Nous sommes le troisième jour qui suit la mort de Vincent Lambert. Après le temps du recueillement et de la prière pour ses proches, qui n'ont peut-être pas tous su ce qu'ils faisaient, est venu le temps de la réflexion sur ce drame médiatisé.
Pour au moins la deuxième fois, dans des circonstances tragiques, Michel Houellebecq publie un texte à point nommé. Ce doit être l'effet d'une sensibilité à l'époque tout à fait insigne et d'une conscience des enjeux de société absolument inouïe.
Son roman Soumission paraît en effet le 7 janvier 2015, c'est-à-dire le jour même où les deux frères Kouachi, des terroristes islamistes, assassinent onze personnes, dont huit membres de la rédaction, dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo.
Sa tribune dans Le Monde sur la mort de Vincent Lambert paraît en effet le 11 juillet 2019, c'est-à-dire le jour même où ce dernier meurt par la volonté d'un médecin oublieux de son serment de ne pas faire usage de [ses] connaissances contre les lois de l'humanité.
Parmi les lois de l'humanité il y a celle de ne pas tuer. C'est une loi écrite et non écrite qui permet de distinguer la civilisation de la barbarie. Cette loi figure dans le décalogue et a trouvé son aboutissement relativement récent avec l'abolition en France de la peine de mort.
Dans sa tribune Michel Houellebecq écrit plusieurs choses:
- L'État français a réussi à faire ce à quoi s'acharnait, depuis des années, la plus grande partie de sa famille: tuer Vincent Lambert.
Cette intervention dans la sphère privée, sous le quinquennat d'Emmanuel Macron, devrait inquiéter: elle signifie qu'en France, sur les êtres humains, de plus en plus à sa merci, l'État a en quelque sorte droit de vie et de mort.
- Vincent Lambert n'avait rédigé aucune directive. Circonstance aggravante, il était infirmier. Il aurait dû savoir, mieux que tout autre, que l'hôpital public avait autre chose à faire que de maintenir en vie des handicapés.
Dans le doute sur ses intentions, pourquoi avoir décidé à sa place?
- L'hôpital public est sur-char-gé, s'il commence à y avoir trop de Vincent Lambert ça va coûter un pognon de dingue (on se demande pourquoi d'ailleurs: une sonde pour l'eau, une autre pour les aliments, ça ne paraît pas mettre en oeuvre une technologie considérable, ça peut même se faire à domicile, c'est ce qui se pratique le plus souvent, et c'est ce que demandaient, à cor et à cri, ses parents).
Dans ces conditions, n'est-ce pas un abus de langage que de parler de traitement? Oui, mais c'est le terme employé par une loi de circonstance, alors... En tout cas, je ne suis pas sûr que quiconque, privé de boisson et de nourriture, vivrait bien longtemps...
- Le CHU de Reims n'a pas relâché sa proie, ce qui peut surprendre. Vincent Lambert n'était nullement en proie à des souffrances insoutenables, il n'était en proie à aucune souffrance du tout. Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait de dire qu'on ne connaît à peu près rien.
Alors pourquoi fallait-il absolument le tuer?
Michel Houellebecq avance plusieurs explications:
- Il m'est difficile de me défaire de l'impression gênante que Vincent Lambert est mort d'une médiatisation excessive, d'être malgré lui devenu un symbole; qu'il s'agissait, pour la ministre de la santé "et des solidarités", de faire un exemple. D'"ouvrir une brèche", de "faire évoluer les mentalités". C'est fait. Une brèche a été ouverte, en tout cas. Pour les mentalités, j'ai des doutes. Personne n'a envie de mourir, personne n'a envie de souffrir: tel est, me semble-t-il, l'"état des mentalités", depuis quelques millénaires tout du moins.
Pour ce qui est de souffrir, Michel Houellebecq ajoute que ce n'est plus aujourd'hui un problème, notamment depuis la découverte de la morphine.
- Personne n'a envie de mourir, personne n'a envie de souffrir, disais-je; une troisième exigence semble être apparue depuis peu, celle de la dignité [...] La dignité (le respect qu'on vous doit), si elle peut être altérée par divers actes moralement répréhensibles, ne peut en aucun cas l'être par une dégradation, aussi catastrophique soit-elle, de son état de santé. Ou alors, c'est qu'il y a eu, effectivement, une "évolution des mentalités". Je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'en réjouir.
Le but ultime, à partir de cet exemple, serait donc bien de conforter dans leur opinion les 95% de Français qui seraient favorables à l'euthanasie, autrement dit au trépas des inutiles, à savoir, par exemple, les handicapés ou les vieux.
Merci à Michel Houellebecq pour sa tribune dans Le Monde sur la mort de Vincent Lambert: je sais maintenant qu'il ne fait pas bon désormais d'être hospitalisé en France, sinon à ses risques et périls, et me demande si cet article, où je déclare ne pas vouloir subir le sort de Vincent Lambert, suffira éventuellement comme directive pour me l'épargner.
Francis Richard