter son grain de sel à la très riche iconographie du Léman et du Lavaux: Les motifs aériens et aquatiques du peintre trouvent dans l'espace lémanique un théâtre à leur mesure. C'est particulièrement vrai avec Le vent et Journée bleue, le lac.

 

Slobodan Despot défend la thèse que, si dissemblables que paraissent être les oeuvres de la période Gruyères en comparaison avec celles de la période Lavaux, il n'y a pas rupture entre elles mais évolution:

Du moment que la figuration de la réalité passe par le regard et la main d'un artiste, elle relève du fantastique quel qu'en soit par ailleurs le genre.

 

A l'en croire, la phase lémanique de Sergej Aparin, dès lors, apparaît mûrissement plutôt que virage. Qui ne peut être opéré avec virtuosité que lorsque l'on a un talent prodigieux et un idéal rare...

 

Francis Richard

 

Adresse:

"Villa Murillo"

Rue du Lac 61

1815 Clarens/Montreux

 

Visites:

Jusqu'au 31 octobre 2015, du jeudi au dimanche, de 14 heures à 18 heures, ou sur rendez-vous.

 

Contact:

Tél.: 00 41 (0) 79 241 89 13

E-mail: info@galleryplexus.com

Partager cet article
Repost0
2 août 2015 7 02 /08 /août /2015 16:15
L'art de voir un film, de Jean Collet (Entretiens avec Hervé de Bonduwe)

Dans ces entretiens avec Hervé de BonduweJean Collet ne cache pas que son propos n'est pas d'apprendre au spectateur l'art et la manière de voir un film. Il s'agit plutôt de lui léguer les enseignements qu'il a reçus au long d'une vie consacrée au cinéma.

 

Le lecteur est d'ailleurs complètement rassuré sur les intentions de l'auteur en lisant le livre et, plus particulièrement, en lisant le thème, qui lui est consacré à la fin, en tant que spectateur. Car l'auteur précise qu'il est d'accord avec Molière (1) quand il donnait aux artistes le conseil de plaire:

 

"Il faut qu'un film, un roman nous donnent du plaisir."

 

Cela dit, le plaisir n'empêche pas d'aller plus loin, c'est-à-dire d'étudier. Aussi Jean Collet dit-il: "Oui à l'initiation, oui à l'étude de la littérature et du cinéma. Mais l'étude n'est qu'un moyen, une épreuve à traverser pour accéder à la joie de la découverte, à l'émotion de la rencontre, à la beauté."

 

Jean Collet aborde avec Hervé de Bonduwe neuf autres thèmes pour permettre au "spectateur de bonne volonté" d'en connaître un peu plus sur le cinéma, que ce professeur honoraire des universités a enseigné et sur lequel il a beaucoup écrit en qualité de critique.  

 

Le 7e art aura bientôt 120 ans. Cet art, qui naît alors d'"une trouvaille technique", se distingue des autres arts par la "troublante beauté du jamais vu": "Par le ralenti ou l'accéléré la caméra révèle la limite de nos sens, elle donne accès à ce qui était jusque là invisible."

 

Il se distingue aussi par l'abolition de la frontière entre champ et hors-champ: "A la différence de la peinture, de la photographie et des premiers films de Louis Lumière où le cadre est fixe, l'objectif de la caméra peut se déplacer. Autrement dit, la frontière avec le hors-champ peut être franchie, les coulisses de l'image sont toujours accessibles, on peut changer le contenu du cadre."

 

Les deux sources du cinéma sont le documentaire avec Louis Lumière et la fiction avec Georges Méliès. Même dans le documentaire, il s'agit d'une recomposition de la réalité, qui ne peut être obtenue sans recours à l'artifice: "Il n'y a que des effets de réel."

 

Le résultat de cette recomposition est que "le cinéma, ce n'est pas la vie", le génie d'un cinéaste étant de "donner aux personnages une existence cinématographique", et que l'"on ne peut voir vraiment un film que si l'on a envie d'y croire".

 

Peut-on parler de sujet d'un film? Pas vraiment. Il faudrait parler plutôt d'"idée de film" qui dans l'esprit du cinéaste correspond à un désir et qui doit s'effacer pour que l'oeuvre naisse. Comme tout art, le film n'est jamais une information pure: "De cette impureté, il tire sa richesse."

 

Un film atteint à la beauté quand le cinéaste sait maîtriser l'espace - l'image chargée, voilà l'ennemi - et la durée (tout se joue au montage), quand son regard humain sait donner vie à l'objet filmé et quand la musique, s'il y a musique, répond à une nécessité. Revoir un film est le "critère le plus sûr et le plus simple" pour l'estimer.

 

Pourquoi allons-nous voir un film? "Pour nous évader du temps quotidien, non pour nous en distraire au sens pascalien, mais pour expérimenter un autre rythme et voir notre vie sous d'autres angles." Encore faut-il que le regard porté par le cinéaste soit juste, c'est-à-dire qu'il laisse seul le spectateur être juge, qu'il laisse parler les faits.

 

La création cinématographique est une aventure. Elle n'est jamais un long fleuve tranquille et elle n'atteint jamais la perfection: "D'où l'angoisse et l'humilité des vrais créateurs, c'est d'ailleurs à cela qu'on les reconnaît." Et, en même temps qu'elle est risque, elle est fondée sur la confiance. Fellini disait: "Je ne sais pas... mais je dois faire confiance."

 

C'est une lapalissade que de dire que le cinéma, ce n'est pas le théâtre. Et pourtant: "Il a fallu des décennies pour que les cinéastes comprennent que devant la caméra il faut "sous-jouer" au lieu de "sur-jouer"." Ce ne sont pas toujours eux d'ailleurs qui reçoivent la reconnaissance du public pour, par leur art, lui avoir permis de transcender ses besoins:

 

"Le public est souvent injuste ou ingrat. Il se souvient de ce qu'il a vu: les acteurs."

