Dans une étude ( ici ) publiée ce mois-ci par l'Institut Constant de Rebecque ( ici ), Pierre Bessard raconte qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Sous la Rome antique, comme en Europe médiévale, et encore de nos jours, la propriété immobilière est un objet d'imposition privilégié et non dissimulable, quelle que soit la forme revêtue par l'Etat. En intervenant dans ce domaine, comme il le fait dans d'autres où il n'est pas compétent, l'Etat se mêle de ce qui ne le regarde pas. Le choix de la location ou de la propriété immobilière pour se loger devrait être purement individuel : "Toute immixtion politique dans les choix individuels de logement est inévitablement injuste et mène à des distorsions du marché et à des coûts plus élevés pour les investisseurs et les consommateurs".
L'Etat jette le discrédit sur les propriétaires de manière sournoise. En effet il les oppose aux locataires dans la plus pure tradition marxiste. Alors que le propriétaire a fait le choix de devenir propriétaire en dépensant son épargne ou un capital, éventuellement emprunté, le locataire a fait un autre choix qui peut très bien être celui "de bénéficier d'une plus grande mobilité à des coûts moindres de transaction". Seulement le propriétaire est automatiquement considéré comme riche par définition étatique, et doit absolument être comparé au locataire, qui est pauvre par définition également étatique, quel que soit le montant du loyer qu'il acquitte.
Pour ce faire un concept redoutable a été inventé, celui de la "valeur locative". Si le pauvre locataire loue à un riche propriétaire - désolé pour le pléonasme -, le riche propriétaire est considéré comme se louant à lui-même ce même logement s'il vient à l'occuper lui-même. Autrement dit qu'il l'occupe ou non, le riche propriétaire tire un revenu réel dans un cas, fictif dans l'autre de sa propriété immobilière. Ce revenu fictif s'appelle "valeur locativre". Il y a toutefois une différence palpable entre ces deux revenus. C'est que dans un cas sa bourse se remplit, tandis que dans l'autre elle reste plate, voire se vide.
La détermination d'un revenu fictif ne peut qu'être arbitraire. En l'occurrence c'est l'Etat qui joue le rôle d'arbitre dans cette détermination. Dans ce rôle d'arbitre il ne peut qu'être partial puisqu'en définitive c'est pour calculer l'impôt qui va lui revenir que "la valeur locative" va être déterminée. En imposant "la valeur locative", l'Etat opère une redistribution dont il est coutumier et qui lui permet de masquer son véritable but : "Avec les paravents de l'égalité de traitement et de la capacité contributive, l'Etat cherche simplement à étendre l'assiette fiscale au maximum de ce qui est à la fois réalisable et acceptable politiquement".
L'impôt sur "la valeur locative" est en quelque sorte la cerise sur le gâteau fiscal dont l'Etat se paye une tranche toujours plus grande. En effet outre cet impôt le propriétaire devra acquitter l'impôt sur la fortune, c'est-à-dire sur la valeur vénale de sa propriété immobilière - dont l'estimation pourra être tout autant arbitraire que celle de "la valeur locative" - et l'impôt foncier sur le morceau de territoire occupé par sa propriété - "comme si l'ensemble du sol appartenait à la collectivité et que les propriétaires devaient payer un droit additionnel pour utiliser leurs propres biens".
Quand il y a transfert de droit sur des biens immobiliers, un droit de mutation sur ces biens est perçu, de même qu'au niveau cantonal un impôt sur les gains immobiliers si des bénéfices sont obtenus lors d'un tel transfert. Là encore le propriétaire qui vend sera confronté à l'arbitraire de l'évaluation de tels bénéfices. Il ne recevra évidemment pas de compensation en cas de pertes : il ne faut tout de même pas rêver. La fiscalité ne joue que dans un seul sens, en direction des caisses de l'Etat.
Pour parachever le tableau la réglementation s'ajoute à l'imposition pour fausser le jeu du marché. Pierre Bessard met le projecteur sur trois points : le rôle des "zones agricoles", la Lex Koller, le droit du bail.
Alors que l'habitat et les infrastructures ne représentent que 6.8% du territoire helvétique, "on" ose parler de bétonnage. Il conviendrait de libéraliser les terres agricoles (36,9% du territoire), les agriculteurs ne représentant que 2.5% de la population active et 1% du PIB. L'abrogation de la Lex Koller qui limite l'acquisition de biens immobiliers par des personnes à l'étranger rendrait fluidité et attractivité au marché. Le droit du bail, qui se traduit par une "protection des locataires", en réalité aboutit "à une offre insuffisante ou inadaptée, au détriment des locataires".
En application du principe des calamités énoncé par Michel de Poncins (voir mon article Prix unique des calamités interventionnistes: 700 milliards de dollars ), "les problèmes causés par l’imposition et la réglementation sont ainsi utilisés pour appeler à toujours plus de réglementations et d’interventions. L’expression la plus absurde de la spirale interventionniste de l’État aboutit sans surprise, après toutes les entraves placées au marché, à des subventions pour la construction ou la rénovation de logements et trouve son apogée dans l’étatisation de l’offre".
Cette étatisation de l'offre est manifeste dans les villes : "A Genève, la Ville contrôle un peu plus de cinq pour cent des logements tandis que le Canton subventionne quelque 11 pourcent des logements de l’ensemble du parc immobilier. Zurich connaît une situation similaire : le quart des logements sont « d’utilité publique » et la Ville est elle-même propriétaire de 6,5 pour cent des appartements".
Pierre Bessard conclut : "Une flexibilisation de l'aménagment du territoire, une libéralisation du droit du bail et une baisse sensible de l’imposition multiple et arbitraire qui pénalise les propriétaires permettraient à l’offre d’objets immobiliers de mieux s’ajuster à la demande – au bénéfice des propriétaires comme des locataires".
Francis Richard