Le diagnostic établi par Patrick Artus et Marie-Paule Virard est sévère.
En effet les banques centrales seraient folles. Que font-elles pour mériter pareil qualificatif?
Depuis 2010, une fois passé le plus fort de la crise:
- elles pratiquent des taux d'intérêt proches de zéro;
- elles augmentent vertigineusement la liquidité, autrement dit elles créent de la monnaie à tout va.
Les auteurs remarquent: Le flot de liquidités entretient l'anesthésie généralisée et nourrit l'ampleur des mouvements que l'on observe sur le prix des actifs (actions, obligations, immobilier) comme sur les taux de change.
Une des conséquences est qu'ont disparu les primes de risques entre investissements comportant un risque et investissements sans risque, alors qu'elles sont censées représenter le rendement supplémentaire justifié par la prise de risque: leurs écarts de rendement, leurs spreads, sont comprimés...
Le but de cette politique monétaire, pratiquée à l'échelle planétaire, est, en l'absence d'inflation des prix des biens et des services et en présence de bulles sur les prix des actifs (une banque centrale peut toujours créer de la monnaie pour acheter des actifs), de s'occuper de la croissance et de l'emploi, avec l'illusion de créer de la richesse par stimulation de la demande...
Pour les interventionnistes de toute sorte, c'est le seul outil qu'il leur reste pour faire des dégâts. En effet la politique budgétaire pour relancer l'économie n'est plus possible en raison des taux d'endettements stratosphériques, qu'ils soient publics ou privés. Alors, la politique monétaire se résume à mettre une plus grande quantité en circulation plutôt que d'agir sur son prix.
Comment? Non pas, comme dans le bon vieux temps, en faisant marcher la planche à billets, mais en rachetant de la dette publique ou privée à des institutions financières. Ce processus est appelé, magnifique euphémisme, assouplissement quantitatif, c'est-à-dire, en français dans le texte, quantitative easing. Qu'en termes galants ces choses-là sont dites!
Comment cela se traduit-il? Par une augmentation des réserves des institutions financières, ce qui leur permet de créer de la monnaie sous forme de crédits à taux faible aux entreprises et aux particuliers, qui retrouvent une marge de manoeuvre pour investir ou consommer, ce qui est censé doper l'activité et la croissance.
Mais, surprise, cela ne les dope pas. Au contraire cela incite les agents économiques fragiles à persévérer dans leurs mauvaises habitudes et cela débouche sur une mauvaise allocation de l'épargne: cela favorise le développement de la partie de l'économie liée aux prix des actifs, à l'endettement, à la spéculation...
A la longue cela se traduit par une contraction de l'économie, par l'explosion des bulles, par une crise de l'endettement. Ce sont les effets pervers des taux bas à long terme, que les banques centrales ne peuvent plus remonter sans risquer d'avoir un effet catastrophique sur les finances publiques comme sur les dettes des emprunteurs privés...
Dans le passé la politique monétaire se résumait, selon les auteurs, à un arbitrage à court terme entre chômage et inflation, en jouant sur les taux d'intérêt. Mais, comme l'inflation a disparu, l'arbitrage doit se faire entre chômage d'une part et excès de liquidité et bulles sur les prix d'actifs d'autre part.
Bref, aujourd'hui, les auteurs pensent que les banques centrales devraient répondre aux questions suivantes: quelle est la quantité de liquidité nécessaire au bon fonctionnement de l'économie? Où sont les risques? Comment se donner les moyens de réagir aux crises financières? Et pour y répondre, ils préconisent une coopération monétaire internationale.
Si les banques centrales ne répondent pas à ces questions, si elles ne renoncent pas à leurs politiques expansionnistes, qui deviennent de plus en plus irréversibles, et si des réformes institutionnelles ne sont pas entreprises pour les contrôler, alors toutes les conditions seront réunies pour que de grands mouvements de capitaux se produisent d'une classe d'actifs à une autre, d'un pays à un autre:
Et lorsqu'il s'agit du report massif de capitaux d'un actif risqué vers un actif sans risque, une crise financière peut éclater à tout moment.
Les auteurs concluent: Pour le moment le système tient. Nos "gardiens" de la monnaie peuvent ouvrir les vannes autant qu'ils veulent et chaque fois que l'on en a besoin. Mais s'ils s'entêtent dans une fuite en avant où l'on entretient le mythe du crédit qui crée de la valeur et où le chacun pour soi domine, il faut s'attendre à ce que surviennent des crises financières de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes.
A aucun moment les auteurs ne se posent les questions qui dérangent, mais qui trouvent pourtant leur réponse dans leur diagnostic:
- et si les banques centrales, qui ne sont nées qu'au XIXe siècle (depuis il n'y a jamais eu autant de crises monétaires), n'étaient de toute façon pas la solution, mais le problème?
- et si les politiques monétaires par définition ne pouvaient qu'être nuisibles?
Francis Richard
La folie des banques centrales, Patrick Artus et Marie-Paule Virard, 168 pages, Fayard