 

Jean Collet critique fait cet aveu qui l'honore: "J'ai mis longtemps à comprendre qu'il fallait parler de ce qu'on aime et renoncer à démolir ce qui mériterait pourtant de l'être. Il faut s'approcher tant que l'on peut de ce qui est beau et grand et qui nous dépasse. Et puis laisser s'écrouler ce qui ne résistera pas au temps."

 

Il ne faut pas pour autant tomber dans le relativisme et dire que "le tout est intéressant, tout se vaut, tout est égal"...

 

Francis Richard

 

(1) Molière fait dire à Dorante dans la scène VI de La Critique de l'École des femmes: "Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire."

 

L'art de voir un film - Entretiens avec Hervé de Bonduwe, Jean Collet, 174 pages, Hermann

Partager cet article
Repost0
17 juin 2015 3 17 /06 /juin /2015 22:55
Logovarda, de Slobodan Despot

Il y a plus de trente ans, Franz Landry s'est rendu à Paros. C'est là qu'il "a revêtu son nom de guerre et l'armure de son destin". Car, depuis son retour, il signe ses oeuvres, encres et sculptures, du nom du monastère érigé sur cette île des Cyclades, Logovarda.

 

Slobodan Despot l'a visité dans son "couvent" de La Ferrière, dans le Jura, où il vit retiré, seul ou presque, avec sa femme, Danielle, et quelques animaux, au milieu de nulle part, dans un antre spacieux et silencieux, propice à la création de son monde rêvé.

 

Le monde de Logovarda est en lutte contre le monde extérieur, où prédomine le Mal, pour lequel il n'éprouve que répulsion et qui le révolte: "La normalité du monde, c'est ce qui nous fait admettre, au jour le jour, que des humains poussent d'autres humains menottés, qu'ils les fouettent, les jugent, les supplicient."

 

A Logovarda, sur l'île de Paros, les moines orthodoxes mènent "une existence archaïque, c'est-à-dire supérieure et première". Dans son cloître jurassien, Franz est l'officiant d'une "liturgie souterraine qui sourd de ses toiles" et qui est comme l'écho de ce mode de vie monastique grecque.

 

A La Ferrière, Logovarda a emporté avec lui le paradis perdu que furent pour lui les Cyclades, avant que les villas et leur béton ne les envahissent. On peut dire qu'au fond il n'a pas quitté cet archipel ou que celui-ci l'a suivi jusque chez lui, lui permettant de conserver une lumière intérieure intacte, primale.

 

S'il fallait le qualifier, on pourrait dire de lui qu'il est un peintre rupestre, rétif aux représentations académiques; qu'il s'est fait lui-même, par inadéquation justement avec tout ce qui est académique; qu'il peint avec ses tripes; qu'il puise son inspiration dans un monde à part où le Mal est certes décrié, mais tout de même représenté; qu'il est médium.

 

Comme certains écrivains écrivent le même livre tout au long de leur vie, sous couvertures de titres qui, indirectement, se répondent, Logovarda peint indéfiniment le même tableau, expression de l'univers singulier qui le hante, composé des mêmes figures (des à-plats de couleur "rouge d'enfer" ou "noir de pétrole" surtout), inlassablement.

 

Ce beau livre éponyme, illustré, en couleur contient de nombreux exemples de ces figures: "Elles sont élémentaires, fondamentales, sexuelles et chastes, géométriques et issues de la terre, preuves que cet univers n'est qu'une formule esquissée dans un rêve divin."

 

Cet univers, plutôt que pâle esquisse conçue dans un rêve divin, apparaît en fait comme une représentation forte, cauchemardesque, inquiétante et, en même temps, fascinante. Les formes de ces figures toujours les mêmes sont "récurrentes et typées, comme sortant d'un cartouche qui, d'une itération à l'autre, s'use et se déforme imperceptiblement".

 

Slobodan Despot dit que la simplicité de ces formes, telles que bâtons, mains, cercles vivants, tiennent de la signalétique. Il dit même qu'au prix d'un effort d'épuration et de systématisation supplémentaire, on pourrait créer à partir d'elles un alphabet. J'aurais presque envie de dire que, de la juxtaposition de ces lettres élémentaires, pourraient bien naître des ébauches de mots, mystérieux.

 

Des mots proprement dits, Logovarda en écrit parfois à même ses toiles: "Souvent les surfaces se recouvrent d'inscriptions à moitiés déchiffrables, faisant penser à des fragments d'écriture automatique. Plus d'une fois, un début de phrase ou de slogan s'enchaîne sur des syllabes décousues, de purs rythmes graphiques."...

 

Sans les commentaires, d'une grande acuité, de Slobodan Despot, ne regarderait-on pas sommairement les oeuvres de Logovarda quand elles sont exposées? Ne se contenterait-on pas de les considérer superficiellement comme de l'art brut, sans chercher plus que ça à approfondir tout ce qui émane d'elles? Y verrait-on l'omniprésence, essentielle, du meurtre originel?

 

"Nul n'a jamais peint le crime à traits plus épurés. Un bras qui s'abat, un outil sommaire et, ça et là, un choeur antique de bouches ouvertes qui se lamentent - à moins qu'elles ne louent le supplice. Lorsque le sang va couler, Logovarda et les sages le savent, l'horreur clamée n'est jamais éloignée du délice obscur."

 

Francis Richard

 

Logovarda, commenté par Slobodan Despot, 122 pages, Editions de La Matze et Xenia

 

Publication commune avec lesobservateurs.ch

Partager cet article
Repost0
3 août 2014 7 03 /08 /août /2014 15:30
Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)

Après une saison 2013/2014 bien remplie, en fin de matinée d'hier, les membres du Comité Tulalu!? ont éprouvé le besoin de se retrouver ensemble, au vert, en l'occurrence dans le cadre arboré du Parc de Szilassy, à Bex, où est présentée, jusqu'au 5 octobre 2014, la 12e édition de l'exposition Bex & Arts d'art contemporain en plein air.

 

Le temps d'une photo (de gauche à droite: Sylvie Blondel, Francis Richard, Carole Dubuis, Céline Chappuis et Cindy Beytrison), prise par Romain Miceli (réviseur des comptes de l'association), ils se sont mis à l'abri d'une manière de cube, oeuvre de Katia Ritz et de Florian Hauswirth, intitulée Dia.

