Claude Allègre est un véritable scientifique, membre de l'Académie des sciences française, ce qui devrait être une référence, parmi d'autres, à son actif.
En tout cas, il ne laisse pas indifférent, parce qu'il n'a pas sa langue dans sa poche et qu'il n'hésite pas à prendre des positions à contre-courant des modes intellectuelles.
Quelle que soit l'opinion que l'on ait de lui, il est donc instructif de le lire parce qu'il manifeste une véritable indépendance d'esprit et que ses arguments de poids nourrissent les débats scientifiques auxquels il prend part.
Cela ne plaît évidemment pas aux conformistes de tout poil. Même si je suis loin d'être d'accord en tous points avec lui, cela me plaît [voir mon article du 30.12.2009 sur son livre La science est le défi du XXIe siècle].
Claude Allègre a écrit son dernier livre, Faut-il avoir peur du nucléaire ?, paru chez Plon ici, avec le journaliste Dominique de Montvalon, qui lui a posé les questions pertinentes que le citoyen lambda ne peut manquer de se poser sur le nucléaire depuis l'accident survenu à Fukushima.
L'ancien ministre français de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie souligne que
la centrale nucléaire japonaise a résisté à un séisme de grande magnitude, 8.9 sur l'échelle de Richter, et que c'est un tsunami, et non pas
une cause due à la technologie nucléaire, qui l'a endommagée et qui a provoqué un grand nombre de victimes.
Claude Allègre nous invite à raison garder tout au long de ce dialogue entre un scientifique et un journaliste, et s'en prend aux amalgames faciles, et dénués de fondements
scientifiques, qui ont tout de suite été faits entre Fukushima et Hiroshima, en jouant sur leur consonance et sur l'émotion.
Le nucléaire militaire, autrement plus inquiétant que le nucléaire civil, constitue une véritable menace tandis
que ce dernier présente un véritable risque, ce qui n'est pas la même chose. Pour fabriquer une bombe il faut de l'uranium très pur, ce qui n'est pas le cas pour réaliser un
réacteur moderne.
Le professeur se fait pédagogue pour expliquer en termes simples, et à la portée du pékin moyen, ce que sont la radioactivité, les atomes et leur composition, électrons et noyaux, eux-mêmes
composés de neutrons et de protons, les réactions nucléaires, les rayonnements - qui peuvent avoir des effets bénéfiques -, les isotopes, la fission nucléaire, les bombes...
Quels sont les véritables problèmes posés par le nucléaire ? Parlant des centrales françaises, Allègre répond :
"Ce ne sont ni les séismes ni les tsunamis comme au Japon qui menacent nos centrales. Ce sont les déchets et aussi le futur, mais c'est une question d'une autre
nature.
Les déchets, parce que des solutions actuelles sont insuffisantes et que cette question reste préoccupante.
Le futur du nucléaire est lié aux réserves d'uranium et a sa place dans le problème général de l'énergie avec l'émergence de nouvelles technologies de production d'énergie."
Quel est donc l'avenir de cette technologie ? Il passe par "des filières nouvelles qui produisent moins de déchets et moins dangereux."
Allègre explique ainsi l'intérêt des surgénérateurs de petite taille, qui ont pour vertu de consommer 100 fois moins
d'uranium et de réduire l'activité des déchets, mais qui posent encore le problème du refroidissement et de la sécurité de celui-ci. Dans cet esprit il évoque également le réacteur à thorium
"dont on n'a pas encore construit de protype".
A propos du projet ITER à Cadarache, Allègre ne mâche pas ses mots :
"Malheureusement pour l'instant, c'est une idée totalement chimérique. C'est un projet pour le siècle prochain."
Pour Allègre l'EPR est un réacteur classique modernisé et sécurisé, "excellent réacteur de transition entre les centrales actuelles et ce
que sera la quatrième ou la cinquième génération."
Allègre résume ainsi le programme des écologistes qui veulent diviser par deux la consommation de combustibles fossiles et supprimer le nucléaire :
"Nous nous sommes goinfrés, nos enfants doivent vivre d'une manière frugale."
Allègre constate que le chauffage des immeubles d'habitation et industriels représente 45% des dépenses d'énergie. Il faut donc isoler davantage, développer la géothermie et le
photovoltaïque.
Il est convaincu que le nucléaire va donc rester essentiel ainsi que la production d'électricité, notamment dans les transports terrestres, mais que ce sera sous une autre forme,
plus petite, plus facile à contrôler, et que les sources d'énergie seront diverses :
"Par exemple, on associera dans une ville donnée un petit réacteur nucléaire, un peu d'éolien, un peu de géothermie, peut-être aussi un peu de biocarburant, et
on jouera sur chaque touche du piano."
Allègre passe en revue d'autres sources d'énergie :
- les combustibles fossiles qui n'ont pas dit leur dernier mot
- les gaz de schistes qui représentent déjà 20% de la consommation énergétique des Etats-Unis, mais qui suscitent des oppositions en Europe
- l'hydrogène qu'il faudrait pouvoir mieux préparer et stocker de manière sûre
- les éoliennes qui produisent une électricité chère et intermittente
Allègre conclut donc à propos du nucléaire :
"Il n'y a pas de raison d'avoir peur du nucléaire, il faut simplement bien le contrôler !"
N'est-ce pas sage ?
Francis Richard