L'ère postmoderne se caractérise par des excès en toutes choses. A l'individualisme radical s'oppose l'holisme idéologique. A l'universalisme seul, le particularisme seul. A l'humanitarisme, les traditions idéologisées.
Or, comme le dit Chantal Delsol, si [la vie concrète] se porte bien, ce n'est pas quand elle a atteint un absolu, c'est quand elle a atteint un équilibre. Autrement dit quand elle tient compte de la réalité humaine, complexe et tragique.
Pourquoi le Crépuscule de l'universel? Parce qu'il n'y a d'universel qu'incarné et que l'abandon du bon sens au profit de la seule raison engage les décisions vers des choix radicaux et sans rapport avec les réalités.
Jusque-là, jusqu'à la modernité, en Occident, tout s'est pourtant bien déroulé: La responsabilité collective, signe du holisme, se défait lentement au cours de l'histoire pour laisser place à la responsabilité individuelle.
L'origine en est l'apparition de la transcendance - le puissant support de la fin du holisme - et, avec elle, de la conscience personnelle. L'homme, fils ou image de Dieu, est en effet doué de raison et de conscience.
C'est parce qu'il est fils ou image de Dieu que l'homme est ontologiquement égal: les grandes réformes émancipatrices se font en Occident d'abord à travers des arguments religieux. La pensée paulinienne est égalitaire.
Tout change avec la postmodernité: la transformation de l'humanisme en humanitarisme, traduit une forme de subversion de la religion originelle, l'humain se trouvant réduit à sa dimension biologique et matérielle.
Dès lors l'égalité ne se fonde plus que sur l'évidence. Et la recherche de la perfection temporelle remplace la foi perdue. Or toute exaspération des principes engendre la maladie de l'excès, même si ces principes sont salutaires.
L'humanitarisme, auquel il est désormais un devoir humain de se rallier, valorise la santé biologique au-delà de toute autre considération, tandis que l'humanisme valorise l'homme entier, avec son histoire et ses passions.
L''individualisme sans limites est la marque de l'humanitarisme, alors que la capacité de l'homme à se limiter lui-même, parce conscient de ses responsabilités, est celle de l'humanisme: Un homme, ça s'empêche, disait Albert Camus.
Certain d'avoir raison et de détenir la vérité, l'humanitarisme veut mener jusqu'au bout et tout de suite, chaque libération, ou supposée telle, chaque émancipation en tout cas: c'est une idéologie, qui force mécaniquement les choses.
L'humanitarisme, qu'illustre l'Europe institutionnelle et dont elle se nourrit, a la prétention de représenter la morale totale, veut imposer un ordre moral, et décréter les coutumes: elle est toujours prête à humilier ou bannir ses opposants.
A cette prétention ne peuvent que s'opposer les cultures extérieures qui ont tendance alors à se transformer en idéologies pour lui résister, alors qu'en fait la réponse à cet universalisme culturel se trouve dans des modernités plurielles.
Selon Chantal Delsol, l'Europe institutionnelle aurait dû se fonder sur le personnalisme, où la liberté est située, plutôt que sur l'individualisme, où elle est totale: il faut enraciner la communauté de destin sur des racines vivantes et nommées.
Alexis de Tocqueville n'écrivait-il pas: Le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres?
Francis Richard
Le crépuscule de l'universel, Chantal Delsol, 378 pages, Éditions du Cerf
Livres précédents:
Les pierres d'angle Éditions du Cerf (2014)
Populisme - Les demeurés de l'histoire Éditions du Rocher (2015)
La haine du monde - Totalitarismes et postmodernité Éditions du Cerf (2017)