 

Les parois de ce cube ajouré sont formées de deux triangles rectangles reposant sur un côté et de deux triangles rectangles reposant sur une pointe .

 

A y regarder de plus près, ces parois sont des blocs de ciment de récupération, à la surface desquels apparaît quelque végétation et qui sont censés avoir reposé dans l'herbe, où ils ont laissé une trace, avant d'être érigés verticalement et d'être chapeautés d'une plaque quadrangulaire.

Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)

La thématique des 43 oeuvres réalisées in situ est Emergences:

 

"Utopie d'une compréhension globale du monde contemporain, rapport de l'oeuvre avec le "tout" dont elle procède, chaque oeuvre cristallise l'émergence d'une "île" poétique et artistique."

 

Pour les béotiens, dont je suis, ces oeuvres émergent bien dans un cadre de verdure, mais elles sont sujettes à des interprétations que n'auraient peut-être pas imaginées les artistes qui les ont créées. Car le visiteur qui n'a pas fait appel à un guide est d'autant plus livré à lui-même que si les oeuvres sont signées elles ne comportent pas de titres, ni dans le flyer donné à l'entrée, ni sur les panneaux...

Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)

Comme je suis un peu sourd, ce qui n'est pas le cas des autres membres du Comité Tulalu!?, je n'ai pas souffert des détonations émises par les trois canons effaroucheurs de l'oeuvre intitulée Règne, de Florian Bach, alimentés par des bombonnes de gaz...

 

L'artiste et son complice, Marcello Silvio Busato, étaient en train de répéter la performance "musicale" qu'ils devaient donner l'après-midi même à 16 heures. Aussi les ai-je peut-être induits en erreur, puisque je les ai entendu dire qu'ils allaient augmenter le son...

 

Comme à l'heure prévue, le tonnerre a grondé et que la pluie est tombée, je me demande si finalement ils n'avaient pas raison...

 

Les menhirs rencontrés en chemin, oeuvres de Beat Lippert avaient au moins l'avantage d'être silencieux et fantomatiques... L'artiste les a intitulées: Ma première et dernière pièce.

Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)

Les cornes qui émergent de têtes d'animaux ne sont pas chose inconnue, encore que celle de gauche sur la photo, par je ne sais quel accident, s'est retrouvée fichée dans l'herbe juste de l'autre côté (invisible sur ma photo) de cette oeuvre de Lutz & Guggisberg. Et tout contre elle accolée...

 

Une de mes charmantes camarades de Tulalu!?, que je ne dénoncerai pas, mais qui se reconnaîtra, m'a confié au passage que c'était pour elle l'évocation de quelque chose de sexuel... Elle n'avait pas tort, puisque le titre de cette oeuvre est... Le Producteur.

 

Avant de connaître le nom de l'oeuvre de Thomas Stricker (ci-dessus à droite), je l'avais baptisée Zig-Zag... Je ne suis pas tombé très loin, puisque l'artiste l'a intitulée Eclair de Bex, une oeuvre de circonstance par cette après-midi orageuse...

 

Comme les amateurs d'arts et lettres ne sont pas de purs esprits, le Comité Tulalu!? a achevé sa sortie par un dîner tardif, dans l'acception suisse du terme, dans un restaurant de cuisine indienne et du monde, le Goa Masala... à proximité d'un manège de chevaux.

 

Francis Richard

Sortie du Comité Tulalu!? à Bex & Arts (Parc de Szilassy)
Partager cet article
Repost0
26 juillet 2014 6 26 /07 /juillet /2014 16:30
Renoir à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny

Dans les rues de Lausanne, nul n'est censé ignorer l'exposition Renoir à la Fondation Pierre Gianadda. Une affiche représentant une Femme s'essuyant la jambe droite est en effet reproduite à de nombreux exemplaires à travers la ville...

 

Ce n'est pas la première fois que sont accrochées aux cimaises de la fondation martigneraine des peintures de Pierre-Auguste Renoir. Le fonds est inépuisable. Car il a peint des centaines de toiles qui se trouvent maintenant à travers le vaste monde, à Paris, Moscou, Sao Paulo ou New-York.

 

L'intérêt de l'actuelle exposition est "de réunir un panorama, aussi intimiste  sinon le plus inédit possible de ses oeuvres":

 

"Nombre d'entre elles ont rarement, sinon jamais, été exposées. Cet accrochage propose un retour à l'émotion que suscite le souvenir des toiles que notre mémoire conserve du plus charnel des impressionnistes, amoureux du féminin, de la grâce et de la volupté.", écrit Léonard Gianadda dans le supplément au Nouvelliste du 17 juin 2014.

Renoir à la Fondation Pierre Gianadda à MartignyRenoir à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny

Pierre-Auguste Renoir a peint la chair de sa chair, c'est-à-dire ses fils, Pierre, Jean et Claude, mais aussi les enfants des autres, tels que les enfants de Martial Caillebotte.

 

D'une manière générale, il était d'une grande patience avec les enfants et ne leur demandait d'être immobiles que quelques instants, leur permettant de bouger le reste du temps. Ces instants lui suffisaient pour en saisir toute la grâce enfantine.

 

Ce qui frappe en regardant ces tableaux d'enfants, c'est qu'ils sont vêtus de belles étoffes. Renoir était, certes, d'une grande simplicité, mais, s'agissant d'enfants, rien n'était trop beau, semble-t-il, pour les magnifier.

Renoir à la Fondation Pierre Gianadda à MartignyRenoir à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny

Même les paysages qu'il a peints et qui ne sont pas du Sud (aux environs d'Essoyes ou ailleurs) sont paisibles et lumineux. Il émane d'eux une grande sérénité et la lumière y fait sur les êtres et les choses de doux dégradés de couleurs.

 

Pour sa part, il aimait les tableaux de paysages dans lesquels on a envie de se balader et il en avait fait un précepte qu'il appliquait scrupuleusement aux siens.

