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13 février 2016 6 13 /02 /février /2016 16:55
Confidences, de Max Lobe

Le Cameroun est une ancienne colonie allemande. A l'issue de la Grande Guerre, le pays est divisé en deux zones: la partie occidentale est confiée à la France par la Société des Nations, la partie orientale au Royaume-Uni. A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, un mouvement, l'UPC (Union des populations du Cameroun), dirigé par Ruben Um Nyobè, revendique l'indépendance du pays et sa réunification:

 

"On ne comprenait pas, nous, comment les gens vont faire leurs guerres entre eux, se tuer entre eux comme les animaux de la brousse là-bas chez eux, et pour finir, c'est à nous ici, dans nos forêts d'en récolter les conséquences."

 

Ainsi s'exprime Mâ Maliga, dans Confidences, le dernier livre de Max Lobe. Lequel a quitté à dix-huit ans le Cameroun pour s'établir en Suisse avec sa famille. Comme on ne lui a jamais vraiment raconté l'histoire de Um Nyobè, il a voulu la connaître en allant voir sur place un témoin direct de l'époque, qui l'a vécue dans sa chair et dans son âme, Mâ Maliga, justement, qui, semble-t-il, est sa grand-mère.

 

Le récit se passe dans les années cinquante du siècle dernier. Mâ Maliga vit dans un village bassa du Cameroun sous tutelle française, le Cameroun des Poulassi, séparé donc depuis 1918 du Cameroun des In'glissi, après la défaite des Jaman. Um Nyobè est considéré dans ce village, Song-Mpeck, comme dans tous les villages alentour, comme le grand-frère Mpodol, qui les représente. 

 

Mâ Maliga explique: "Nous étions très-très nombreux à vouloir que les Poulassi nous donnent notre part de liberté. Est-ce qu'on doit être intellectuel long-long crayon pour demander ça? J'étais convaincue, moi, que le Kundè que nos grands-frères demandaient, allait changer notre vie de tous les jours. Que notre sol et ce qu'il a en bas seraient pour nous."

 

La part de Kundè, de liberté, que Um Nyobè demande, ne sera pas obtenue sans que de nombreux Camerounais périssent, sous les balles de fusils ou sous les coups de machettes. Mâ Maliga verra la vraie-vraie guerre pour la première fois de ses propres yeux quand elle se rendra à Douala New-Bell avec sa tante Ngo Bayiha et qu'elles seront réduites à attendre que l'orage passe, blotties dans un caniveau.

 

Mâ Maliga, quatre-vingts ans, ne dédaigne pas le vin de palme, contenu dans une dame-jeanne. Ce matango, qu'elle boit avec Max, l'aide à se souvenir, lui en donne aussi le courage. Parce que ce qu'elle a à raconter est terrible à entendre. Pendant les guerres "personne n'est gentil avec personne". Et certains hommes, avec la même couleur de peau, ne sont pas les derniers à tirer sur leurs frères et soeurs...

 

Mâ Maliga sera retenue captive pendant deux ans avec une partie des siens dans un camp, tandis qu'une autre partie le sera dans un autre. Um Nyobè ne verra jamais l'indépendance et la réunification de son pays pour lesquels il a lutté en s'exprimant en gros-gros français ou en bassa. Il sera tué deux ans auparavant. Son corps sera coulé dans du béton, de peur sans doute qu'il ne s'échappe de son tombeau.

 

Le livre n'est pas seulement l'histoire de Um Nyobè. A la faveur de son récit Mâ Maliga restitue l'époque, la vie de tous les jours dans ces villages situés au milieu des forêts, dans sa langue imagée; les relations qu'elle entretient alors avec les membres de sa famille et notamment avec son père, qui est du côté des Poulassi, ce qui n'est pas sans conséquences pour elle, surtout le jour de son mariage.

 

Les expressions qu'emploie Mâ Maliga, dite Thérèse (tout le monde a un prénom de chez lui et un nom chrétien...) sont celles d'une autre culture, proche de la nature, authentique. Les longues tresses de cheveux des filles forment des grands arcs et on les appelle papa-sur-mama-mama-sur-papa. Ceux qui vivent en union libre font du viens-on-reste. Quand on arrête de parler d'un sujet qui fâche, on le laisse là par terre...

 

Les événements familiaux obéissent à des codes: "Chez nous ici, lorsqu'un homme apporte une bouteille de whisky aux parents d'une fille en âge de se marier, on comprend tout de suite sa part de message: il vient demander sa main. On appelle ça le Nkoum'Koya, frapper à la porte." La dot est apportée à la femme par le futur mari; elle est d'autant plus importante que celle-ci est une femme de valeur.

 

Pourquoi Max est-il venu ici, au Cameroun, plus particulièrement sur la pierre tombale, située en pleine brousse, de Ruben Um Nyobè, mort assassiné le 13 septembre 1958? Il vient peut-être de chez lui, là-bas, chez les Blancs, comme dit Mâ Maliga, mais il est avant tout l'un des siens. Pourquoi renierait-il ce qu'il est à l'origine, même si l'existence, à Genève, depuis ce point de départ africain, l'a fait devenir autre, un autre qui, en apprenant la vérité, ne peut que surmonter ses craintes?

 

Francis Richard

 

Confidences, Max Lobe, 288 pages, Zoé

 

39 rue de Berne (2013)

La trinité bantoue (2014)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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