C'est dans le cadre de la Bibliothèque Chauderon de Lausanne qu'a lieu ce soir la dernière rencontre de la saison 2014-2015 de l'association littéraire Tulalu!?. Dans ces murs, qui dépendent d'elle désormais et qui sont en quelque sorte devenus les siens, Isabelle Falconnier, Déléguée à la politique du livre de la ville de Lausanne depuis le 1er avril 2015, anime avec beaucoup de finesse cette rencontre dont l'invité est Etienne Barilier.
Etienne Barilier est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages, essentiellement des romans et des essais. Pour le moment, il n'a fait qu'une incursion dans le monde théâtral. A la demande du quatuor Terpsycordes, il a en effet écrit le texte d'Une visite à Beethoven, sur musiques de Richard Wagner et de Ludwig van Beethoven.
Pour l'écrivain, le contact avec les lecteurs est important. Car l'écrivain est un solitaire. Etienne Barilier écrit d'ailleurs sans se laisser distraire ni par la vue du lac, ni par l'écoute de la musique. Naguère il était encore en contact chaque semaine avec des étudiants. La rencontre de ce soir est donc la bienvenue, puisqu'elle lui permet, entre autres, d'établir un tel contact.
Le comédien Jean-Paul Favre lit un premier extrait, tiré du premier livre d'Etienne Barilier, Orphée, écrit à vingt ans et publié en 1971. C'est l'occasion pour l'écrivain de rendre hommage à Vladimir Dimitrievic qui lui a donné sa chance et de dire qu'il ne relit jamais les livres qu'il a écrits précédemment. C'est pourquoi, ce soir, à cette première lecture, il redécouvre un autre lui-même, oublié. Il ne renie rien, bien entendu. Il assume, mais il mesure le chemin parcouru depuis ce premier livre.
Que dirait-il à un jeune qui veut écrire et qui lui demanderait conseil? Il lui dirait sans détour: "Allez-y !", comme lui dit jadis Dimitri. Pourquoi écrit-il? Il ne le sait pas vraiment. Il a envie de répondre comme Cendrars: "Parce que." En fait, il cherche à comprendre le monde. D'écrire des romans ou des essais lui permet de le faire, parce qu'ainsi il peut s'interroger et livrer, en écrivant, quelques réponses non définitives à ses interrogations.
Le deuxième extrait lu par Jean-Paul Favre est tiré de Piano chinois, roman épistolaire, publié en 2011, dans lequel s'affrontent deux critiques musicaux au sujet d'une interprète chinoise, Mei Jin. Cette dispute est une manière d'illustrer la subjectivité du goût en matière d'art.
Etienne Barilier ne croit pas pour autant qu'il ne faille plus parler de chefs-d'oeuvre aux jeunes générations. Certes il n'existe pas d'objectivité dans l'appréciation des oeuvres d'art. Emmanuel Kant parlait cependant d'"universel subjectif". Car la décantation du temps opère. Et on n'aime pas Shakespeare ou Proust parce que c'est la mode ou qu'il est de bon ton de les aimer, mais parce qu'ils apportent quelque chose de substantiel.
Etienne Barilier souligne enfin les liens étroits qui existent pour lui entre la musique et l'écriture, où les sonorités des mots s'ajoutent à leur signification et où le temps joue un rôle, ce qui n'est pas le cas de la peinture. Et il invoque Thomas Mann, qui se voulait musicien de la littérature. Etienne Barilier ne se contente d'ailleurs pas d'écouter de la musique, il joue du piano, modestement dit-il. Mais cela lui apporte beaucoup.
Etienne Barilier est resté fidèle à la musique de Frédéric Chopin. Il ne croit pas que ce soit un musicien que l'on aime spécifiquement quand on est jeune. De même, parmi les écrivains, il en est un pour lequel il a une particulière dilection, qui ne s'est pas démentie avec le temps, Albert Camus, auteur de romans, d'essais et...de théâtre.
Un extrait de Nous autres civilisations... Amérique, Islam, Europe, publié en 2004, est lu par Jean-Paul Favre. Il est toujours d'une criante actualité. Il montre qu'Etienne Barilier a cherché à comprendre l'autre et ne s'est pas contenté d'expliquer le terrorisme islamiste en disant que l'Occident n'avait rien à offrir aux peuples d'islam.
Comment un essai lui vient-il à l'idée? Il donne l'exemple de l'essai qu'il est en train d'écrire et qui est dans la ligne de celui qu'il a écrit en 2004. Pour cela, il part de plusieurs pistes:
- Une phrase de Montesquieu: "Il faut honorer la religion, ne la venger jamais." Phrase dont il essaie de reconstituer le contexte qui a conduit le philosophe à l'énoncer;
- Un livre de Hans Magnus Enzensberger, Le perdant radical, dans lequel l'auteur soutient la thèse contestable comme toutes les thèses, mais intéressante, selon laquelle le terroriste islamiste se comporte comme le forcené qui a subi un échec et qui fait un massacre (plus récemment il y a l'exemple du pilote qui a entraîné dans sa mort tous les passagers d'un avion);
- Un livre d'Ernst Jünger, dans lequel l'auteur sacralise la guerre et célèbre aussi bien la mort des autres que la sienne, tuer et être tué.
La dernière lecture faite par le comédien est extraite d'Un Véronèse. Dans lequel un jeune homme est amoureux de deux femmes à la fois, une jeune et... une moins jeune. Cette fois encore il est question d'art, pictural. Etienne Barilier se dit agnostique, c'est-à-dire qu'il est ni croyant, ni athée. Il ne sait pas, tout simplement. Mais il sait qu'il y a de la transcendance dans l'art, une transcendance indéfinissable.
En 1997, il écrivait un essai intitulé Martina Hingis ou la beauté du jeu. Pourquoi n'écrirait-il pas un livre sur Roger Federer? Pourquoi pas. Mais il pourrait tout aussi bien écrire un livre sur Lionel Messi. Car ce qui l'intéresse en tant qu'écrivain, c'est le mélange de lutte et d'art qui coexistent dans le sport.
Isabelle Falconnier remarque que les protagonistes des romans d'Etienne Barilier sont tous des artistes... et qu'aucun n'est écrivain. Etienne Barilier acquiesce et répond que vraisemblablement, sans doute, il n'a pas de penchant pour l'autofiction, avec le regard de soi, en biais, qui la caractérise. Aussi bien aucun de ses romans n'est-il autobiographique, s'il y met toutefois une part de ce qu'il pense.
Pour terminer, Etienne Barilier lit lui-même le tout début de son prochain roman, Les cheveux de Lucrèce, à paraître fin août chez Buchet Chastel. Ces cheveux blonds, de la fille d'un pape Borgia, conservés dans un reliquaire laïc, tels que décrits, donnent bien envie de connaître leur histoire...
Francis Richard
Derniers romans d'Etienne Barilier:
Piano chinois, 144 pages, Zoé (2011)
Ruiz doit mourir, 320 pages, Buchet Chastel (2014)