 

Dans ces paysages, la plupart du temps, un être humain figure, ne serait-ce que de manière discrète, comme pour souligner que la nature n'est rien sans la présence de l'homme.

 

Son fils Jean raconte dans le livre qu'il lui a consacré, Pierre-Auguste Renoir, mon père, qu'il aimait à répéter cette sentence de Pascal:

 

"Il n'y a qu'une chose qui intéresse l'homme, c'est l'homme."

Renoir à la Fondation Pierre Gianadda à MartignyRenoir à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny

Cet intérêt pour l'homme, dans l'acception d'homo, et non pas de vir, inclut bien évidemment la femme, pour laquelle il avait une dévotion qui jamais ne s'est démentie, jusqu'à la fin de ses jours.

 

Habillée ou nue, la femme est sensuelle sous son pinceau. Lequel lui donne vie en lui prodiguant de voluptueuses caresses, comme s'il lui passait la main sur le téton ou dans le dos...

 

Les plus menues d'entre les femmes qu'il représente ont des formes avantageuses, des courbes pulpeuses. On connaît ce qu'il dit de leurs seins:

 

"S'il n'y avait pas eu de tétons, je crois que je n'aurais jamais fait de figures."

 

Et de la peau des jeunes filles (il ne parle délibérément pas de leur chair):

 

"Ce que j'aime, c'est la peau, une peau de jeune fille, rosée, et laissant deviner une heureuse circulation."

 

Et toutes les femmes de Renoir se ressemblent, comme des soeurs...

Renoir à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny

Les doutes n'ont pas épargné Renoir. Et, à la fin de sa vie, la maladie non plus. Et pourtant, cela ne se ressent pas dans son oeuvre, où il a fini par être complètement lui-même. Sans doute parce qu'il savait se créer un monde intérieur dans les vicissitudes.

 

En fait, Renoir était foncièrement aimable comme devait l'être pour lui un tableau, qui, de surcroît, devait être une chose "joyeuse et jolie, oui jolie!":

 

"Il y a assez de choses embêtantes dans la vie pour que nous n'en fabriquions pas encore d'autres."

 

Aussi le meilleur remède à la morosité n'est-il pas de voir ses oeuvres quand elles sont exposées quelque part ou de lire, ou relire, le livre que son fils Jean lui a consacré, à lui qui se disait "ouvrier de la peinture", qui ne voulait surtout pas délivrer de message et qui ne se prenait pas pour un génie:

 

"Moi, du génie? Quelle blague. Je ne prends pas de drogues, n'ai jamais eu la syphilis et ne suis pas pédéraste! Alors?"

 

Il ne pourrait plus dire ça aujourd'hui... A tous points de vue...

 

Francis Richard

 

Renoir, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, jusqu'au 23 novembre 2014, tous les jours de 9 h à 19h.

Partager cet article
Repost0
31 mai 2014 6 31 /05 /mai /2014 11:45
Van Gogh / Artaud - Le suicidé de la société, au Musée d'Orsay à Paris

Hier matin, à la première heure, je suis allé visiter l'exposition consacrée à Vincent Van Gogh, dont la fluidité du parcours a été guidée par le texte d'Antonin Artaud, Van Gogh - Le suicidé de la société.

 

J'avais été prévenu. Il fallait, même muni d'un billet, arriver tôt. Trois quarts d'heure avant l'heure j'ai donc émergé de la station de métro Solférino, boulevard Saint-Germain. Il était tout de même suffisamment tôt pour que j'aille prendre un café. J'ai donc avisé le Solférino, qui se trouve à l'angle de la rue de Solférino, à deux pas du siège du PS...

 

- Bonjour Madame. J'aimerais un express.

- Bonjour Monsieur. Désolée, nous ne servons plus d'express, seulement du champagne.

- ...

- Que voulez-vous, Monsieur, c'est la crise.

 

Sur ce, très pince-sans-rire, la patronne m'a préparé un express, en souriant.

 

Je suis bien à Paris, me dis-je, et je me sens de plus en plus Fransuisse, comme on me surnomme ici...

Van Gogh / Artaud - Le suicidé de la société, au Musée d'Orsay à Paris

Quand je vois la foule qui se presse pour voir l'exposition Van Gogh/Artaud, je ne peux m'empêcher de penser à cette phrase d'Antonin Artaud qui se trouve à la dernière page de son Van Gogh - Le suicidé de la société et par laquelle il s'adresse à ceux qui visitent à l'époque, en 1946, l'exposition consacrée au peintre à L'Orangerie:

 

Les mêmes, qui à tant de reprises montrèrent à nu et à la face de tous leurs âmes de bas pourceaux, défilent maintenant devant Van Gogh à qui, de son vivant, eux ou leurs pères et mères ont si bien tordu le cou.

 

Alors, au moment de franchir le seuil de l'expo temporaire de cette année, je m'efforce de défiler devant les oeuvres du peintre hollandais, en faisant abstraction de ce que je sais de l'homme, pour ne plus voir qu'elles.

 

C'est bien difficile, parce que dans la première salle sont suspendus trois autoportraits dans l'ordre chronologique, et parce qu'il est impossible de ne pas voir la transformation physique du peintre en quelques mois, son visage se creusant de plus en plus et ses yeux devenant de plus en plus inquiétants.

 

C'est bien difficile parce que sont exposées des toiles qu'il a peintes à l'hôpital Saint Paul à Saint-Rémy-de-Provence, où il avait demandé lui-même à être interné après s'être coupé l'oreille pour se punir d'avoir menacé son hôte, Paul Gauguin, avec un rasoir.

 

A défaut d'avoir pu faire venir Le champ de blé aux corbeaux, une projection en est faite à mi-parcours, en très grand format. Le texte inouï d'Artaud sur cette oeuvre, vraisemblablement la dernière du peintre, est dit par Alain Cuny, qui l'a enregistré en 1995. J'en frémis encore, tellement il est suggestif.

 

C'est avec émotion que j'ai vu, de mes yeux vu, La nuit étoilée, dont je ne me souvenais pas qu'elle se trouve de manière permanente au Musée d'Orsay.

