Le 14 avril 2012 il y avait 100 ans que le Titanic rencontrait inopportunément un iceberg à quelques encablures de Terre Neuve et coulait le lendemain, quelques heures plus tard.
Gilbert Pingeon, pour le centenaire de cette catastrophe, a rassemblé des textes écrits par lui sur le sujet depuis 1976. Son propos est grinçant et, dès le départ, il s'adresse au lecteur, à la première personne, en ces termes ironiques, au sujet du XXe siècle:
"Qu'importe qu'on me regarde comme un dément échappé de l'asile, fou parmi les fous chevauchant des libellules entoilées ou l'obus crevant l'oeil des planètes, je suis fier d'appartenir à ce siècle pourvoyeur d'hécatombes, au nom du Créateur Unique et des saints étendards de la liberté du commerce."
Le ton est donné et se maintient tout du long du livre, dont le titre en une seule lettre semble vouloir opposer, faussement, la modestie à l'orgueil.
C'est hélas très conformiste...que de s'attaquer à Dieu et au libéralisme. Les religions et la liberté seraient responsables de tous les maux, alors que seuls pourtant des individus peuvent être responsables.
Quelques citations, qui relèvent du slogan, permettront de préciser davantage cet état d'esprit absolutiste:
"Tout est en place pour célébrer le triomphe de la Raison sur le Hasard."
Comme si la raison ne devait jouer aucun rôle dans l'existence d'un être humain.
"C'est le salaire de la hâte vers plus d'avoir et moins d'être."
Comme si d'avoir beaucoup empêchait d'être beaucoup.
"Veux-tu retourner à la chandelle, au rouet, au moulin à vent? Chaque omelette se paie d'oeufs cassés. Ton confort a un prix et ce prix est élevé."
Comme si les progrès technologiques étaient tous néfastes.
A l'appui de sa vision des choses, l'auteur fait aussi des amalgames entre le naufrage du Titanic, involontaire, et l'effondrement, volontaire, par des terroristes islamistes des tours jumelles, One Eleven dans le texte, et le bombardement atomique, volontaire, d'Hiroshima par un bombardier américain, l'Elona Gay dans le texte.
Tous ces événements, certes, se sont produits par l'emploi de technologies nouvelles, mais ces technologies n'étaient que des instruments dont se servaient des individus, seuls responsables de leur mauvaise utilisation. Quand un homme se sert d'une arme blanche ou à feu pour occire son voisin, ce n'est pas l'arme qui est responsable, mais bien celui qui l'utilise. Apparemment Gilbert Pingeon est persuadé du contraire...
Comme il le dit lui-même, l'auteur exprime des points de vue "de basse classe, au ras de la houle". Encore un qui ne doit pas aimer les riches:
"Sur l'îlot des certitudes, rien n'a changé. Les trains arrivent et partent à l'heure. Les nantis mènent croisade pour l'abondance aux dépens de la misère. On meurt de bien-être."
Il préférerait certainement qu'on meure de dénuement...
Au milieu de tous ces poncifs il dit quand même quelque chose qui n'est pas entièrement faux. Il dit que "l'homme n'est pas maître en sa raison":
"Le Temps est son véritable maître. De lui il apprend la patience et le vénère à sa façon qui est l'oubli réitéré de chaque leçon."
Aussi, si le lecteur surmonte son aversion pour les lieux communs actuels égrenés tout au long de l'ouvrage, pourra-t-il découvrir quelques pépites et se régaler de quelques morceaux de bravoure. Mais, à ses yeux, pourraient bien être rédhibitoires des sorties du genre de celle-ci, relevée dans la post-face:
"Apparemment, le mirage de la Croissance Infinie est demeuré intact, puisque la mondialisation du profit a élargi le champ de ses ravages, de Tchernobyl à Fukushima."
Pathétique...
Francis Richard
T, Gilbert Pingeon, 148 pages, L'Âge d'Homme