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1 octobre 2016 6 01 /10 /octobre /2016 16:00
Question d'honneur, de Janine Massard

Les moeurs ont beaucoup changé au cours des dernières décennies. Dans l'immédiate deuxième après-guerre mondiale, dans les villages, en Pays de Vaud, règne encore ce que l'on appelle l'ordre de Dieu, qui peut, malheureusement, conduire au plus grand désordre.

 

Dans ces bourgades trois personnages incarnent cet ordre transmis de génération en génération: le pasteur, maître de l'âme, l'instituteur, modèle et relais entre le peuple et le ministre du culte, et le Syndic, qu'à Genève on appellerait maire et qui assure le côté matériel de l'association:

 

Tous se retrouvent à l'église le dimanche, avec femmes et enfants, se raccordant ainsi à l'univers.

 

Louis Combe, né en 1905, fils d'Abram, paysan, n'a pas succédé à son père: il est devenu l'instituteur du village. En 1929, il a épousé Marianne, née en 1910, fille d'un riche vigneron. Elle lui a donné deux filles, Gisèle, née en 1930, et Floriane, née en 1939. 

 

Un jour d'hiver de 1947, Marianne se rend compte en triant les linges que, dans ceux de sa fille Gisèle, les anglais n'ont plus débarqué depuis longtemps. Elle profite d'un moment où elles sont seules toutes les deux pour lui demander ce qui lui est arrivé.

 

A la suite d'un bal, l'été précédent, Gisèle, ayant bu, a dansé la valse avec un garçon, elle a tournoyé, tournoyé, a senti qu'on soulevait sa jupe légère, qu'on la touchait par en-dessous... C'est alors qu'elle est tombée dans les pommes. Quand elle a recouvré ses esprits:

 

Il n'y avait plus personne, j'ai pensé à un cauchemar mais j'étais en vrai allongée par terre, il y avait du sang sur ma culotte et sur ma jupe aussi, alors je suis rentrée à la maison comme un automate, sans rencontrer personne, pas même un chat sur le chemin du retour...

 

Depuis, elle s'est tue. Comme sa mère se tait toujours: Les femmes sont là pour obéir, en plus elles sont toujours fautives, ça doit venir du péché originel..., dit-elle à sa mère. Elles sont fautives, même lorsque, comme c'est à l'évidence le cas, elles ont été forcées, victimes de la brutalité des hommes:

 

Les filles doivent se garder pour leur mari à qui elles doivent soumission et obéissance. C'est qu'on n'est pas un pays de mots, ici, mais de vignes et ... d'ivresses aussi.

 

Quand Louis apprend le déshonneur de sa fille, il prend les choses en mains. Il n'est pas question que cela se sache, c'est justement une Question d'honneur : il lui faut chercher une solution qui n'entache pas sa réputation de père; son statut de personnage dans la vie de cette commune engendre un devoir d'exemplarité.

 

Il faut se taire sur cette vérité qui dérange l'ordre établi. Il faut sauvegarder les apparences. C'est ce qui l'emporte sur tout le reste. Et, effectivement, le secret de la grossesse, qui ira jusqu'à son terme, sera bien gardé, comme le secret de ce dernier:

 

L'accouchement s'est passé dans la cuisine, lieu imposé par le père. L'enfant est sorti du ventre un mois après Noël, par une nuit glaciale. Gisèle n'a pas eu à crier: tout s'est passé avec une facilité déconcertante, comme une lettre à la poste...

 

Le secret sera d'autant mieux gardé que l'enfant est mort-né... et qu'on fera disparaître à jamais  son petit corps. On ne se rendra pas compte que Floriane, la cadette, en guetteuse apeurée, blottie contre un des pieds du piano, dans la pièce d'à côté, sans rien voir, a tout entendu, deviné...

 

Cette nuit sinistre aura des conséquences terribles, que raconte Janine Massard, sur tous les membres de la famille pendant leur existence. Ce sera, en se taisant, le lourd tribut que verseront aux apparences sauvegardées Marianne, Gisèle et Floriane. Louis lui-même paiera le prix fort de ce silence...

 

C'est une histoire comme Jacques Chessex aimait à en raconter, est-il dit dans le prologue:

 

S'il avait été encore vivant en ce jour de juin 2012, alors que je l'entendais pour la première fois, je la lui aurais rapportée pour qu'il l'écrivît à sa manière, tant il excellait à décrire ces événements qui se sont déroulés dans des bourgades protestantes que l'on croyait, du fait de l'esprit rationnel de cette religion, exemptes de dispositions provenant du fin fond des âges barbares.

 

Janine Massard a écrit cette histoire à sa manière et, sa modestie dût-elle en souffrir, elle excelle à décrire ces temps féroces, pas si éloignés que ça, où les femmes n'avaient pas leurs mots à dire, quittes à voir leurs vies empoisonnées et consumées par ces non-dits. Peut-être fallait-il d'ailleurs que ce soit une femme qui leur donne la parole, une parole confisquée alors par les hommes.   

 

Francis Richard

 

Question d'honneur, Janine Massard, 216 pages Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents:

 

Gens du lac, 192 pages, Bernard Campiche Editeur (2013)

Terre noire d'usine, 292 pages, CamPoche (2014)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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