 

Sur Les lauriers-roses, peints à Arles en 1888, l'obsédé textuel que je suis a repéré le titre du livre posé sur la table. C'est La joie de vivre d'Emile Zola...

 

Antonin Artaud a raison. Il est impossible de décrire les toiles de Vincent Van Gogh aussi bien qu'il l'a fait lui-même dans ses lettres à son frère Théo. Il faut donc se contenter de dire avec Artaud que:

 

Van Gogh est peintre parce qu'il a recollecté la nature, qu'il l'a comme retranspirée et fait suer, qu'il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs le séculaire concassement d'éléments, l'épouvantable pression élémentaire d'apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits.

 

Ce que dit Artaud est d'autant plus vrai que ces apostrophes, ces stries, ces virgules, ces barres, visibles quand on a le nez sur ses toiles, ne sont plus perceptibles à bonne distance pour les contempler.

 

De très courts extraits de films dans lesquels Artaud a joué défilent sur un écran, des films muets comme des parlants. Il crève l'écran par sa présence, souvent celle d'un halluciné qui ne peut laisser personne indifférent.

 

Artaud était comédien, acteur, metteur en scène, écrivain et... dessinateur.  De son autoportrait  du 17 décembre 1946 se dégage une solitude mélancolique qui ne peut qu'émouvoir.

 

Artaud, cet hypersensible était à même de comprendre cet autre hypersensible qu'était Vincent Van Gogh et son livre, pourtant très bref, en dit plus sur le peintre, et d'une autre manière, que bien des livres écrits précédemment et depuis.

 

Cela dit, même si je n'avais pas lu Artaud, les oeuvres de Van Gogh exposées à Paris ce printemps m'auraient confirmé un trait de caractère que je ressens en les voyant et qui n'est peut-être pas assez souligné, obnubilés que nous sommes par sa fin tragique, Vincent Van Gogh avait une grande compassion pour ses semblables.

 

Au sortir du Musée d'Orsay, mes pas me conduisirent en bord de Seine, où une jeune femme solitaire pianotait sur son smartphone...

 

Francis Richard

Van Gogh / Artaud - Le suicidé de la société, au Musée d'Orsay à Paris
Partager cet article
Repost0
5 mars 2014 3 05 /03 /mars /2014 22:00
"Roger Monney" de Félicien Morel

Il est des livres qui sont de véritables cadeaux. Celui que Félicien Morel a consacré à son ami Roger Monney en est un. Il est arrivé hier dans mon logis, par la poste, à point nommé. Il a illuminé de ses feux ma nuit dernière. Il a ravi mes yeux qui ne voulaient pas se fermer pour me procurer un sommeil réparateur. Il m'a fait oublier mes insuffisances et m'a fait rêver de dépassements réussis à force de caractère bien trempé.

 

C'est un livre-cadeau à plusieurs titres. D'abord, parce que c'est un très beau livre, illustré de magnifiques photos. Parce que, dans un texte chaleureux, Félicien Morel révèle aux ignorants tels que moi l'existence d'un ferronnier et sculpteur méconnu, pardon d'un plasticien, terme qu'il admet à la rigueur, lui qui, en fait, se revendique modeste artisan. Parce que cet homme libre est hors du commun.

 

Roger Monney est né le 24 mars 1933 à Grolley. Il est l'aîné d'une famille de dix-sept enfants, huit garçons et neuf filles... une famille pauvre, qui essayait autant que faire se pouvait de "rester pauvre" pour ne pas tomber dans la misère, surtout quand le père, "mécanicien sur vélos, accordéoniste à ses heures" a été mobilisé en 39-45 pendant de longues périodes et que le peu d'argent qu'il gagnait ne rentrait plus.

 

Comme ses frères et soeurs, Roger a été placé tout jeune dans une ferme de Villarepos. Il n'y a pas été à proprement parler maltraité, mais il a certainement été exploité sans trop de scrupules par son patron.

 

S'il a gardé un bon souvenir de l'instituteur de Villarepos, il ne peut pas en dire autant de l'école primaire de Grolley, où les châtiments corporels sévissaient, ou du curé du même Grolley, qui employait la manière forte pour faire rentrer le catéchisme dans la tête de ses jeunes ouailles.

 

Après son apprentissage de serrurier à Fribourg, à l'atelier Hertling, il a travaillé d'abord comme ouvrier serrurier chez Comte à Payerne, puis comme soudeur chez Dousse à Fribourg, avant de s'installer à son compte dès qu'il a pu, ce qui n'a pas été une sinécure.

 

Un tel homme, épris de liberté et prêt à en payer le prix, ne pouvait qu'être indépendant. S'il a le coeur tendre, il ne s'est jamais marié. Il travaille donc seul et vit de même, cet ermite qui garde les yeux bien ouverts sur le monde, cet homme qui, dit-on, ne serait pas facile d'abord.

 

Le livre de Félicien Morel, préfacé par Nicolas de Diesbach, nous montre d'abord le lieu où Roger s'est installé il y a plus de cinquante ans, à Bellerive, dans le Vully vaudois.

 

C'est une toute petite ferme qui surplombe le lac de Morat. L'atelier et le "salon" du lieu sont des capharnaüms, l'un encombré de pièces métalliques et d'outils de toutes sortes, l'autre d'oeuvres d'art, de livres et de vieux ustensiles de cuisine.

 

Ce beau livre nous montre l'oeuvre de Roger, qui, sans avoir fait le Tour de France, a l'esprit compagnon. Et ce qu'il nous montre est inédit puisque cet "artisan" a très peu exposé, vivant de toute façon en marge du milieu artistique, et du reste.

 

Cette oeuvre se compose de pièces en fer forgé - chandeliers, bougeoirs, grilles, figurines, enseignes d'établissements publics etc. -, de sculptures en fer, en fer et cuivre, en fer et pierre, en fer et bois, en acier inox et fer etc. qui représentent des symboles de la vie, des silhouettes, des éléments du cosmos, des bêtes, des crucifix et autres oeuvres d'inspiration religieuse... Il a même réalisé quatre oeuvres monumentales...

