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27 juin 2015 6 27 /06 /juin /2015 22:55
Trois gouttes de sang et un nuage de coke, de Quentin Mouron

En matière d'enquête criminelle, il convient de tenir des discours rationnels. Pour être sûr de la culpabilité de quelqu'un, il faut ainsi que soient réunis les trois fameux éléments: l'opportunité, les moyens et le mobile. Qui sont, par ailleurs, autant de critères objectifs permettant d'établir des statistiques, par genres.

 

Dans Trois gouttes de sang et un nuage de cokeQuentin Mouron raconte l'enquête menée parallèlement par un shérif et un détective privé sur un meurtre horrible commis dans une rue de Watertown, ville de la périphérie de Boston. Question essentielle de ce roman: les discours rationnels ordinaires tiennent-ils devant le mode opératoire extraordinaire de ce meurtre?

 

Jimmy Henderson, septuagénaire, est un Américain on ne peut plus ordinaire: il est chasseur, il soutient l'armée, il porte des bottes de marque, il fume du tabac Marlboro et achète son fil de pêche chez Wal-Mart. Or il est retrouvé mort, assassiné de manière extraordinaire dans son pick-up Ford, la langue tranchée, les yeux crevés et les joues découpées jusqu'au ras des oreilles.

 

Alexander Marshall vit avec Laura Henderson, la fille de Jimmy, avec laquelle il s'est associé pour vendre de la came. Très vite, Alexander a des vues sur Julia, la fille de Laura. Il la mate sous la douche, lui caresse les fesses quand elle passe à proximité et, un jour, il abuse d'elle avec doigté, toujours sous la douche...

 

Au regard des trois éléments, Alexander ne peut être que coupable du meurtre de Jimmy. Il n'a pas d'alibi, il a déjà planté son couteau dans le ventre d'un type quelques années plus tôt et il sait que son beau-père va le dénoncer pour abus sexuels sur Julia. Ou, plutôt, il ne croit pas que de faire ses excuses à la gamine ou de parler à son beau-père le dissuaderont de le faire.

 

Le shérif Paul McCarthy est un shérif ordinaire, marié avec Charlène et père de Paola et d'Anna, membre actif de l'Église de la Rédemption. Franck est le patron extraordinaire d'une agence de détectives privés, qui laisse les affaires courantes à ses collaborateurs et se réserve les missions spéciales, notamment celle qu'il vient d'accomplir pour un mafieux local de Watertown, Lance Le Carré.

 

Alexander apparaissant comme un suspect trop ordinaire, le shérif et le détective privé, pour des raisons différentes, envisagent la possibilité que le meurtre ait été commis par un assassin psychopathe extraordinaire, surtout après qu'un second meurtre est commis. Le mode opératoire semble être en effet celui d'un meurtrier n'ayant agi que pour son propre plaisir...

 

Si McCarthy est effrayé par cette thèse qu'il ne peut rejeter complètement, il n'en est pas de même de Franck. Celui-ci y voit l'acte d'un défoncé ou d'un artiste qui n'a pas voulu autre chose que de se divertir un peu, d'un homme lassé, pour lequel "le meurtre, cela peut être une option": "Si la sensation était à ce prix? Le caprice n'est que le pendant de l'ennui et, comme lui, n'est ni bon ni mauvais.

 

Franck sait d'ailleurs très bien lui-même ce qu'est l'ennui. Plutôt que de rentrer à New-York, ce lecteur de l'occultiste Joséphin Peladan se distrait avec cette affaire, qui n'en est pourtant pas une pour lui, un divertissement plutôt, un caprice, de la première importance...

 

Au cours de son enquête, Franck pourra donc exercer son sens particulier de l'humour, éclater de rire à de multiples reprises, trouver que la bêtise peut être belle, se conforter dans son idéal de pureté, tirer quelques traits de cocaïne et, même, en tirer un sur l'amitié...

 

Après la déraison, la raison retrouve finalement tous ses droits, même si elle laisse quelques zones d'ombre. Au bout de trois jours d'errements le shérif et le détective privé arriveront chacun de leur côté aux mêmes conclusions. La toile de fond de cette histoire étant l'Amérique d'après la crise des subprimes, qui a laissé des séquelles contrastées.

 

Dans la périphérie de Boston, il y a ainsi des quartiers tranquilles tel que celui où habite Paul McCarthy et sa famille: "De modestes maisons mitoyennes séparées par des pelouses impeccables s'échelonnent le long de Peacock Street et de Mount Auburn. Dans les jardins fleurissent les grills chromés, les tables et les chaises en plastique, les niches en bois laqué et les balançoires réputées "sécuritaires"."

 

Mais il y a aussi dans cette périphérie des quartiers dangereux tel que celui d'où provient peut-être l'assassin et où, pour les habitants - des ivrognes, des perdus, des tout-à-fait béants -,"se réveiller, se lever, s'habiller, n'a pas beaucoup plus de sens que de mourir ou de tuer quelqu'un": "Tabasser une vieille ou s'allumer un joint, se tuer ou ouvrir une canette de Coca, kif kif."

 

Ce roman est celui des contrastes, entre les différents quartiers de la périphérie de Boston, entre les sorts échus aux différents habitants d'une Amérique post-crise des subprimes, entre les personnages ordinaires comme Paul et extraordinaires comme Franck (en quête perdue de ses semblables), entre une vilaine et trouble affaire et le style bel et précis de la narration.

 

Francis Richard

 

Trois gouttes de sang et un nuage de coke, Quentin Mouron, 224 pages, La Grande Ourse

 

Livres précédents de l'auteur, parus chez Olivier Morattel Editeur:

 

La combustion humaine (2013)

Notre Dame de la Merci (2012)

Au point d'effusion des égoûts (2011)

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  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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