3 septembre 2016
Il est deux heures du matin. Deux messages m'apprennent que ma soeur Chantal est décédée à Madrid dans l'après-midi de la veille. Je suis un petit dormeur, mais cette fois je ne dors pas de la nuit et je ne lis pas pour peupler mon insomnie. Éveillé, je me souviens...
Je me souviens d'abord que je l'ai appelée en juillet pour lui dire que je viendrai la voir à l'automne, parce que l'été madrilène est vraiment trop caniculaire pour moi. Ironie du sort, je vais m'y rendre maintenant, malgré que j'en aie, pour lui dire un dernier adieu.
Des quatre soeurs et frère que nous étions, nous étions deux, elle et moi, à être nés à l'étranger, en Belgique, à Uccle; à avoir fait des études à l'étranger, elle en Espagne - elle a fait un petit bout en Suisse, mais a arrêté par amour...-, moi en Suisse; à nous être exilés, elle à Madrid, moi à Lausanne.
Chantal et moi nous sommes toujours bien entendus et soutenus, sans doute parce que nous n'avons eu ni l'un ni l'autre la vie facile, pour des raisons complètement différentes d'ailleurs. Des raisons de santé, des raisons amoureuses et professionnelles.
Si j'ai toujours eu une bonne mauvaise santé et que ma vie n'a tenu qu'à un fil pendant les premières année de mon existence (j'ai quand même maintenant une épée de Damoclès au-dessus de la tête...), la sienne n'a pas été bonne du tout dans les dernières années de son existence au point d'être devenue invalide.
Si ma vie professionnelle a été cahotique et qu'à un moment j'étais vraiment à quia, la sienne a toujours été précaire et difficile matériellement, alors qu'elle avait connu tout comme moi une enfance et une adolescence dorées... Mais elle ne se plaignait jamais...
A 13:00, ma chambre est prête mais la clé ne fonctionne pas quand je m'y rends... Cinquième contrariété. Je reçois des SMS de ma famille... qui m'attend. Finalement je n'ai que que trois ou quatre minutes de retard...
Après la cérémonie, qui a lieu une demi-heure plus tard, après avoir dit adieu à Chantal, nous nous retrouvons pour dîner (déjeuner, si vous préférez) dans un petit restaurant, tout proche de mon hôtel, en milieu d'après midi, à l'espagnole...
Après ce repas arrosé, j'ai la mauvaise idée de vouloir aller nager pour me détendre et me remettre de mes émotions... Sur Internet, rentré à l'hôtel à près de 18:00, j'ai repéré une piscine ouverte le dimanche jusqu'à 20:30. Elle se situe entre les stations Menendez Pelayo et Pacifico, sur la ligne 1, que je compte prendre à Atocha.
Ce que j'ignore, c'est que la ligne 1 est fermée pour travaux. Je me rends donc à pied, par 35°C à l'ombre, pour trouver cette piscine miraculeuse. Au bout d'une heure de vaines recherches, j'abandonne. Ce qui n'est pas mon genre. Sixième contrariété.
En fait il me faut bénir le Ciel. Car toutes ces contrariétés m'ont fait penser à autre chose qu'à la perte irréparable de ma soeur, que, pour un tas de raisons (qui ne sont pas toujours bonnes, hélas), je n'aurai pas revue depuis des années, depuis sa visite à ma maison de Saint Jean-de-Luz.
5 septembre 2016
Cette journée commence sous de meilleurs auspices. J'ai enfin trouvé une piscine, qui plus est ouverte le matin, à Casa de Campo. C'est une piscine de 25 m. Elle ouvre à 8:30, mais toutes les lignes d'eau - il y en a sept - sont prises par des cours à cette heure-là.
A 9:00 deux lignes ouvrent pour les nageurs libres. Comme le bonnet est obligatoire et que je n'en ai pas emporté avec moi, une monitrice m'en prête aimablement un. Et je peux faire mes deux kilomètres habituels avec une seule autre personne dans ma ligne... Le bonheur.
Avant de repartir pour Lausanne, je fais un tour en ville. Il faut bien sûr oublier d'aller voir Jérôme Bosch au Prado. La file des visiteurs est impressionnante et dissuasive. En 2008, j'avais vu avec Chantal, celle des oeuvres de Francisco Goya, consacrées à la guerre.
Alors quoi de plus naturel que de faire un tour dans le Parque de el Retiro. C'est un parc dans lequel je m'étais déjà promené à deux reprises et qui m'avait enchanté. Evidemment il ne faisait pas aussi chaud qu'aujourd'hui. Il n'y avait pas non plus cette lumière qui brûle les yeux, même protégés par des lunettes noires.
Dans ce parc, il y a aussi une petite merveille, le Palacio de Cristal. Il se situe au bord d'une pièce d'eau. Et j'ai pu voir fonctionner, à l'intérieur, le pendule, de quoi faire rêver n'importe quel ingénieur mécanicien.
Une dernière visite s'imposait pour le catholique que je suis. Après avoir prié tout en nageant et tout en marchant, il me fallait prier dans la maison de Dieu, en l'occurrence l'Iglesia de los Jeronimos, qui veille en quelque sorte sur le Museo del Prado.
Pendant ces deux jours passés à Madrid, j'ai pensé avec reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui m'ont témoigné leur sympathie et leur amitié pour le deuil qui me frappe douloureusement quand je les ai rencontrés samedi dernier au Livre sur les quais de Morges et quand je leur ai dit que je ne pourrais pas venir le lendemain.
Toutes et tous, je vous remercie vraiment du fond du coeur - et il est profond même s'il est défectueux - parce que, en me parlant, ou en ayant la gentillesse de m'écouter, parfois longuement, vous m'avez donné du courage pour affronter cette épreuve et pour continuer à lire les livres que vous écrivez ou que vous éditez.
De plus en plus, dans ma vie, je ne peux que faire mienne cette phrase de Marcel Proust:
La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.
Francis Richard