 

Parmi toutes ces oeuvres très originales, il en est qui me parlent plus que d'autres, telles que les grilles en fer forgé qui me rappellent la rampe de l'escalier de la maison familiale ou telles que "Adam et Eve", silhouettés en fer, le "Coup de lune" en fer ou encore la "Silhouette Oiseau" en fer métallisé vieux bronze. Parce que j'aime les formes sobres et élancées...

 

Au fil des conversations à bâtons rompus qu'il a eues avec Roger, Félicien Morel a noté quelques perles sorties de la bouche de cet homme truculent et généreux. Il en est une destinée à ceux qui aiment sans réciprocité, qui me plaît bien:

 

"J'ai aimé passablement, mais je n'ai pas été aimé. C'est une chance."

 

Francis Richard

 

Roger Monney - Ferronnier et sculpteur, Félicien Morel, 176 pages, L'Aire

Partager cet article
Repost0
30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 23:00

Galerie-Duo-ABBET.jpgQuitter Lausanne sous le soleil vers 16 heures en ce dernier jour de novembre et se retrouver dans le brouillard valaisan une demi-heure plus tard ne me semblait pas de bon augure. Je me trompais...

 

Qu'allais-je donc faire dans cette Galerie...Duo?

 

Telle est la question molièresque que je me suis posé au volant de ma 306 GTI, phares à iode tout allumés, pour ne pas réduire ma vitesse de croisière... A tort.

 

Arrivé à Sion à 17 heures, il faisait quasiment nuit, et bigrement froid. En tout cas bien davantage que dans ma bonne ville de Lausanne. Mais, quelle importance?

 

La Galerie Duo se trouve rue de Conthey, une petite rue de la vieille ville, à deux pas de la librairie La Liseuse, sise rue des Vergers, qui fête ses 30 ans d'existence cette année.

 

Inma ABBET Galerie DuoQue la peinture et l'écriture se côtoient ainsi est à l'image de ce qu'est Inma Abbet, à la fois artiste-peintre et écrivain. Elle tient d'ailleurs un blog sur ses lectures, Des livres, toujours des livres, hébergé par le quotidien 24  Heures.


Licenciée es Lettres modernes de l'Université de Strasbourg II, elle a enseigné en français et en espagnol - elle est d'origine espagnole et mariée à un Suisse.

 

Pour le moment, avant de pouvoir se consacrer davantage à la peinture, elle est traductrice, étant bilingue français-espagnol et parlant couramment l'allemand.

 

Inma ABBET Contours cubistesA la Galerie Duo, Inma Abbet expose dessins et peintures du 1er au 21 décembre 2013 et le vernissage avait lieu aujourd'hui dès 17 heures.

 

Inma Abbet utilise de la peinture acrylique, du pastel, de l'encre et de la gouache qu'elle applique principalement sur du papier. Elle utilise plusieurs de ces modes ensemble pour obtenir des effets particuliers.

 

Sa peinture a évolué. Par exemple, il y a quelques années ses tableaux étaient figuratifs mais s'inspiraient du cubisme pour délimiter les contours. Cette année, elle a peint une série de tableaux abstraits avec dominante de tons mauves et orangés.

 

Inma ABBET Tons mauves et orangésElle a beaucoup peint également des animaux et des paysages inventés comme des forêts où flottent des nappes de brouillard...

 

Inma Abbet devrait assister à la dernière rencontre littéraire de l'année 2013 de Tulalu!? avec Antonin Moeri, qui aura lieu lundi 2 décembre à 20 heures au Lausanne-Moudon (place du Tunnel à Lausanne)...

 

Si vous vous trouvez dans les parages de Sion pendant les trois semaines à venir, n'hésitez pas à rendre une visite à la Galerie Duo... non sans avoir passé au préalable un petit coup de fil pour prendre rendez-vous au 078 751 65 26 aux jours et heures indiqués ci-dessous.

 

Francis Richard

 

Mercredi: 13h30 - 18h30

Jeudi: 15h00 - 18h30

Vendredi: 10h00 - 12h00 et 15h30 - 18h30

Samedi: 15h00 - 20h00

Partager cet article
Repost0
10 novembre 2011 4 10 /11 /novembre /2011 20:00

Fra-Angelico.jpgVous êtes dans les parages de Paris, ou vous comptez vous y rendre prochainement, il est une exposition temporaire là-bas que vous ne devez pas manquer, sous aucun prétexte. Que vous soyez croyant ou non. Il vous suffit d'avoir la fibre un tant soit peu artistique pour en goûter toutes les splendeurs. Ce n'est pas tous les jours que pareille occasion vous sera offerte.

 

Le Musée Jacquemart-André ici appartient à l'Institut de France. A lui seul il vaut le détour. C'est un grand hôtel particulier de la rive droite, sis boulevard Haussmann, tout proche de l'Etoile. Il abrite jusqu'au 16 janvier 2012 une exposition d'une cinquantaine de peintures qui sont de véritables joyaux du quattrocento italien et qui vous donnent un avant-goût de l'éternité.

 

Vous pouvez vous mettre en appétence en regardant la vidéo consacrée aux fresques du frère angélique qui couvrent les murs des cellules de son couvent dominicain de San Marco à Florence et qui sont peut-être les oeuvres les plus achevées, parce que les plus intimes et les plus épurées du moine-peintre.

 

Un conseil avant tout. Réservez votre visite à l'avance, sur Internet. Si vous le pouvez, faites votre visite un jour de semaine, si possible tôt le matin. Car la foule se presse pour contempler ces oeuvres d'un autre temps. Muni de billets j'ai tout de même dû, en fin de matinée, samedi dernier, attendre un bon quart d'heure avant d'être autorisé à pénétrer dans la première des huit salles de cette exposition extraordinaire.

 

Dans cette première salle s'offrent à vos regards des livres religieux illustrés d'enluminures exécutées par Fra Angelico et ses prédécesseurs. Elles vous permettent de comprendre combien cet apprentissage lui aura été bénéfique et lui aura inculqué le souci du détail, dont il ne se départira pas tout au long de son existence d'artiste, qu'il s'agisse de tempera sur bois ou de fresques, exerçant toujours ses talents de miniaturiste.

