Le titre de ce recueil de poèmes, en vers et en prose, ne peut qu'interpeller ou faire voir rouge, c'est selon.
En effet Pourquoi je suis communiste est un tantinet provocateur, quand on sait ce qu'on sait sur la mise en application de l'idéologie qui correspond à l'adjectif.
Les épigraphes du recueil donnent-elles une indication sur le sens qu'en l'occurrence il faut donner au titre?
La citation d'Alain Badiou en donne une, surtout la dernière phrase:
L'amour, c'est le communisme minimal.
Sans doute serait-il préférable d'en rester à cette forme-là de communisme...
La citation de Charles Baudelaire relève du bon mot:
Avis aux non-communistes: Tout est commun, même Dieu.
Elle est tirée de Mon coeur mis à nu où le poète, émule de Joseph de Maistre et d'Edgar Poe, fait, au contraire, l'éloge de l'individu et de l'aristocrate:
Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne pensent qu'en commun, en bandes.
[...]
Qu'est-ce que l'homme supérieur? Ce n'est pas le spécialiste. C'est l'homme de loisir et d'éducation générale. Être riche et aimer le travail.
L'idéal communiste est donc bien éloigné de ses propos... d'autant que, pour lui, il n'existe que trois êtres respectables: le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer, créer.
Alors force est de constater que le lecteur ne doit pas s'en tenir là. Il n'a qu'une chose à faire: en en savourant la forme, lire le recueil, qui comprend quatre parties, c'est-à-dire les étapes de l'histoire d'un amour charnel: Rencontre, Engagement, Rupture, Vanité.
Cet amour que le poète Quentin Mouron chante, enchante, déchante, désenchante, est bien un communisme minimal qui peut parler à n'importe quel lecteur.
Ainsi trouvera-t-il juste et universel ce que dit l'amante à l'amant poète dans Rencontre, qui vante les mérites du couple sans lequel un être ne serait pas humain:
S'aimer c'est être responsable à deux de ce qui aurait pu ne jamais arriver.
De même, dans Engagement, un être particulier serait incomplet s'il ne se souciait pas du monde qui l'entoure:
Tu me dis que tu m'aimes mais
Tu me le dis en tremblant tu dis
Que dans un tel monde
On n'aime qu'en tremblant
De peur d'indignation de colère
Un monde où, selon Jean-Paul Sartre, ceux qui ont le temps s'opposent à ceux qui ne l'ont pas, sauf celui qu'on leur impose de l'extérieur...
Un monde où le titre du recueil prend tout son sens, même si la vision est réductrice et caricaturale, puisque le poète, qu'un autre poète, turc, inspire, Nâzim Hikmet, s'insurge:
... les entreprises les plus emblématiques du capitalisme tardif ne prennent plus la peine de se distinguer des réseaux mafieux et des cartels de drogue: c'est la même fureur monopolistique, c'est la même cruauté érigée en philosophie, c'est le même mépris des petites mains, c'est le même mépris des équilibres politiques, juridiques, sociaux.
Un monde où le salut ne se trouverait que dans la lutte, qui, pourtant, ne mènerait nulle part:
... nous étions immobiles, nous étions résignés, nous étions persuadés que le Même était chevillé à notre vie, qu'il n'y aurait rien d'autre que cette vie, qu'il n'y aurait rien d'autre que ce monde...
Dans Rupture, cette histoire d'un amour, comme tout, a une fin, y compris ce qui est beau:
C'est une rupture
Facile
Comme l'amour
Comme l'été
Torpide
Comme l'été
Passé
Comme l'été
Joyeux.
Cette étape ne se termine pas sans regrets:
... je pense à toi et je pense à nous et je pense à tout ce qui n'a pas eu lieu, et je pense à tous les voyages que nous n'avons pas faits, et je pense à tout ce que nous ne nous sommes pas dit.
La fin des fins, c'est la mort. Vanité clôture en effet le recueil par trois poèmes funèbres, dont le dernier est un Requiem en l'honneur de la dédicataire, Jeannine Mouron, et où les derniers vers expriment le désabusement:
- Et ton cercueil
Attendait
Sagement
Sur les dalles
Sans éclat
De l'église
Où tu aimais
Prier
Sous les vitraux sans art
De l'église
Où tu aimais
Chanter
Sous le Christ sans joie
De l'église
Que tu avais aimée.
Francis Richard
Pourquoi je suis communiste, Quentin Mouron, 170 pages, Olivier Morattel Éditeur
Livres précédents:
Au point d'effusion des égouts, Olivier Morattel Éditeur (2011)
Notre Dame de la Merci, Olivier Morattel Éditeur (2012)
La combustion humaine, Olivier Morattel Éditeur (2013)
Trois gouttes de sang et un nuage de coke, La Grande Ourse (2015)
L'âge de l'héroïne, La Grande Ourse (2016)
Vesoul le 7 janvier 2015, Olivier Morattel Éditeur (2018)
Jean Lorrain ou l'impossible fuite hors du monde, Olivier Morattel Éditeur (2020)