Et puis, tant que Myriam partira vers les vingt ans de ses grands-parents, elle n'ira pas chercher dans ses vingt ans à elle...
Anne pense ainsi quand elle dépose sur la table de son bureau, redevenu depuis peu la chambre de sa fille, le vieil album de photos que Myriam a déjà retrouvé, auquel elle en ajoute six autres.
Myriam, trente-cinq ans, a quitté la maison maternelle il y a quinze ans. Après sept ans de vie commune avec Christian, ce dernier vient de rompre avec elle et elle a dû partir de son appartement.
Après la mort de David, trente-cinq ans plus tôt, Anne n'a plus voulu aimer d'autre homme. Sa fille adoptive, avec laquelle elle a pourtant bien du mal à s'entendre, lui a permis de rester en vie.
Juste après la mort de David, Anne a ramené Myriam d'Afrique, où elle est née. Anne n'est pas très diserte sur les origines de Myriam qui a le teint satiné: elle est café au lait, marron chaud...
Lorsque Myriam était enfant, Anne partait seule, chaque année, pendant presque tout l'été: elle la confiait à ses grands-parents, Jean et Mathilda. Mais, aujourd'hui, Jean et Mathilda sont morts.
Myriam n'a donc pas pu trouver refuge chez eux et l'a demandé à sa mère, qui l'a hébergé de mauvais gré, habituée à être seule et mal à l'aise quand Myriam l'interroge sur son passé à elle:
Non, Anne n'aime pas les souvenirs, ces représentations d'un temps passé qu'on réinvente. Encore moins les photos quand elles sont affectives et racontent nos vies dans des fictions banales, qui se ressemblent toutes.
Si Anne ne veut rien donner d'elle, au risque de donner David, et de livrer son terrible secret, elle a sorti les albums, puis un paquet de lettres, et va contacter Olympia, pour qu'elle reçoive Myriam.
Olympia est la mère de David, qu'elle a tellement aimé et qui a tari tout l'amour qu'elle avait quand il a disparu: avec elle, elle apprendra tout ce qu'elle veut savoir, sauf peut-être qui sont ses parents...
Avec Olympia, Myriam reconstitue le passé de sa famille et fait des comparaisons entre les vingt ans de ses grands-parents, ceux de sa mère et les siens, tandis que Anne se souvient de son côté des siens...
La génération de Jean et Mathilda se posait moins de questions. Celle d'Anne a contesté, mais n'a rien pu faire et est convaincue que celle de Myriam n'a pas besoin de penser, que l'émotion lui suffit.
Jusqu'au bout Anne a continué à se taire, à combattre sans cesse toute envie de parler, à juguler les mots pour ne pas se trahir. A la fin elle sait que le temps du secret est passé et venu celui de l'apaisement.
Francis Richard
Vers vos vingt ans, Laurence Voïta, 296 pages, Les Éditions Romann