 

Influencé d'abord par l'art gothique, Fra Angelico va adopter, et adapter à sa façon, les principes de la perspective qui ont été formulés dans le traité De pictura de Leon Battista Alberti et mis en application dans leurs oeuvres par Masolino et Masaccio. Son génie propre va se manifester par la lumière prodigieuse qui éclaire les scènes qu'il peint, par la fixité des personnages auxquels il confère par là même une profonde sérénité, au milieu des contigences de la vie terrestre.

 

Fra Angelico fait bien plus que tenir la comparaison avec les autres artistes dont les oeuvres sont exposées à côté des siennes - vingt-cinq au total sur une cinquantaine. Cette mise en parallèle d'oeuvres antérieures, contemporaines et postérieures nous permet de nous imprégner de l'héritage qu'il a recueilli de son maître Lorenzo Monaco, de l'exemple qu'il a donné de son vivant et de l'héritage qu'il a laissé à ses suiveurs tels que Zanobi Strozzi ou Alesso Baldovinetti.

 

Tous les panneaux peints, protégés par des vitres, sont d'inspiration religieuse. Certes il est préférable d'avoir une culture religieuse pour en apprécier toutes les allusions symboliques. Mais la beauté transcende ici tous les goûts et toutes les couleurs. On ne peut que se souvenir, en se laissant subjuguer par elle, des vers de Charles Baudelaire, sur les maîtres de l'art pictural au cours des siècles, qui concluent son poème Les Phares, dans Spleen et idéal :

 

Car c'est vraiment Seigneur, le meilleur témoignage     

Que nous puissions donner de notre dignité

Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge

Et vient mourir au bord de votre éternité !

 

Le 3 octobre 1982, le pape Jean-Paul II, pour qui j'ai une particulière dévotion [voir ici], a béatifié Fra Angelico, dont la cause avait été introduite près de trente ans plus tôt par le pape Pie XII sans aboutir. Il l'avait fait exceptionnellement, motu proprio, de sa propre autorité, pour honorer un artiste exceptionnel, qu'il devait deux ans plus tard proclamer patron universel des artistes.

 

Giorgio Vasari, dans Le Vite de' più eccelenti pittori, scultori e architettori, ne disait-il pas à son propos :

 

"S'il peignait un crucifix, c'était les joues baignées de larmes, et il n'aurait jamais touché ses pinceaux sans avoir récité une prière."

 

Tous les témoignages concordent. Ce n'était pas chez lui attitude d'artiste prenant la pose ...  

 

Francis Richard

Partager cet article
Repost0
11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 16:00
Clé à moletteDu 22 au 24 octobre 2010 a eu lieu le XIIIe sommet de la Francophonie à Montreux ici :

"La Suisse romande, la Suisse francophone, pays organisateur, a été représentée par un seul artiste, Jérémie Kisling, à qui l'on a imposé de chanter une oeuvre immortalisée par Claude François (paroles du Vaudois Patrick Juvet): "Le Lundi au soleil".

On n'a pas entendu un air de chez nous."

C'est pourquoi le chanteur Michel Bühler a décidé de pousser un coup de gueule, tout à fait compréhensible.

Ce coup de gueule c'est La chanson est une clé à molette, publié directement dans la collection de poche des éditions Campiche ici. Il s'y fait l'ardent défenseur de la chanson francophone, et plus particulièrement de la chanson de Suisse romande dont il est un insigne représentant ici.

Une clé à molette ?

"Prenez une clé à molette: avec elle, mon garagiste démontera vos roues et changera - pour pas cher
- vos plaquettes de freins. Tel autre estourbira sa belle-mère.

Pour l'art qui nous occupe, c'est pareil: tout dépend de l'usage que les hommes en font..."

Michel Bühler n'aime pas les chants militaires ou religieux, ou encore les hymnes nationaux. Il aime les chansons qui "rassemblent et soutiennent, lorsque les temps deviennent troublés", autrement dit révolutionnaires, ou encore quand elles retracent "mille ans d'histoire humaine", enfin l'histoire qu'il retient, et qui s'exprime par exemple dans la vieille Complainte de Mandrin.

Michel Bühler ne m'en voudra pas si je suis moins exclusif que lui, même si je préfère son Pays qui dort, écrit alors que j'avais vingt ans, ou Je t'attendais, à ses chansons engagées, telles que Mondialisation ou Démocratie. Car, comme lui, la chanson "que j'aime d'abord, c'est la chanson poétique, signifiante".

Mais j'aime tant sa voix, et les mélodies qui accompagnent ses paroles, que j'accepte volontiers de ne pas être toujours d'accord avec ces dernières, pour ne retenir que son art de la chanson, qui n'est pas "un art mineur" comme le disait un Gainsbourg éméché, mais n'est pas non plus seulement "un art de pauvres", comme il le pense.

Comme lui j'aime donc Brassens, Brel, Leclerc ou Ferrat. J'aime aussi quand il écrit :

"Montrer à des amis lointains nos paysages, nos vies, nos personnages, rendre aux gens de chez nous une existence - oserai-je dire une dignité ? - parce qu'on les raconte dans des couplets, voilà ce qui me guidait ... et qui me pousse encore à écrire."

J'aime encore le récit qu'il fait de la Fête à la chanson romande, qui a eu lieu à Lausanne, au bord du Léman, sous un chapiteau, le 1er septembre 1979, au cours de laquelle fut ovationné "notre ancêtre à tous, Jean Villard-Gilles".

Parlant de l'Afrique, je n'aime pas comme lui que l'on coupe les "racines des gens pour mieux les dominer" :

"N'est-ce pas ce que la République française a tenté de faire également avec les Bretons, les Occitans ? Empêcher les gens de parler leur langue, la tuer, pour tuer un mode de vie et de pensée..."

J'écoute en ce moment un CD en basque d'Erramun Martikorena, tandis que je me trouve au Pays Basque que j'aime tant et d'où j'écris ces lignes ...

