Le titre du livre de Richard Liardet, Swiss I.D (pour, je suppose, Swiss Identity Documents), confirme qu'il s'agit bien d'une autobiographie d'un Suisse, comme l'"hauteur" le déclare dans sa préface.
Cette préface se termine par un avertissemen
"Je rappelle [...] (au besoin) que cette histoire ne fait aucunement l'apologie de la drogue et qu'elle ne peut être bonne que consommée avec modération (la drogue, pas Swiss I.D)."
Eh bien j'ai suivi le conseil implicite: j'ai bu ce livre cul sec, je veux dire que je l'ai lu d'une traite...
Pourquoi cet engouement? Parce que ce témoignage sur l'empoisonnement d'une personne par les drogues n'est pas, comme le dit Eric Vieljeux, cité en quatrième de couverture, un énième "testament de junkie repenti".
Swiss I.D est l'histoire d'une grosse tranche de vie, de dix-sept à trente-six ans, dans laquelle "tous les ingrédients pour faire un bon roman [...] sont réunis" et qui est jalonnée de "relations amoureuses qui passent" et d'"amis qui trépassent".
Tout incompétent que le lecteur puisse être en matière de drogues, il n'a aucun mal à être convaincu de l'authenticité du récit, de par les descriptions des différentes modalités de prises de drogues expérimentées par l'auteur et, surtout, de par leurs effets sur lui, qui ne peuvent qu'avoir été réellement ressentis.
En 1989, en première année de l'Ecole des arts décoratifs de Genève, qu'il intègre à dix-sept ans, Richard découvre qu'"il existe une quantité faramineuse de drogues diverses, aux effets variés, de synthèse ou gracieusement offertes par dame nature, autrement nommée DIEU", en compagnie d'une joyeuse bande d'étudiants comme lui.
Pendant les années qui suivent, Richard participe au Paléo Festival de Nyon de 1989, fréquente dès 1990 le squat des Eaux-Vives à Genève, se rend en 1991 à Paris avec Barbara, son "amour platonique", pour assister à l'enterrement de Serge Gainsbourg...
Ce n'est qu'en troisième et dernière année d'école que lui et ses amis envisagent d'acheter de l'héro qui manquait à leur arc et qu'ils expérimentent au bout d'une soirée bien arrosée, après avoir fumé quelques pétards... Puis ils passent leurs vacances à Ibiza, qui, sans drogue, ne serait pas Ibiza...
Embauché à la rentrée chez le traiteur de l'hôtel Richemont, Richard s'installe avec des amis dans un immeuble vide, rue de la Filature, à Carouge, une HLI (habitation à loyer inexistant...). Le sous-sol est aménagé en cage à sons, où il fait ses premières armes de DJ...
Avec son ami Fabrice, Richard a conclu un pacte: ils ne consommeront jamais de l'héroïne l'un sans l'autre. Mais Fabrice ne le respecte pas et ils s'éloignent l'un de l'autre.
Richard a un nouveau travail, coursier chez DHL. Il fait la connaissance de Nat, qui est assistante de direction dans une fiduciaire. Tous deux forment un beau couple. Sous l'influence de Richard, Nat, jusque-là habillée classique, finit par changer de garde-robe et par opter pour une vie alternative...
Fabrice revient, s'installe au squat de la Filature (qui pour la première fois accepte un tox dans ses murs) et respecte à nouveau, tant bien que mal, le pacte. Mais un jour, ce qui devait arriver arrive, Fabrice meurt d'une overdose.
Les policiers ont tout retourné dans la chambre de Fabrice. Ils n'ont pas vu ou pas voulu voir qu'il avait laissé sous le drap de son lit un sachet d'héro à moitié plein. Richard le découvre et a cette idée étrange de "vouloir finir la drogue assassine":
"Certains auraient maudit toute la chaîne des narcotiques, moi je n'en voulais pas à cette poudre. Au contraire, elle me rapprocherait de Fabrice, une dernière fois mon complice."
En rentrant d'une tournée, Richard tombe de haut quand Nat lui annonce qu'elle rompt avec lui parce qu'il ne lui apporte plus rien. Son premier réflexe est alors de "se défoncer pour tenter d'oublier [...] sa nullité": après la mort de Fabrice, la trahison de Nat a achevé de tuer sa naïveté.
Richard met alors le doigt dans un engrenage, dont il ne sortira que quelques amours et amitiés défuntes plus tard... non sans avoir chuté à plusieurs reprises.
En connaisseur, Richard écrit:
"Gober ecstas et acides, fumer du hasch ou de l'herbe, reste anodin tant que c'est bien maîtrisé et pris dans de bonnes conditions."
Il n'en est pas de même des drogues dites dures:
"Prendre des drogues dures est une approche camouflée du suicide. On le sait dès le départ."
Il décrit l'état de dépendance physique à laquelle conduit l'héro et qui se traduit par une consommation toujours plus grande pour conserver les mêmes sensations:
"On commence rarement en se shootant. La toxicomanie est une immersion lente dans un magma glauque. On injecte parce qu'il le faut, pour le flash, au-delà de l'effet inhérent à l'héro, c'est le flash lui-même, c'est la montée en bloc de l'effet qui est recherché. Plus tard c'est même la gestuelle qui est source de manque, certains tox s'injectent même de l'eau."
L'histoire finit bien. On s'en doute. Sinon, il n'y aurait pas d'histoire, ou plutôt pas d'auteur pour la raconter, et confesser:
"A trente ans, après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts durant presque huit ans, avoir volé oeufs et boeufs, côtoyé l'immonde désespoir humain, fumé comme un condamné, j'étais usé, sur les rotules."
Comment a-t-il réussi à se "poser sur le tarmac tiède de la normalité"?
"De la vie et de ses excès j'avais plus qu'abuser. Je ne regrettais rien de mon parcours, si ce n'est le mal que je faisais aux gens qui tenaient à moi. On peut se laisser mourir seul, mais on ne doit pas faire endurer cela à quiconque. J'avais la chance d'avoir famille et amis, c'est pour eux que je devais le faire; quitter ce monde immonde."
C'est ainsi que Richard Liardet a quitté Genève, gare, héro, pour Paris, où il lui a fallu quelques années encore pour tourner définitivement la page de cette tranche de vie, qu'il raconte sans dissimuler ses faiblesses et ses responsabilités, avec beaucoup d'autodérision...
Francis Richard
Swiss I.D, Richard Liardet, 254 pages, Editions Baudelaire