La biographie que Léonard Burnand a consacrée en 2022 à Benjamin Constant (1767-1830) n'est ni une hagiographie ni une charge contre le romancier ou l'homme politique lausannois.
Le sectarisme dont a fait preuve en particulier un Henri Guillemin à l'égard de l'auteur d'Adolphe n'est pas de mise pour un historien, fût-il le directeur de l'Institut Benjamin Constant.
Ainsi faut-il lui savoir gré de ne rien cacher des défauts de l'homme Benjamin Constant, dont celui-ci était conscient, sans oublier pour autant ses qualités, dont il était également conscient.
Cet homme fut à la fois indécis dans ses amours et constant dans ses principes politiques contrairement aux apparences trompeuses quand il devint par exemple le conseiller de Napoléon.
Benjamin Constant apparaît tel qu'en lui-même il fut: un enfant prodige qui mit du temps à se faire reconnaître, un être passionné et faible, cédant aux turpitudes de la chair et des jeux d'argent.
La rencontre avec Germaine de Staël fut décisive dans son existence, aussi bien pour le bien que pour le mal que ces deux amants et génies de la pensée libérale se sont faits l'un à l'autre.
Quand ils se livrent à des oeuvres de fiction, Corinne, pour Germaine, Adolphe, pour Benjamin, d'aucuns y voient le récit de leur vie réelle, alors qu'ils la réinventent et la transposent.
Marcel Proust 1 reprochera cette facilité aux critiques de ne pas voir qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices...
Même si cette biographie, pourvue d'un appareil de notes, d'une bibliographie et d'un index impressionnants, fait une large place à sa vie intime, sa vie publique en occupe une tout aussi grande.
Constant dans ses principes politiques, Benjamin l'a toujours été et il montre l'exemple quand il fait de la limitation du pouvoir, ce que Burnand appelle la clé de voûte de sa pensée politique:
Il y a une partie de l'existence humaine qui reste individuelle et indépendante, et qui est hors de toute compétence sociale. La souveraineté n'est que de manière limitée et relative. Au point où commence l'indépendance de l'existence individuelle, s'arrête la juridiction de cette souveraineté. Lorsqu'elle s'exerce sur des objets hors de sa sphère, elle devient illégitime.
(Principes de politique, 1806)
Le manque de liberté de la presse, le spectacle que donnent les parlementaires à la tribune de l'Assemblée nationale, font regretter l'orateur qui, dans son discours du 19 avril 1819, y disait:
La tribune et la presse, Messieurs, sont les deux grands bienfaits de notre gouvernement constitutionnel; mais il faut que l'une soit entourée de publicité, comme l'autre de garanties. Il faut que nos discours traversent en tout sens notre territoire pour annoncer à nos commettants que leurs mandataires ne déméritent pas.
Aujourd'hui défendre les libertés individuelles choque les esprits endormis par la doxa. Puisse la déclaration solennelle de sa préface de Mélanges de littérature et de politique 2 les réveiller:
J'ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique: et par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité, tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n'a aucun droit.
Francis Richard
1 - Dans Contre Sainte-Beuve.
2 - Paru en 1829.
Benjamin Constant, Léonard Burnand, 368 pages, Perrin
Chroniques sur quelques écrits célèbres de Benjamin Constant:
De l'esprit de conquête (1814)
Adolphe (1816)
De la liberté des anciens comparée à celle des modernes (1819)
Publication commune avec LesObservateurs.ch