Comme lui je pense que la chanson francophone est en danger - la langue française elle-même l'est. Comme lui, je m'inquiète qu'il ne lui soit pas fait davantage de place dans les stations de radio de Suisse romande, qu'elles soient publiques ou privées, et qu'il soit fait une trop grande place aux chansons anglophones que j'aime pourtant également.

La solution ne se trouve pourtant pas comme il l'évoque dans les quotas ou dans des lois contraignantes. Les raisons d'espérer sont ailleurs, comme il le dit si bien :

"Internet donne la possibilité à chacun d'aller choisir, sur toute la planète, les airs qui lui conviennent, sans plus être tributaires des goûts des programmateurs radio; les iPods nous permettent d'emporter et de faire renaître partout les PPPCs (1) qui nous plaisent."

Mais on ne choisira la chanson francophone que dans la mesure ... musicale où elle vise à l'excellence...

Francis Richard

(1) Le PPPC est le sigle inventé par Michel Bühler du plus petit produit culturel qu'est la chanson. 

Partager cet article
Repost0
21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 17:00

Daniela Matt SaundersBien que j'aime beaucoup mon époque - ce qui ne surprendra que ceux qui ne me connaissent pas vraiment - je ne suis guère enthousiasmé par l'art contemporain. Cela dit, je ne demande pas mieux que de chercher à séparer ce qui me semble être le bon grain au milieu de beaucoup d'ivraie.

 

Hier soir avait lieu à Genève, à la Galerie Analix Forever ici , le vernissage d'oeuvres de Matt Saunders, un jeune américain de 35 ans, qui vit à Berlin depuis 10 ans et qui a une prédilection pour les personnes qui, à un moment donné, ont disparu de la circulation sans trop faire de bruit, entretenant autour d'elles une aura de mystère.

 

Parmi ces personnes auxquelles il s'est intéressé, il y a Patrick McGoohan. Je dois avouer que c'est surtout pourquoi j'ai fait hier soir le trajet de Lausanne à Genève. Pour revoir aussi, bien sûr, la charmante Barbara Polla, directrice de la galerie, toujours habitée par une heureuse et communicative vitalité, et, bien entendu, pour faire la connaissance de Matt Saunders, qui est d'un abord très accessible, dont l'allure est bien sage en comparaison d'une oeuvre qui l'est moins, pour le plaisir de nos yeux.

 

Sans être un nostalgique, je reconnais que Destination Danger - Danger Man - et Le prisonnier - The prisoner - sont deux des quelques séries télévisées auxquelles je voue un culte. Ces deux-là, dans les années 1960, ont émerveillé mon enfance. J'étais donc curieux de voir de près comment Matt Saunders avait tiré le portrait de celui qui avait incarné, pour mon petit écran, l'espion John Drake, auquel dans mes jeux de gamin je m'identifiais volontiers, ou Numéro 6, qui, lors de mon adolescence, m'avait initié aux voies intelligentes qui permettent à un homme d'être libre, en refusant justement d'être un numéro.

 

Deux portraits de l'acteur, qui s'est éteint au début de l'an passé, sont exposés à Genève cette fois-ci - Analix Forever a déjà exposé Saunders. McGoohan est très reconnaissable pour les adeptes dont je suis. Matt l'a d'abord peint à l'huile sur une toile d'après des instantanés réalisés par lui à partir d'images télévisuelles. Il a adjoint à la peinture à l'huile d'autres matériaux divers. Puis il s'est servi du résultat obtenu comme négatif qu'il a exposé pendant trois heures à la lumière pour le tirer sur papier photographique. Au deuxième portrait il a encore ajouté quelques mouvements de peinture, qui en accentue le mystère.     

 

Vingt-deux portraits de jeunes femmes fatales occupent tout le mur sud de la galerie. Là encore Saunders s'est inspiré d'instantanés, réalisés cette fois par l'équipe du designer belge Kris Van Assche ici, lors d'un défilé de mode féminine, aux tons noir et blanc, à Paris, à l'automne 2009. En négatif Matt a dessiné, pour la première fois sur commande, occasionals, à l'encre, sur mylar - marque sous laquelle est commercialisé le polyéthylène téréphtalate (PET) - ces jeunes femmes, qui se ressemblent toutes, tout en étant bien différentes les unes des autres, puis a tiré sur papier photographique ces négatifs qui se passent  de la médiation d'un appareil-photo [la photo qui illustre cet article est celle de Daniela et provient d'ici].

 

Hertha Thiele ici est une actrice allemande née en 1908, qui a connu un grand succès en Allemagne après sa prestation dans le film Jeunes filles en uniforme. Sa carrière s'est cependant réellement achevée en 1933 quand elle a refusé de figurer dans le film de propagande nazie, Hans Westmar. Pendant la guerre elle se réfugie en Suisse où elle change de métier. A son retour en Allemagne à la fin des années 1960, elle interprétera surtout des rôles secondaires dans des séries et films de télévision. Les trois portraits d'elle exposés par Matt sont tout empreints de sa douceur un peu triste, qui faisait tout son charme.

 

Dans la partie nord de la galerie la visite se termine par une vidéo réalisée en 2004. Avec la même technique hybride de peinture et de photographie, Matt Saunders a fait de nombreux portraits d'un acteur allemand fascinant, Udo Kier, un autre homme du danger, qui est surtout connu pour avoir interprété des rôles de vampire. La vidéo est un montage d'esquisses et de portraits qui le montrent dans son premier rôle, en gangster, portant comme de juste des lunettes noires, dans la Vienne des années 1960.

 

Je dois reconnaître que j'ai été déçu en bien, comme on dit dans le Pays de Vaud, par cette exposition. Les procédés employés par Saunders, pour dresser des portraits, sont réellement impressionnants, dans un sens positif... Le parti pris de rester dans les tons du noir au blanc, comme les photos de naguère, ajoute une touche désuète, nostalgique, à la vision du monde pourtant résolument moderne qu'a l'artiste, non seulement en raison de sa technique, mais aussi de ce mélange de raffinement et de brutalité qui caractérise son art.

 

Francis Richard     

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens