Ma mère, c'était un hibou. Celui des livres, des sorcières, de la nuit, celui qui vous fait peur quand il tourne tout à coup la tête pour vous regarder de dos. Celui dont on entend le cri dans la nuit noire, ce cri qui vous glace le sang et qui sort de la nuit des temps. Celui qui vous rappelle que l'heure de la mort n'est jamais loin.
Sarah vient consulter. Elle va être mère, elle angoisse si c'est une fille. En attendant, elle pense à sa mère, qu'elle compare à un hibou: elles ne se comprenaient décidément pas et étaient tellement dissemblables.
Dans la salle d'attente du gynécologue, les effluves de l'enfance la prennent à la gorge. Une reproduction de différentes études de Kandinsky sur le mur de droite n'y est pas pour rien: leurs couleurs se mettent à vibrer.
Elle profite de ses longues minutes d'attente pour refaire le voyage de sa vie et de l'emprise qu'avait sa mère sur elle et à laquelle elle n'échappait qu'en s'isolant, ce qu'elle aimait, tout en en souffrant, le prix à payer.
Dans cette remontée à la source de ce qu'elle est devenue du fait de l'omniprésence de sa mère dans sa vie, il y a un avant et un après les deux ans que celle-ci aura passés en EMS et qui la transfigurent peu à peu.
Car le contraste est grand entre la femme rebondissant en toutes circonstances, se montrant autoritaire ou charmeuse, pratiquant l'autodérision et l'humour, et la femme qui accomplit une lente descente vers la mort.
Dans son récit sa fille mêle ses souvenirs d'avant aux visites qu'elle lui rend dans des hôpitaux, dans une clinique psychiatrique ou à l'EMS. À la fin le tri se fait; elle a cette révélation sur elle, aveugle sur le tard:
Durant son avancée vers la mort, elle s'était dirigée vers la lumière.
Francis Richard
La mort du hibou, Ann-Kathrin Graf, 148 pages, Plaisir de Lire